CROSS, Keith, & ROSS, Pete – Bored civilians
L’album de Keith Cross & Peter Ross est un de ces nombreux météores passés fugacement dans le ciel de la musique pop anglaise durant les années 70 et dont l’immense richesse musicale a à peine été remarquée à l’époque. La réédition de « Bored civilians », proposée ici par le label Esoteric Recordings sera peut-être, on l’espère, une occasion de réhabiliter cet excellent album et de lui donner toute la considération qu’il mérite.
Le nom de Keith Cross ne va pas dire grand-chose à grand monde mais les amateurs de rock progressif anglais obscur des années 70 auront immédiatement reconnu ici le guitariste de deux groupes mythiques du genre, Bulldog Breed et T2. Le premier était un groupe de l’ère psychédélique finissante, qui pressentait l’émergence du hard rock. Sur son unique album paru en 1969, outre Keith Cross à la guitare, on trouvait aussi à la batterie un certain Peter Dunton, qui allait monter avec Cross ce formidable groupe qu’était T2. L’unique album de ce groupe, paru sur Decca, mettait en valeur le jeu de guitare exceptionnel de Keith Cross, âgé d’à peine 18 ans à l’époque et qui faisait de véritables miracles dans un registre rock progressif lourd et habile.
T2 ne dure que le temps d’un album en 1971 et la maison Decca reste en contact avec Keith Cross, qui lui propose un projet de duo folk rock monté avec Peter Ross, un relatif inconnu dont on repère la présence à l’harmonica sur le premier album de Hookfoot, modeste combo country rock anglais actif de 1969 à 1974. Cross et Ross vont sortir sur Decca un album qui n’a rien à voir avec leurs expériences précédentes. « Bored civilians » est d’obédience résolument folk rock, avec un œil sur la west coast américaine et un autre sur le rock progressif à l’anglaise.
Decca offre aux deux musiciens de bonnes conditions d’enregistrement, mettant en lice une poignée de musiciens accompagnateurs de haut vol. On trouve ainsi Nick Lowe à la guitare, Peter Arnesen aux claviers, Andy Sneddon, Chris Stewart, Dee Murray et Sid Gardner à la basse, B.J. Cole de Cochise à la guitare pedal steel, Jimmy Hastings à la flûte et au saxophone, Billy Rankin et Steve Chapman à la batterie, Jenny Mason et Lea Nicholson aux chœurs et Tony Carr aux percussions. Keith Cross et Peter Ross se partagent quant à eux le chant et la guitare et composent chacun de leur côté une dizaine de chansons, à l’exception de « Fly home » qu’ils écrivent ensemble. Peter Ross en fait un peu plus puisqu’il compose les deux faces B des deux 45 tours « Can you believe it?/Blind Willie Johnson » et « Peace in the end/Prophets guiders » qui sont chargés d’appuyer les ventes de « Bored civilans » en 1972.
Des ventes, il y en aura malheureusement assez peu, l’album n’émergeant absolument pas de la masse des disques de cette riche année 1972. Difficile effectivement de rivaliser avec David Bowie, Deep Purple, les Rolling Stones, Led Zeppelin, Neil Young ou même Slade à l’époque. Pourtant, la qualité des compositions, les capacités des musiciens à partir dans la stratosphère (les impressionnants « The last ocean rider » et « Story of a friend »), la finesse des arrangements (« Bo Radley ») et la candeur des voix (« The dead salute », « Fly home », dont le final aux violons est inhumain de beauté) font de ce disque une petite merveille de folk rock progressif. On note aussi la présence de « Peace in the end » reprise d’un groupe appelé Fotheringay, qui n’était autre qu’un projet parallèle de membres de Fairport Convention en 1970 (leur unique album s’était classé 18ème des charts anglais).
Après ce « Bored civilans » injustement sous-estimé, on n’entendra plus parler de Keith Cross et Peter Ross. Cette injustice est encore plus criante pour Keith Cross, qui était un jeune et doué guitariste, capable de rivaliser avec les plus grands. La réédition faite par Esoteric Recordings, très complète comme à l’habitude, fournit en bonus les deux faces A des singles, ce qui permettra aux heureux acquéreurs de cet album de posséder presque les œuvres complètes de Keith Cross et Peter Ross, « Can you believe it? » ne figurant pas dans la sélection. Une intéressante façon de se distinguer du commun des mortels.
Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC 2441
Sortie: 2014/04/28 (réédition, original 1972)