SPEDDING, Chris – Backwood progression
Chris Spedding est un personnage particulier dans l’histoire du rock anglais des années 70. Il est en quelque sorte le plus visible des musiciens de studio et le plus discret des rock stars, toujours pile au milieu, centriste total, ni blanc ni noir, gris parfait. Du moins, c’est ce que l’on peut conclure à l’écoute des albums de sa carrière solo, une carrière qui commence en 1970 avec l’album « Backwood progression », réédité par le label Esoteric Recordings.
Né dans le Derbyshire le 17 juin 1944, élevé à Sheffield et Birmingham par des parents adoptifs, Chris Spedding embrasse une carrière musicale à la fin des années 60 en rejoignant les Battered Ornaments, groupe jazz et rock animé par le mythique Pete Brown, poète, parolier de Cream et futur animateur de Piblokto, intéressant groupe progressif anglais du début des années 70. Lorsque Brown quitte les Battered Ornaments, ceux-ci entrent en phase de déliquescence et le seul que l’on pressent comme sauveur est Chris Spedding. Guitariste doué, jazzeux ayant fait aussi ses classes chez Nucleus, Spedding ne peut que constater que les Battered Ornaments ne veulent plus continuer l’aventure ni même profiter gratuitement des heures d’enregistrement mises à leur disposition aux célèbres studios Abbey Road de Londres.
Comme le groupe est encore lié au label Harvest par un contrat, Chris Spedding se retrouve seul à bord avec des sessions Abbey Road à l’œil et une obligation de sortir un disque le plus vite possible. Ce sont ces circonstances qui donnent naissance au premier album solo de Spedding, « Backwood progression ». Mais le bon Chris est avant tout un musicien accompagnateur, un requin de studio en devenir qui va d’ailleurs fonder une partie de sa carrière sur cette activité rémunératrice. Comme il n’a jamais écrit une seule chanson avant ce premier album, il se jette à l’eau et compose une douzaine de titres pour l’occasion.
Artiste solo et compositeur par défaut, Chris Spedding va donc accoucher d’un album honnête mais complètement en dehors des routes commerciales de l’époque. Ni hard ni soft, ni expérimental ni commercial, ni aventureux ni ringard, ni agressif ni mou, ni provocateur ni conservateur, ni rock ni jazz, ni prog ni psych, ni tout ni rien, bref, complètement neutre, « Backwood progression » porte bien son nom : un pas en avant, un pas en arrière mais au final, quelque chose qui permet de défier le temps avec un album à la qualité constante, sans exagération ni faiblesse, posé en équilibre sur ce qui permet de fédérer des goûts divers.
Sans le savoir, sans en avoir envie, Chris Spedding commet le bon album par excellence, celui qui va ne générer aucun remous, celui que les critiques rock n’arrivent pas à attraper, tant il est sans aspérités. Toujours sans le savoir (parce qu’on lui a mis une partition sous le nez), Chris Spedding reprend « Please Mrs Henry » de Bob Dylan, dans une version sympathique. Et là où il est le plus remarquable, c’est quand il évoque la condition du musicien de session, avec un « Session man » qui lui permet de copier plusieurs styles de guitares (de Jimmy Nolen à Ritchie Havens), un truc qu’il ressortira avec bonheur en 1976 sur sa chanson « Guitar jamboree », où il s’amuse à copier des tas de musiciens connus. Car c’est peut-être ça, Chris Spedding : un excellent imitateur, un guitariste qui sait tout faire mais qui, livré à lui-même, ne peut véritablement forger un style propre.
Néanmoins, cela n’empêche pas « Backwood progression » d’être un album à écouter, ne serait-ce que pour retrouver ou découvrir un musicien à la personnalité attachante bien que peu expansive, et ce souvenir que Chris Spedding a souvent été dans les bons coups au cours des années 70. Et cela, nous aurons l’occasion de l’évoquer lors de la chronique évoquant son deuxième album solo de 1972, également sorti chez Esoteric Recordings.
Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC 2433
Sortie: 2014/02/24 (réédition, original 1970)