SEGALL, Ty – Sleeper
On commence à en parler de plus en plus : Ty Segall est présenté comme le nouveau sauveur du rock. À 26 ans, le Californien est désormais un véritable touche-à-tout qui cherche à travailler la matière rock sous tous les angles. Guitariste prodige, batteur solide, Ty Segall se répand sur toutes les voies, du garage rock pétaradant (« Twins », 2012 ; « Slaughterhouse », 2012, en tant que Ty Segall Band), en passant par le psychédélisme corrosif (« Hair », 2012, en collaboration avec White Fence) et le folk rock désespéré (« Sleeper », 2013). On remarque dans cette courte liste que trois albums sont sortis en 2012. Ty Segall est en effet un stakhanoviste du microsillon. Il produit à outrance et vend sous forme de CD, vinyle ou cassette, ignorant volontairement les tendances MP3 du moment.
La technique moderne, il n’en a cure, préférant hanter les échoppes de matériel vintage pour récupérer pédales wha-wha ou fuzz d’époque, amplis Orange à lampes, guitares Fender Jazzmaster usées ou kit de batterie ayant appartenu à Keith Moon. Son univers, c’est le rock canal historique, celui des précurseurs proto-métalliques du genre Hendrix, Groundhogs, Litter, Blue Cheer ou Bang. Pantalons à pattes d’éléphant, tee-shirts Led Zep délavés, baskets trouées : il y a aussi un petit côté grunge dans cette approche et ce style, qui n’est pas non plus totalement insensible à la culture stoner. Bref, Ty Segall est un rocker et certains se posent même la question de savoir si ce n’est pas le dernier.
Mais ici avec « Sleeper », Ty Segall se livre à un exercice nouveau, le folk-rock. Après avoir pilonné les tympans en 2012 avec ses monstrueux « Twins » et « Slaughterhouse » ou tout en continuant de titiller le décibel brûlant avec son projet Fuzz, Ty Segall s’engouffre dans les chemins creux et bucoliques du folk. Ty Segall a eu l’occasion de dire à la presse qu’il ne se sentait pas capable d’écrire une chanson folk. Il s’est pourtant risqué à l’exercice et s’est fendu d’un album qui révèle à nouveau sa patte inimitable.
Certes, les morceaux de « Sleeper » dénotent une approche un peu hésitante du folk. On dirait que Ty Segall n’a pas osé aller jusqu’au bout de la logique folk mais ce qu’il a réalisé contient néanmoins son lot d’idées intéressantes. À l’instar d’un Led Zeppelin sortant contre toute attente un troisième album à moitié folk, Ty Segall réalise ici son disque en marge de son style de prédilection. Sa vision du folk est parfois imprégnée de blues (« Sixth street ») ou du souvenir des albums de Tyrannosaurus Rex, le groupe de Marc Bolan avant T. Rex (« She don’t care », « Sweet C.C. »). Ce n’est donc pas un album de folk rock au sens pur du terme mais c’est un album de folk à la Ty Segall.
L’homme parvient à créer une atmosphère intimiste, presque dramatique, avec ce chant plaintif, cette guitare seule égrenant des accords aigrelets sur un mode acoustique. De temps à autre, le violon de K. Dylan Edrich vient renforcer la mélancolie ambiante (« Sleeper », « She don’t care »). Ty Segall écrit une série de chansons relativement homogènes, basées sur des accords simples, un rythme lent et un chant à la fois juvénile et désabusé. « Queen lullaby » se distingue de cette structure avec des atmosphères plus sombres et un côté expérimental (les bourdonnements étranges de la fin). Quant à « The west » qui termine l’album, il se tourne vers un country folk qui n’aurait pas déplu aux Byrds de 1968.
C’est donc un album à la fois folk, blues et psychédélique que nous livre ici Ty Segall. On ne sait pas encore s’il renouvellera l’exercice ou s’il a déjà en tête de nouvelles explorations musicales. Et quand on se souvient qu’en même temps que « Sleeper », Ty Segall sort l’album super électrique et explosif de son projet parallèle Fuzz, on se dit que ce garçon est capable de tout.
Pays: US
Drag City
Sortie: 2013/08/24