SPHINCTER ENSEMBLE – Harrodian event # 1
Si vous avez été ados dans les années 70, ne cherchez même pas à vous souvenir si vous avez entendu parler de Sphincter Ensemble. Cette formation a eu beau enregistrer l’équivalent d’un album en 1972, ce travail n’a jamais été transféré sur disque et commercialisé à l’époque, faisant de Sphincter Ensemble un des secrets les mieux gardés des Seventies. Enfin, c’est surtout un secret qui intéressera les amateurs de musique expérimentale et improvisée, de jazz fusion avant-gardiste ou de prog électronique carrément à l’Ouest.
L’histoire de ce projet n’est pas très longue à raconter, ni dans ses prémisses, ni dans sa conclusion. Le 2 janvier 1972, une demi-douzaine de musiciens se réunissent au Harrodian Club de Barnes, quartier du sud-ouest londonien, et enregistrent sans aucun plan préétabli ni répétition préalable une gigantesque jam, sans structure, sans début et sans fin. Un des types a enregistré le truc, mis les bandes dans un tiroir et le tout a été soigneusement oublié pendant quarante ans.
L’homme à l’origine de ce coup de main est Trevor Morals, un batteur qui réunit par téléphone quelques musiciens n’ayant aucun lien particulier entre eux. Peter J. Robinson est un claviériste qui a joué dans Quatermass, excellent groupe heavy prog dans lequel on trouvait également John Gustafson à la basse. Ce dernier est également dans le projet et son énorme talent va véritablement créer le ciment rythmique qui sous-tend les morceaux du Sphincter Ensemble. De la bande, Gustafson est le membre le plus connu. Ayant débuté dans les années 60 au sein des Merseybeats, Gustafson a gagné ses galons dans Quatermass, puis le colérique Hard Stuff avant de passer brièvement chez Roxy Music et collaborer avec Ian Gillan de Deep Purple lorsque celui-ci se lance dans une carrière solo au milieu des années 70.
On trouve également Tony Walmsley (guitare), Martyn Ford (cuivres), Anne Odell (claviers) et Paul Buckmaster (violoncelle). Les musiciens se retrouvent au Harrodian Club le 2 janvier 1972, déballent le matériel, s’installent en cercle et commencent à jouer, sans la moindre directive. Tout se fait à l’instinct, au pifomètre. L’équipe s’engouffre d’entrée de jeu dans une longue divagation jazz prog, croisant Soft Machine et le Mahavishnu Orchestra. La basse élastique et virevoltante de John Gustafson, associée à la batterie de Trevor Morals, tisse un flot rythmique ondulant et capricieux. Le clavier réagit sur cette base avec des tressages tout en groove jazzy, tandis que le violoncelle vient se fracasser par petites touches sèches sur cet assemblage hétéroclite.
Tous les morceaux sont intitulés « Event » (« Event # 1 », « Event # 2 », etc.), avec un sous-titre délirant pour chacun d’entre eux (genre « Freen-Josp », « Sylvian interlude in a petunia patch », « Mortlake mootch » ou « Prelude before a cuppa »). Ce dernier sous-titre fait référence à la tasse de thé que les musiciens ont prise à l’issue de ce voyage débridé de près de trois quarts d’heure. Une pause bien méritée à laquelle on aura aussi droit après écoute de cet exercice purement expérimental, principalement recommandé aux audacieux du son. Car les amateurs de jolies structures bien propres et bien organisées vont avoir un sérieux mal à se dépêtrer dans ces circonvolutions fumeuses et astronautiques.
Mais il aurait été cependant injuste qu’un tel travail restât enterré dans les couloirs de l’oubli et il faut remercier la maison Esoteric Recordings qui présente ici en exclusivité mondiale et pour la première fois cet enregistrement exhumé et digitalisé qui apporte une nouvelle preuve que la musique pop et rock des années 70 n’avait pas de limite et ne reculait devant rien.
Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC 2398
Sortie: 2013/06/24