QUEENS OF THE STONE AGE – … Like clockwork
L’année 2013 est un gros cru pour le rock. Depuis le début de l’année, on voit revenir les vieux druides qui font une fois de plus valoir leurs droits à la légende : David Bowie, Deep Purple, Black Sabbath, les Stooges… Puis quelques groupes plus récents sortent aussi des albums de la maturité : Black Rebel Motorcycle Club, The National ou les ici présents Queens Of The Stone Age.
Le groupe de Josh Homme n’avait plus sorti un album depuis 2007 et « Era vulgaris ». Ça commençait à faire long. Et de ceux qui avaient sauvé le rock en 2002 avec leur gigantesque « Songs for the deaf », on attendait beaucoup, en tout cas plus que les exercices en demi-teinte de « Lullabies to paralyze » et « Era vulgaris ». La date était fixée, 3 juin 2013, sortie du nouveau Queens Of The Stone Age, un énorme cercle rouge sur tous les calendriers et agendas des fans du groupe et des admirateurs de Josh Homme, le maître à penser du stoner du désert.
L’attente était d’autant plus forte que Monsieur Homme avait récemment brillé avec le projet Them Crooked Vultures, phénoménal super-groupe monté à la surprise générale avec le vieux crocodile John Paul Jones (Led Zeppelin) et l’animal des fûts Dave Grohl (Nirvana, Foo Fighters). Et l’arrivée de « … Like clockwork » dans les bacs des disquaires, cumulée avec toutes ces attentes et tous ces espoirs, sera sans doute le jour le plus marquant de l’année pour le fan des Queens Of the Stone Age.
Pourquoi ? Parce que la moitié de ces fans vont fuir en courant à la première écoute et l’autre moitié, les plus patients, vont prendre la peine de réécouter le disque et découvrir des trésors insoupçonnés. Cet album appelle en effet à de gros efforts de concentration et de remise en cause. Il ne faut pas se contenter de se souvenir qu’avec leurs trois premiers albums, les Queens Of The Stone Age ont révolutionné le gros son et porté le stoner sur les surfaces visibles de l’underground. Sinon, on tombe immanquablement dans la déception en écoutant ce dernier album complexe, torturé, douceâtre, mélancolique mais incroyablement subtil.
Il faut plutôt avoir en tête que « Songs for the deaf », c’était il y a onze ans et en onze ans, bien des choses changent. Les adolescents d’alors sont devenus de jeunes adultes et Josh Homme est passé du jeune adulte à l’homme mûr, puisqu’il vient de fêter ses 40 ans en mai dernier. Ceux qui n’ont pas encore abordé cette période cruciale de la vie ne savent pas ce que c’est : les petits bobos qui se multiplient, les os qui craquent, la conscience qu’on est à la moitié du chemin et que la seconde moitié va être de moins en moins drôle, l’impression qu’on vit une adolescence à l’envers parce qu’on repasse le chemin dans l’autre sens (toujours aussi paumé mais avec la santé en moins). C’est lourd à porter, la quarantaine. Et toute cette masse d’interrogations et d’angoisses suinte des chansons de « … Like clockwork ». C’est plein de gravité, de tristesse, de passages doux et rêveurs, avant que les grosses guitares et la rythmique capricieuse de Dave Grohl (invité sur une partie conséquente des morceaux) ne viennent rappeler que Josh Homme est toujours maître du style qu’il a forgé et qu’il en explore aujourd’hui des couloirs encore plus élaborés et impressionnants.
Je vous le dis franchement : je n’ai même pas pu terminer la première écoute de l’album, le dernier titre « … Like clockwork » et son piano douillet ayant eu raison de ma patience. Peut-être le fait d’avoir raté une sortie d’autoroute lors de cette première écoute a un peu contribué à mon énervement… Mais en revenant sur le disque, comme on se rapproche timidement d’un ami avec qui on a eu une dispute futile et passagère, j’ai pris (ou cru prendre) toute la mesure du phénomène. Josh Homme a fait ici un album totalement différent mais en même temps parfaitement fidèle à la philosophie QOTSA. C’est simplement que son style musical a évolué avec lui, suivant son âme de près. C’est exactement ce qui est arrivé à David Bowie, à Neil Young ou à Jack White, ce qui pourrait signifier que Josh Homme est à mettre dans le précieux écrin des génies intemporels du rock.
Et au fil des écoutes, l’évidence éclate. La production ample recèle des myriades de détails sonores captivants. Josh Homme a également invité du beau linge : Nick Oliveri, l’ex-bassiste maudit et Alex Turner, le petit disciple des Arctic Monkeys, viennent chanter des chœurs sur « If I had a tail », un des titres les plus mélancoliques du disque, malgré son rythme dansant. On repère Trent Reznor de Nine Inch Nails sur « Kalopsia », ballade vaporeuse fouettée par le tranchant des guitares lors du refrain. Elton John en personne vient donner un petit coup de piano sur « Fairweather friends », indescriptible plainte que n’aurait pas reniée les Who ou Aerosmith.
Dès le premier titre « Keep your eyes peeled » et son étrange rythme blues crasseux parsemé d’un piano désorienté et de ces paroles désabusées (« The view from hell is blue sky »), il valait mieux rester en alerte. Un album de rock lambda ne commence pas comme ça, il démarre sur un truc bien électrique et niais, histoire d’attraper l’auditeur pour le promener ensuite dans des choses plus passe-partout. Ici, rien de tout cela, on entre directement dans la force de l’œuvre, sans avertissement. Le Queens Of The Stone Age qu’on connaît, on ne le retrouve finalement que sur le deuxième titre « I sat by the ocean ». Si Homme avait placé ce titre en premier, il aurait trompé son monde et attiré l’auditeur dans un piège. Remercions-le donc pour son honnêteté.
Puis après, c’est le choc. Positif pour les uns, décevant pour les autres mais qui ne laisse en aucun cas indifférent. Le piano délicat de « The vampyre of time and memory », compensé par une guitare magnifique de sensibilité, la force dramatique de « My God is the sun » (sans doute le morceau le plus fédérateur de l’album), les complications expérimentales de « Smooth sailing » ou le slow lascif et puissant de « I appear missing », rien n’est de trop, tous ces titres ont leur place à un moment ou à un autre dans cet album qui reste incomparable dans la discographie de Queens Of The Stone Age.
La récréation est finie, les enfants, il va falloir se mettre à penser à la mort.
Pays: US
Matador Records
Sortie: 2013/06/03
Remarquable chronique.