U2 – How To Dismantle An Atomic Bomb (special edition)
Composé de Paul « Bono » Hewson, chant, guitare, David « The Edge » Evans, guitare, banjo, claviers, Adam Clayton, basse, et Larry Mullen Jr., batterie, U2 persiste dans son intention de revenir aux sources du rock amorcé par l’album précédent, « All That You Can’t Leave Behind » (2000).
Le groupe entier, qui connaît ses limites sur le plan technique, a donné son avis sur chaque proposition de chanson, remettant en cause toutes les compositions. Même si le processus a pris beaucoup de temps, cette alchimie a bien fonctionné et a débouché sur un large consensus. Cela se ressent sur cet album et plus encore sur le DVD.
« Vertigo » en est un exemple parfait. On annonce cela comme un retour aux sources pour U2, mais c’est plutôt un retour vers l’esprit du rock. Même s’il n’atteint pas l’intensité du « New York » de « All That You Can’t Leave Behind » ou la créativité de certains morceaux figurant sur « Achtung Baby », c’est en tout cas un formidable titre déjà largement diffusé. « Un sentiment est souvent plus fort qu’une pensée », nous dit Bono. Apparemment, il en a reçu de celle qu’il aime.
Par comparaison, « Miracle Drug » est beaucoup plus calme au début mais très rapidement, U2 retrouve un punch intact. The Edge semble particulièrement heureux du changement de cap; il ne cachait pas sa répulsion de voir Bono serrer les mains pas toujours propres des grands de ce monde et avait hâte de se remettre au travail, pour le plus grand bonheur des fans. Le morceau traite du sida. « Je donnerais tout l’amour que j’ai connu contre un médicament miracle ».
Sur « Sometimes You Can’t Make It On Your Own », Bono est beaucoup moins fringant car il évoque la mort de son père, avec qui il n’a pas vécu des relations dignes d’un long fleuve tranquille. La bombe atomique qui a donné son nom à l’album, c’est son père. Sans doute éprouve-t-il un mélange de regrets, voire de remords, et de peine. L’enfant, même et peut-être surtout à l’âge adulte, éprouve souvent vis à vis de ses parents un sentiment de culpabilité quand ça ne va pas, même s’il n’y est pour rien ou pour pas grand-chose. Comment faire plaisir à son père après sa mort ? Tel est le dilemme tardif auquel est confronté Bono. Ce morceau, écrit il y a trois ans, vient de trouver son épilogue. Subitement, grâce à une phrase refrain trouvée par Steve Lillywhite, tout s’est éclairé pour Bono, qui en a terminé l’écriture en quelques minutes. C’est cela aussi, le métier de producteur : trouver des idées pour débloquer une situation sans issue.
Uniquement instrumental au début, « Love And Peace Or Else » se présente ensuite comme une incantation chantée rythmée par la basse, puis éclate sous l’impulsion du jeu de guitare. La voix de Bono semble transformée et cela apparaît surtout sur ce titre. Cette prière musclée, qui a des implications à la fois personnelles et politiques, en appelle à la sagesse pour faire de ce monde un lieu de paix et d’amour. Puisse-t-il être entendu ! Mais pour en arriver là, il faudra plus que serrer des mains pas propres. On peut voir les limites d’une intervention individuelle dans un problème complexe qui remonte souvent à plusieurs années et a des implications et des raisons cachées. On pense au problème Palestinien. C’est la seule chanson à caractère politique du CD.
Le très beau « City Of Blinding Lights » est bien dans le style de U2 aussi, avec son jeu de guitare rapide et incisif. On sent que The Edge a envie d’en découdre depuis longtemps. C’est une évocation de New York, la cité des lumières qui aveuglent. « Tu es très belle, ce soir. Peux-tu voir la beauté en moi ? », dit Bono, auteur des paroles. On y parle aussi de paix mais sur le plan individuel.
La violence est bien présente aussi sur « All Because Of You », très rentre dedans et empreint de révolte affirmée. La section rythmique est ici très efficace sans être mise en vitrine. Sobriété n’est pas synonyme de pauvreté. En même temps, c’est une évocation de l’enfance de Bono, faite de beauté et de laideur. Comme toute enfance, non ? En tout cas, U2 met le paquet sur ce morceau très enlevé. L’amour rend la beauté innocente, nous dit « A Man And A Woman », beau morceau qui démontre aussi l’étendue du talent vocal de Bono et l’efficacité de la rythmique sur un mid tempo tout en contraste avec les morceaux plus agressifs.
Avec la guitare omniprésente, « Crumbs From Your Table » débute sur le mode musclé propre à U2. C’est une histoire un peu hermétique que nous raconte Bono mais c’est en tout cas l’histoire de quelqu’un qui a tout sauf l’essentiel : un coeur. Beaucoup de recueillement pour « One Step Closer », qui relate les doutes de Bono avant la mort de son père. Il se demandait s’il aurait la force de lutter. Noel Gallagher (Oasis) lui a dit que si c’était le cas, il se rapprochait de la mort, d’où le titre.
Très belle musique avec The Edge au piano pour « Original Of The Species », chanson complexe destinée aux adolescents qui découvrent leur sexualité, ont honte et n’osent pas en parler. Bono les rassure en leur disant que chacun est unique. Enfin, construit comme une prière, « Yahweh » a des implications émotionnelles très fortes. Il perpétue la tradition : une prière à Dieu pour terminer. Encore la religion comme solution à tous les problèmes. Ah, si c’était si facile !
Cet album renoue avec les titres plus rock de U2, une démarche qui sera sans doute appréciée par ceux qui aiment le groupe. C’est en tout cas un album d’une violence et d’une énergie rare par les temps qui courent. Ah oui, play it loud !
DVD
Le DVD commence par une courte promenade le long du fleuve. On voit ensuite, avec la possibilité de choisir un sous-titre en plusieurs langues dont le français, le documentaire portant sur trois titres, une sorte de making of avec interviews.
La première chanson est « Sometimes You Can’t Make It On Your Own », dont on explique la lente gestation, avec des extraits de sessions en studio et des interviews de Bono, The Edge et du producteur Steve Lillywhite. Le deuxième titre est « Crumbs From Your Table », écrit après une session très très arrosée (Larry Mullen Jr. jure ses grands dieux qu’il ne se souvient de rien). On voit ensuite une interview de Flood, le co-producteur, qui insiste sur le rôle essentiel du groupe dans la conception globale de l’album. Un modeste, lui. Le dernier titre du documentaire est « Vertigo ».
On peut ensuite voir « Sometimes You Can’t Make It On Your Own » (studio performance). Tout le monde sait ce qu’il a à faire et personne n’en fait des tonnes mais on remarque le rôle primordial exercé par Bono et The Edge au sein du groupe et leur complicité, même si chacun doit y mettre du sien.
C’est ensuite « Crumbs From Your Table » qui est passé sous la loupe. On voit littéralement naître le morceau sur les riffs de guitare de The Edge. « Vertigo (Temple Bar mix) » a été filmé en noir et blanc. On y voit The Edge jouer du banjo, parfois corrigé par Bono, qui chante.
C’est ensuite au tour de « Sometimes You Can’t Make It On Your Own (acoustic couch mix) », où on voit d’abord en gros plan Bono chanter, accompagné à la guitare acoustique par The Edge, puis les deux compères au travail. Enfin, le produit fini de « Vertigo », une véritable leçon d’énergie créative menée à son terme, emblème idéal de cet album. Comme c’est souvent le cas, le DVD apporte un vrai plus : il aide à la compréhension et mesure la température des relations au sein du groupe.
Une critique, pourtant. Sur leur site officiel, pour avoir droit aux commentaires des membres du groupe sur chacun des morceaux, il faut payer 40 €. Inutile de dire que nous avons volontairement oublié cette possibilité. Jeune mais pas fou …
Pays: GB
Island / Universal 986 818-1
Sortie: 2004/11/22