SPRIGUNS – Time will pass
Spriguns est un groupe de folk rock traditionnel anglais qui a la drôle d’idée de tenter sa chance au moment où le punk rock kidnappe la nouvelle génération des fans de rock et où les amateurs du folk d’antan sont maintenant devenus des cadres supérieurs ou des vendeurs d’aspirateurs occupés à faire fortune.
Après avoir sorti leur premier album « Revel weird and wild » sur Decca en 1976, Mandy Morton (chant et guitare), son mari Mike Morton (basse), Tom Ling (violon), Dick Powell (guitare et claviers) et Chris Woodcock (batterie) constatent que ce disque ne se vend pas et qu’il faut trouver une astuce pour sortir un peu de la masse des groupes anglais qui tentent de faire leur trou à l’époque. Le premier mouvement est de remplacer le batteur Chris Woodcock par l’Australien Dennis Dunstan, de reconvertir Tom Ling en invité et non plus en membre du groupe, et d’intégrer un guitariste supplémentaire avec Wayne Morrison, Australien également.
Entre deux tournées, les Spriguns ont le temps d’écrire de nouvelles chansons, dans une direction plus rock que les compositions folk du premier album. Decca dépêche le producteur Sandy Roberton (Steeleye Span, Decameron, Ian Matthews, Shirley Collins) pour l’enregistrement de l’album « Time will pass », dont les sessions se déroulent au Studio 2 du label, dans le quartier de West Hampstead. Contrairement à Tim Hart qui avait produit le premier album, Roberton tient à séparer les musiciens et les faire enregistrer à part, ce qui déstabilise un peu les membres de Spriguns.
Robert Kirby est en charge des arrangements de cordes sur trois des morceaux de l’album. Son expertise acquise avec Nick Drake et Sandy Denny donne de beaux résultats sur « White witch », « All before » et « Letter to a lady », le morceau qui clôt l’album de façon dramatique. « White witch », notamment, est un morceau très ambitieux où Mandy Morton joue seule de la guitare face à un orchestre symphonique de trente musiciens. Outre ces morceaux symphoniques, Spriguns affiche une orientation nettement plus rock au cours de ce second album pour Decca. La guitare électrique est plus présente (« Dead man’s eyes », « Time will pass », « Black waterside »), les paroles évoquent parfois des sujets graves, voire morbides, des histoires de pendus (« Dead man’s eyes », « You’re not there »), d’allégorie de la mort (« For you ») ou de l’inéluctabilité du temps qui passe (« Time will pass »). Le ton est posé et doux, mais le message est assez pessimiste.
Cet album est, à mon humble avis, plus marquant et plus intéressant que le premier, qui était joli mais plus policé. Son côté rock ne permettra cependant pas à Spriguns de sortir de l’ornière, puisque les ventes restent très modestes. Curieusement, la rupture du contrat avec Decca ne vient pas du label mais du groupe lui-même, dont les membres fondateurs Mandy et Mike Morton créent en 1978 leur propre label Banshee Records. Les Spriguns deviennent alors Mandy Morton & Spriguns et sortent l’album « Magic lady » en 1978, en hommage à la chanteuse Sandy Denny de Fairport Convention qui vient de se tuer en tombant d’un escalier. Plus tard, Mandy Morton et son mari découvrent que le marché norvégien est encore très friand de folk rock au début des années 80 et décident de tourner régulièrement en Scandinavie. La filiale norvégienne de Polydor édite même l’album « Sea of storms » (1980), un album solo de Mandy Morton, qui sort en 1983 avec son Mandy Morton’s Band l’album « Valley of light » qui propose une reprise du « Somebody to love » de Jefferson Airplane. Mandy Morton devient ensuite, pour les trois décennies suivantes, productrice indépendante à la BBC.
Les deux rééditions des albums de Spriguns chez Decca sont le fait du label Esoteric Recordings, qui offre au monde moderne la possibilité de découvrir ce groupe intéressant, peu connu dans la galaxie folk anglaise (qui retient surtout Fairport Convention, Steeleye Span, Pentangle, Lindisfarne, Spirogyra ou Stackridge parmi les groupes les plus fameux) mais qui mérite qu’on y prête une oreille attentive.
Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC 2365
Sortie: 2013/01/28 (réédition, original 1977)