YOUNG, Neil & CRAZY HORSE – Psychedelic pill
Ce serait enfoncer des portes cochères ouvertes avec un bélier viking que de dire que Neil Young est une légende. Depuis quarante-cinq ans, cet homme formule un univers rock qui tient tout simplement de l’œuvre, au sens balzacien du terme. Vous la prenez dans un sens, vous la prenez dans l’autre, vous la captez par le milieu, vous tombez toujours sur l’évidence pure : Neil Young est un auteur rock, un catalyseur de la pensée rock. Vous êtes un folkeux : vous croiserez un jour le chemin de Neil Young. Vous êtes un hardeux : vous ne resterez pas insensible à certaines coulées de lave générées par le canadien ombrageux. Depuis tout ce temps, Neil Young a poursuivi son bonhomme de chemin en dépit des modes et des courants.
À 67 ans, Neil Young est plus que jamais présent sur le front de la musique. À peine a-t-il sorti son album « Americana« avec le Crazy Horse en juin dernier que le voilà de retour en octobre avec son autobiographie, puis avec un tout nouvel album en fin d’année. Cet album, c’est « Psychedelic pill », également enregistré avec le Crazy Horse, éternel backing band du Loner, qui sillonne les routes et grave le microsillon avec lui depuis plus de 35 ans. La publication de ce nouvel album pose immédiatement la question classique : un musicien n’ayant plus rien à prouver depuis longtemps qui sort deux albums en une seule année a-t-il encore des choses à dire ou va-t-il gaver son public avec du superflu ?
Lorsqu’on se rend compte que l’avant-dernier album « Americana » avait divisé fans et critiques qui s’étaient partagés en appréciations autant flatteuses que déçues, on pouvait appréhender quelque peu ce « Psychedelic pill » imprévu au calendrier des sorties. Mais Neil Young n’en est pas à son coup d’essai en matière de production stakhanoviste et ses 46 albums studio en 44 ans de carrière solo montrent bien que Monsieur Young à la gâchette facile en matière de production discographique.
« Psychedelic pill », donc. Eh bien, après écoute(s), on ne peut qu’admettre que l’album est plutôt bon, voire attachant. Mais attention, les amateurs de format pop à trois minutes la chanson risquent d’être fort décontenancés par ce double album contenant neuf chansons en tout et pour tout. Une simple règle de trois permet de comprendre que dans le lot, il va forcément y avoir des chansons fleuves. C’est d’ailleurs le premier titre qui se charge de mettre tout de suite les choses au point, avec un « Drifting back » de 27 minutes qui colle immédiatement l’auditeur sur des autoroutes interminables de solos rugueux et aériens. Le concept est peut-être rébarbatif sur le papier mais dans la pratique, ce « Drifting back » constitue un grand morceau de rock électrifié empreint d’une dignité certaine. « Ramada inn » et « Walk like a giant » forment les deux autres morceaux dépassant le quart d’heure et qui permettent encore à Neil Young et son Crazy Horse de déverser des tonnes de solos de guitare qui semblent couler d’une traite, entre deux couplets chantés d’une voix timide et charriant des paroles parfois assez absconses.
Ce sont finalement les morceaux courts qui mettent un peu des bâtons dans les roues de « Psychedelic pill », dont la cohérence est affaiblie par l’inclusion de quelques titres qui apportent très peu d’eau au moulin de Neil Young. « Born in Ontario » est un petit country blues aux sonorités sudistes qui ne va pas chercher midi à quatorze heures du côté des paroles. Quant à « For the love of man », c’est une gentille ballade qui ne ferait pas de mal à une mouche et dont la mélodie est d’un classicisme proche de la routine. Seul le morceau « Psychedelic pill » vient frapper là où ça fait mal avec ses ambiances hard rock seventies bien posées et triomphantes. Parmi les morceaux les plus remarquables figure le final « Walk like a giant » au refrain sifflé immédiatement mémorisable et aux paroles enfin revêtues d’un sens puissant. L’homme nous ressort en toute fin une deuxième version de la chanson « Psychedelic pill » avec un mixage différent, comprenne qui pourra.
Il n’en reste pas moins vrai que malgré un manque d’uniformité et des petits passages à vide, « Psychedelic pill » demeure un album intéressant du Loner, chargé d’émotion et riche en ondes de guitares péremptoires et évocatrices. On n’est plus dans « Everybody knows this is nowhere » (1969), « After the gold rush » (1970) ou « Harvest » (1972) mais au vu du résultat, on ne peut s’empêcher de penser que Maître Neil Young tient toujours les rênes du rock classique et qu’il en a encore à remontrer aux prétendants qui convoitent un peu trop lourdement sa place.
Pays: US
Reprise 9362-49485-9
Sortie: 2012/10/30