CD/DVDChroniques

CLUSTER – Cluster II

Notre évaluation
L'évaluation des lecteurs
[Total: 0 Moyenne: 0]

Beaucoup de choses fleurent bon la légende quand on évoque Cluster. Ce duo allemand a été un des tout premiers, avec Tangerine Dream, à se risquer sur les eaux profondes et insondables de l’expérimentation électronique. Les musiciens de Cluster ont également travaillé avec un des plus mythiques producteurs allemands de l’époque, Conrad « Connie » Plank. Et enfin, ils ont sorti leur deuxième album sur un label qui fait toujours rêver les collectionneurs de Krautrock : le label Brain.

Nous sommes à la fin des années 60 quand trois musiciens mettent au point une formation qu’ils baptisent Kluster (avec un K). Dieter Moebius (né en 1944 en Suisse), Hans-Joachim Roedelius (né en 1934 à Berlin) et Conrad Schnitzler (1937-2011) décident de creuser l’idée d’une musique entièrement électronique, ouverte par les Berlinois de Tangerine Dream en 1967 mais qui avait déjà des précurseurs dès les années 40 et 50 (Edgar Varese, Pierre Henry) et qui commençait à prendre forme dans le monde de la pop avec les Américains de Silver Apples, par exemple. Kluster produit deux albums studio en 1970 et 1971 (« Klopzeichen » et « Zwei-Osterei ») ainsi qu’un album live (« Eruption »). Les ventes dérisoires de ces disques laissent Kluster complètement dans l’ombre. Lorsque Schnitzler quitte le groupe en 1971, les deux membres restants continuent l’expérience sous le nom de Cluster (avec un C). Moebius et Roedelius trouvent un troisième complice en la personne de Conrad Plank, qui va produire leurs albums et utiliser cette production de telle façon qu’elle sonne comme une véritable instrumentation.

Le premier album de Cluster sort chez Philips en 1971. Ce gros label voit d’un œil ahuri les expérimentations électroniques de Cluster, qui accentue l’excentricité de son style en baptisant les trois morceaux de l’album d’après leur durée (« 7:42 », « 15:43 » et « 21:32 »). Les choses telles qu’elles sont engagées entre le label et le groupe trouvent vite une fin avec l’éviction de Cluster, qui est renvoyé à ses chères études, étant donné qu’il n’a aucune intention de faire faire du chiffre et du profit à Philips.

C’est Conrad Plank qui met Cluster en contact avec le label Brain, pour lequel il travaille. Brain est au début des années 70 un petit label qui va abriter la quintessence de la musique rock allemande, dans les domaines électroniques ou progressifs (Guru Guru, Grobschnitt, Os Mundi, Electric Sandwich, Thirsty Moon, Neu!, le premier album de Scorpions, Novalis, Embryo, Klaus Schulze, Jane, Birth Control : la liste est immense). Dans un environnement totalement avant-gardiste, Cluster est à l’aise pour sortir un deuxième album tout aussi fondamental que le premier.

« Cluster II » est le fruit de longues séances d’enregistrement entre Moebius, Roedelius et Plank, qui passent des heures à expérimenter des sonorités bricolées à partir d’instruments bien souvent fabriqués maison. Il faut savoir qu’au début des années 70, les synthétiseurs sont encore un produit de luxe et seules des formations très en vue peuvent s’en offrir. Le musicien de rock électronique doit avant tout être un électronicien plutôt qu’un compositeur. Une sélection est faite parmi tous les morceaux écrits et Cluster retient une demi-douzaine de titres, aux durées diverses (de quatre à quatorze minutes).

Le côté résolument atmosphérique et atonal de « Cluster II » pose les bases du rock spatial et plus précisément du rock cosmique. Le space-rock, c’est Hawkwind en Angleterre, mais le rock cosmique, c’est Cluster, peut-être plus que Tangerine Dream, qui est davantage planant. Les claviers et les instruments électroniques développent des nappes d’ambiances volatiles, éthérées, sidérales, qui ne sont pas vraiment construites sur des lignes mélodiques mais planent littéralement dans l’espace, évoquant des images et des sensations plus que des figures rythmiques sur laquelle une oreille cartésienne peut se raccrocher. Roedelius et Moebius peuvent se caler sur une note et la faire durer infiniment (« Plas », « Live in der Fabrik »), se figer sur un thème qu’ils développent interminablement (« Im Süden »), faire vrombir des stridences électromagnétiques en vagues stroboscopiques répétitives (« Für die Katz », « Georgel »). On se croirait parfois dans le laboratoire du docteur Morbius dans le fameux film Planète interdite (dont la musique de film était d’ailleurs carrément révolutionnaire en 1956). On n’imagine pas aujourd’hui combien la musique de cet album était visionnaire en 1972, posant toutes les bases de l’électronique dans la musique pop pour les trente années suivantes. Sans Cluster, pas de new wave, pas de drone, pas l’électro, tout simplement.

Cluster a perduré et est devenu une institution du rock expérimental allemand. Le duo sort régulièrement des albums jusqu’au milieu des années 90, puis entre un moment en léthargie jusqu’à une réactivation en 2007, s’offrant même un nouvel album studio avec « Qua » en 2009. Le label Reactive réédite les deux premiers albums de Cluster et il serait dommage de s’en priver si on aime la musique électronique, l’ambiant expérimental ou si l’on veut découvrir les arcanes et les secrets de ce qu’était le rock cosmique allemand des années 70.

Pays: DE
Reactive EREACD 1029
Sortie: 2012/06/25 (réédition, original 1972)

Laisser un commentaire

Music In Belgium