TOUCH – Touch
L’histoire de Touch trouve ses racines à Portland, dans l’Oregon où, en 1963, un garçon de 15 ans nommé Don Gallucci rejoint les Kingsmen. Ce groupe ne va pas tarder à embrasser pleinement la légende et le succès en enregistrant l’une des plus populaires versions de « Louie, Louie », sans doute la chanson la plus reprise au monde. Les Kingsmen entament à cette occasion une riche carrière où leurs cinq albums vont se vendre comme des petits pains. Mais Don Gallucci se voit interdire de tournée par ses parents puisqu’il est encore au lycée. Il ronge donc son frein en montant The Goodtimes à l’école, avec le batteur Bob Holden. Ce groupe devient rapidement Don & The Goodtimes quand le line-up est complété par Dave Childs (basse), Don McKinney (saxophone) et Pierre Oulette (guitare). En 1966, le groupe s’est installé à Los Angeles mais Pierre Oulette le quitte pour rejoindre Paul Revere & The Raiders, autre formation célèbre du Nord-Ouest des États-Unis (qui reprendra aussi « Louie, Louie »). Oulette est remplacé par Joey Newman (ex-Liberty Party) et Don & The Goodtimes s’enrichit de la présence du chanteur Jeff Hawks, qui arrive au moment où le groupe devient un habitué de l’émission TV « Where the action is » de Dick Clark. En même temps, la formation de Don Gallucci connaît les faveurs du Top 20 avec son single « I could be so good to you ».
Fin 1967, le paysage musical a totalement changé avec l’irruption du psychédélisme et de l’acid rock sur la scène californienne. Don Gallucci, Joey Newman et Jeff Hawks sentent bien qu’il faut abandonner la gentille pop pour s’enfoncer dans des chemins plus aventureux. Don Gallucci écrit à cette occasion le morceau « Seventy five », longue épopée psychédélique qui va servir de fondement au groupe Touch. Ce nouveau groupe voit le jour en 1968 et comprend donc Don Galluci (claviers et chant), Jeff Hawks (chant), Bruce Hauser (basse et chant), John Bordonaro (percussions et chant) et Joey Newman (guitare et chant). Le groupe se trouve aussi un manager en la personne de Gene Shiveley et établit des contacts avec le personnel des studios Sunset Sound situés sur Sunset Boulevard à Los Angeles.
Le groupe se retire dans un manoir sur les hauteurs de Los Angeles pour travailler d’arrache-pied sur son nouvel album. En invitant des pontes des maisons de disques aux répétitions, il se trouve un contrat avec le label Coliseum, une filiale de la maison London Records. Tout est donc prêt pour mettre au point un album qui va respirer la grandeur dans toutes les phases de son élaboration. Les sessions en studio sont menées par Gene Shiveley qui met en lice tout ce que la technique de l’enregistrement peut offrir de mieux à l’époque. Le bruit court qu’un groupe est en train d’enregistrer un chef-d’œuvre du psychédélisme et les visiteurs se pressent au studio pour venir voir ce qui se passe. Il y a tous les hippies qui s’infiltrent et qui sont mis dehors mais il y a aussi des visiteurs prestigieux : Grace Slick (de Jefferson Airplane), Jimi Hendrix (qui paie des heures de studio supplémentaires rien que pour écouter l’album) et Mick Jagger (qui réservera le Sunset Sound pour le mixage de l’album « Beggar’s banquet » des Rolling Stones).
La pochette n’est pas non plus à négliger. Faite d’un collage photographique avec le logo du groupe présenté dans une forme typiquement psychédélique, elle se déploie en trois volets et comprendra même un poster pour l’édition anglaise. C’est une des plus belles pochettes de l’époque et elle annonce le contenu de l’album, une œuvre résolument ambitieuse au son énorme, aux arrangements recherchés, véritable aventure spirituelle, cosmique et musicale. Sept titres composent ce qui peut être considéré comme un des premiers concept-albums de l’histoire du rock. Touch manipule différents styles : beat, jazz, psychédélisme, musique classique, avec déjà une touche de progressif qui annonce le genre. Le travail sur les sonorités aboutit à un ensemble varié qui s’enchaîne du début à la fin et donne l’impression d’une longue cavalcade matraquée d’épisodes sonores aussi variés qu’insolites. Le cours des choses prend un aspect déroutant mais reste parfaitement intéressant (« Down at Circe’s place », « We feel fine », « Seventy five »). Ce dernier titre notamment, avec ses presque douze minutes, est une montagne de psychédélisme rutilant, qui rappelle un peu ce que faisait Vanilla Fudge de l’autre côté des États-Unis à la même époque. Don Gallucci a composé tous les morceaux, souvent avec Joey Newman et parfois avec Jeff Hawks.
Coliseum Records commercialise l’album « Touch » en jetant en pâture le single « Miss teach/We feel fine ». L’album est très bien accueilli dans le monde musical, particulièrement en Angleterre où il devient une influence majeure pour des groupes comme Yes ou Uriah Heep, qui sont en cours de formation à l’époque. Mais Don Gallucci prend une décision qui va ruiner l’avenir de son groupe : il n’y aura pas de tournées parce qu’il est à son avis impossible de reconstituer sur scène la magnificence et la complexité de l’album de Touch. L’engrenage démarre aussitôt : lâchés par leur maison de disques, les gens de Touch en sont réduits à vivoter et ne peuvent même plus payer leurs factures. La dissolution du groupe est donc inévitable, et la chute de « Touch » dans l’oubli n’en est que plus spectaculaire. Une fois l‘expérience Touch passée, Don Gallucci devient producteur chez Elektra (on lui doit notamment la production du fameux « Funhouse » des Stooges) tandis que Joey Newman rejoint Blue Mountain Eagle avant de retrouver en 1974 Jeff Hawks et Bruce Hauser dans le groupe Stepson pour l’album « Stepson » sorti sur ABC.
La maison Esoteric Recordings a accompli le magnifique travail de remettre ce grand album de Touch sur les rails pour faire redécouvrir cette œuvre très injustement oubliée. Plusieurs titres bonus viennent enrichir le CD, notamment deux titres inédits qui devaient être inclus sur single et sur l’album mais qui furent remisés (« We finally met today » et « Blue feeling »). Les autres morceaux sont des prises alternatives de titres de l’album et le tout est magnifique.
Pays: US
Esoteric Recordings ECLEC 2310
Sortie: 2012/01/30 (réédition, original 1969)