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DQTÇ – Nullachtfünfzehn

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Le monde du rock underground a engendré bien des savants fous. On citera sans souci d’exhaustivité Frank Zappa bien sûr, mais aussi les Allemands de Guru Guru, les Américains de Cromagnon dans les années 60, les Godz, les Residents, Primus, Sunn O))), les Italiens farfelus de Zu ou les Japonais timbrés d’Acid Mother Temple. Eh bien, tous ces braves gens restent en fait outrageusement rationnels quand il s’agit de les comparer à dQtç, qui les renvoie tous dans la catégorie des compositeurs de musique de cirque ou de bande originale des films de Rambo.

dQtç arrive de Suisse et son nom a déjà donné bien du fil à retordre à tous les spécialistes des patronymes étranges, qui ont tenté en vain de décrypter la signification de ces quatre lettres assemblées entre elles sans aucun souci de logique. La logique est également exclue de la musique du groupe, qui est essentiellement basée sur de l’improvisation électro hardcore renversant les codes établis et précipitant l’auditeur dans la huitième dimension. En effet, les amateurs de rythmes bien structurés et de mélodies savamment construites vont pouvoir prendre leurs jambes à leur cou en voyant arriver ce combo plus qu’étrange et ils laisseront la place à tous les curieux, les aventuriers de l’impossible, les défricheurs d’espace-temps et les cultivateurs de champignons hallucinogènes.

Le nom de l’album, « Nullachtfünfzehn », a par contre une signification bien précise. Il fait référence à un terme militaire allemand qui qualifie ce qui est standard, normal, voire de qualité médiocre et qui est destiné à disparaître rapidement. C’est également une référence au mois d’août 1915, date où les statuts de l’armée allemande ont été modifiés en profondeur, notamment avec l’entrée en service du nouveau modèle de casque à boulons, en remplacement du fameux casque à pointe. C’est également le nom de la mitrailleuse Maxim 08/15, la première mitrailleuse légère allemande qui allait se rendre tristement célèbre sur les fronts de la Première Guerre mondiale. Toutes ces références martiales et lugubres ont été choisies à dessein pour cet album de dQtç, qui se veut dévastateur comme une mitrailleuse et foncièrement original, en contrepoint de la banalité évoquée par les termes 08/15.

Les musiciens du groupe, à savoir Lionel Friedli (batterie), Vincent Membrez (programmation) et Antoine Läng (voix et électronique) livrent ici une des œuvres les plus déroutantes qu’il m’ait été donné d’entendre. Déjà, les titres : « dçtQd », « Qtçç », « dtçQt », « çtQ », « tQQd », « tçtçQd » et « Qd ». Oui, alors, la cellule d’isolement, c’est la première à droite. Pour les piqûres de calmants, il faudra repasser à cinq heures… Et quand on rentre dans la musique, c’est le grand tourbillon dans l’invraisemblable. Les balles de golf jetées sur les cymbales, les vibrations électroniques cosmiques, les incantations chamaniques en caisse de résonnance, les claviers branchés directement sur la centrale nucléaire la plus proche, etc. C’est tout simplement indescriptible, hallucinant, cyclotimique, maniaco-dépressif et foncièrement anti-harmonique.

Inutile de vous dire que pour juger une telle œuvre, c’est une pure question de goûts personnels et subjectifs. Personnellement, je trouve ce disque fabuleux mais j’ai déjà pris rendez-vous avec mon psy au cas où il me viendrait à l’idée de me le passer en boucle pendant une semaine. Il faut en effet reconnaître qu’à la longue, « Nullachtfünfzehn » a une petite tendance à taper sur le système (les morceaux font dans les douze minutes de moyenne et on s’en prend quand même pour une heure et vingt minutes). Un petit quart d’heure en moins aurait un peu allégé les propos et on n’aurait pas l’impression de se faire aplatir par un rouleau compresseur. Mais cette densité entêtante et déstabilisatrice est justement l’atout de cette œuvre qui interroge, qui bouscule, qui apporte de l’eau au moulin.

Alors, « Nullachtfünfzehn », bande originale du prochain film de Lars Von Trier ou de David Lynch ? On ne sait pas mais une chose est sûre : ce disque mérite qu’on s’y intéresse de près ou de loin, ne serait-ce que pour savoir jusqu’où on peut aller dans l’audace expérimentale. Il n’y a qu’un album qui peut sérieusement rivaliser avec cet OVNI insensé : « Metal machine music » de Lou Reed.

Pays: CH
Invaders Records
Sortie: 2011/06/01

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