TANGERINE DREAM – Zeit

Les Allemands n’ont pas toujours fait de la fanfare bavaroise ou inventé des groupes de rock immondes comme Tokio Hotel. Durant les années 70, le rock allemand a connu des sommets, dans les domaines progressifs, psychédéliques ou heavy rock, sans parler du space-rock qui a eu son groupe phare : Tangerine Dream. Au départ formé par Edgar Froese en 1967, Tangerine Dream s’est illustré avec des albums hautement inspirés, parfois durs à suivre, qui ont fondé les bases du rock cosmique. Plus planant que Pink Floyd, plus aventureux que Yes, plus léger qu’Hawkwind, Tangerine Dream a incarné la frange la plus intellectuelle du rock allemand. Il arrive à une période précise de l’histoire du krautrock, se posant en précurseur de la musique électronique et du drone. Son succès s’est étendu dans les années 70 et 80 et doit beaucoup à ses œuvres maîtresses que sont « Alpha Centauri » (1971), « Zeit » (1972), « Phaedra » (1974) ou « Stratosfear » (1976). Le groupe existe encore aujourd’hui et est toujours animé par Edgar Froese.

« Zeit », précisément, est l’objet de tout notre intérêt aujourd’hui. À l’époque, Edgar Froese (guitare, synthétiseurs), Chris Franke (synthétiseurs) et Peter Baumann (synthétiseurs) se réunissent pour leur troisième album dans les studios de Dieter Dierks (le roi des producteurs allemands des Seventies, avec notamment Scorpions à son actif) et accouchent d’un double album de quatre morceaux de près de vingt minutes chacun en un temps record de trois jours. Et trois jours pour un résultat qui donne carrément dans le suprême, il ne faut pas se voiler la face, c’est la preuve qu’à l’époque, on savait y faire. Certes, dans le genre, parce que le genre cosmique, il faut quand même entrer dedans, ce n’est pas donné à tout le monde.

Alors, je m’adresse aux plus jeunes d’entre nous, que j’entends déjà dire : « Mais qu’est-ce que c’est que le rock cosmique ? Mais non ! Nous, on veut les Kooks ! ». Non, non, non, il faut vraiment retourner aux sources, se replacer dans le contexte, faire une démarche d’historien. En 1972, on est trois ans après le premier pas de l’homme sur la Lune et également trois ans après Woodstock, le festival d’une génération libre. La mode était au cosmique, à la recherche de nouvelles frontières mentales. La mode, c’était le périple à Katmandu, la recherche de l’accomplissement total, du nirvana ; boire le thé avec Bouddha. Et le genre de musique de Tangerine Dream était tout à fait prédestiné à accompagner les jeunes dans leur voyage initiatique, dans leur commerce cosmique dans leurs retrouvailles avec les planètes. Alors, évidemment, de nos jours, avec notre misérable petite fin du monde qui s’annonce, que voulez-vous encore comprendre à ça ? Eh bien pourtant, il faut encore considérer la musique de Tangerine Dream comme quelque chose d’important, que l’on peut toujours redécouvrir de nos jours. Certes, c’est vraiment daté, c’est complètement ancré dans les années 70. Mais justement, la question se pose : les années 70 n’étaient-elles pas la vérité, l’accomplissement, du moins en matière musicale ?

La réédition faite par Esoteric Recordings tombe en effet fort à propos pour redécouvrir cet album « Zeit », incroyable moment décomposé en quatre phases, sans aucune rythmique de batterie, uniquement en ambiances, avec des harmonies de claviers qui sont lancées, qui volent au-dessus de nos têtes dans des mouvements uniformes, avec parfois des petits bruitages issus des synthétiseurs. Il faut se rappeler que le synthétiseur est à l’époque la grande innovation. Et c’est là qu’on comprend toute l’importance qu’a eu Tangerine Dream dans le rock allemand.

Pour être tout à fait complet, cette réédition de « Zeit » est enrichie d’un disque supplémentaire qui propose un concert enregistré à Cologne le 25 novembre 1972, intitulé « The Klangwald performance ». Ici, deux longues plages de 40 minutes chacune inondent l’atmosphère de nappes d’orgues plutoniennes et d’ambiances astrales. J’admets que si on n’est pas fan de Tangerine Dream, ce genre de morceaux devra être payé à titre d’heures supplémentaires pour ceux qui ont osé s’y aventurer. Il n’en reste pas moins vrai que Tangerine Dream reste un groupe majeur dans l’histoire du rock cosmique et qu’il ne faut pas le négliger, ne serait-ce que pour des soucis de culture générale.

Pays: DE
Esoteric Recordings / Reactive EREACD 21017
Sortie: 2011/05/30 (réédition, original 1972)