SOFT MACHINE – Alive & Well – Recorded in Paris
Dès ses débuts dans les années soixante, Soft Machine a connu une instabilité de personnel chronique. Les départs et arrivées se sont succédé à un rythme élevé. Si onze albums ont été publiés entre 1968 et 1981, aucun n’a compté un personnel identique. Ces bouleversements constants n’ont pu qu’influer sur la musique et le style du groupe.
Mike Ratledge, le dernier membre original, a accompagné ses mutations jusqu’à son départ en mars 1976. Karl Jenkins avait alors repris le flambeau officiellement. Il faut dire qu’officieusement, il tenait déjà les manettes depuis longtemps. Arrivé en mai 1972 sur proposition de John Marshall entré quatre mois plus tôt, ex-Nucleus comme lui, il s’était vite imposé comme le rouage essentiel. Pianiste, saxophoniste, hautboïste, compositeur prolifique, chef d’orchestre, … il avait conforté l’orientation Jazz-Rock choisie par Hugh Hopper et Mike Ratledge. En décembre 1973, l’arrivée du virtuose Allan Holdsworth avait encore permis une nouvelle évolution intéressante. Outre une approche et un son différents, elle signifiait le retour définitif de la guitare dans un groupe qui l’avait oubliée depuis le départ de Daevid Allen, au tout début. Invité à rejoindre le New Tony Williams Lifetime, offre impossible à refuser, il quittait le groupe après la sortie de « Bundles » (1975), non sans avoir eu la bonne idée de proposer un remplaçant de haut niveau en la personne de John Etheridge. En avril 1975, le relai était pris. « Softs » (1976) était enregistré avec lui.
À travers le temps, en dépit de ses qualités intrinsèques, d’un nombre toujours important de concerts prestés et de ventes d’albums honnêtes à défaut d’être pléthoriques, le groupe n’est jamais parvenu à rémunérer convenablement ses membres. La faiblesse de sa gestion semble en être la cause principale. En conséquence, le plaisir évident de participer au projet n’a pas toujours compensé la nécessité de nourrir une famille. C’est ainsi qu’entre l’enregistrement de « Softs » au début de l’année 1976 et ces quatre concerts donnés à Paris en juillet 1977, le groupe a, comme d’habitude, subi de nouveaux remue-ménages. En septembre 1976, le violoniste Rick Sanders a pris le relai du saxophoniste Alan Wakeman d’abord, puis du flûtiste et saxophoniste Ray Warleigh ensuite, et, en décembre 1976, le bassiste Steve Cook (ex-Gilgamesh, Mirage) a remplacé Roy Babbington puis l’intérimaire Percy Jones (Brand X).
Pourtant, malgré ces difficultés et d’autres en prime, dont un vol de matériel, « Alive & Well » montre un groupe équilibré, en pleine possession de ses moyens. Aux onze titres de l’album original publié en 1978, Esoteric Recordings en a rajouté huit, également enregistrés lors de ces concerts et d’une qualité quasiment équivalente.
Par rapport aux versions précédentes de Soft Machine, il faut noter deux modifications majeures. D’abord, le saxophone disparaît totalement du paysage. Ensuite, le violon apparaît. Il apporte un vent de fraîcheur au son du groupe et ouvre une porte vers le Mahavishnu Orchestra (« Surrounding Silence », « Huffin’ »).
Parmi les confirmations, la guitare reste un pôle essentiel et immédiat d’attractivité, en scène particulièrement. Les performances techniques de John Etheridge demeurent impressionnantes (« Odds Bullets and Blades pt II », « Huffin’ », « Number Three », « The Tale of Taliesin »). Elles le sont d’autant plus qu’elles évitent le nombrilisme et la stérilité ; le collectif reste préservé, parfois sublimé (« The Nodder »). De son côté, Karl Jenkins ne fonctionne pas dans le même registre. Loin des exhibitions techniques, il compose, prépare, organise et assied. Lorsqu’il mène le mouvement, il travaille plutôt le rythme et l’atmosphère (« White Kite », « Song of the Sunbird »). Plus que jamais, il s’inscrit alors dans la continuité de Mike Ratledge et de Soft Machine. Il tente aussi d’autres ouvertures, comme ce mélange étonnant de psychédélisme et de musique électronique à la Cerrone (« Soft Space »). En dehors de son talent habituel de batteur et de percussionniste, John Marshall garde une influence décisive sur la composition du groupe. L’incorporation d’un violoniste est son choix. Quant au nouveau bassiste, son jeu apparaît plus diversifié et moins profondément marqué par le Jazz (« Odds Bullets and Blades pt I », « Organic Matter »).
À partir de septembre 1977, avec un nombre de plus en plus réduit de prestations en concert, Soft Machine se désintégra de lui-même. L’époque troublée le favorisait. Publié en 1981, « Land of Cockayne » ne fut qu’un bref sursaut. Il fallut attendre le siècle nouveau pour voir la véritable résurrection.
En conclusion, « Alive & Well » mérite une place dans la discothèque de chacun. Il montre un groupe en pleine forme, à la recherche d’une nouvelle voie, capable du meilleur, qui ne vit pas dans le confort du passé. À l’exception de deux titres, le matériel présenté ici est neuf. Rarissime sur un album en public, ce fait est à souligner.
CD1 (38’37) :
- White Kite (Jenkins)(3’00)
- Eos (Jenkins)(1’20)
- Odds Bullets and Blades pt I (Jenkins)(2’19)
- Odds Bullets and Blades pt II (Jenkins)(2’33)
- Song of the Sunbird (Jenkins)(1’25)
- Puffin’ (Jenkins)(1’17)
- Huffin’ (Jenkins)(4’42)
- Number Three (Etheridge)(2’26)
- The Nodder (Jenkins)(7’12)
- Surrounding Silence (Sanders)(4’05)
- Soft Space (Jenkins)(8’18)
CD2 (56’11) :
- K’s Riff (Jenkins)(4’41)
- The Nodder (Jenkins)(7’13)
- Two Down (Marshall/Etheridge)(2’27)
- The Spraunce (Cook/Lemer)(6’27)
- Song of Aeolus (Jenkins)(3’41)
- Sideburn (Marshall)(7’43)
- The Tale of Taliesin (Jenkins)(8’08)
- Organic Matter (Cook) / One Over the Eight (Jenkins/Marshall/Etheridge/Wakeman/Babbington)(5’55)
- Soft Space Part One (Jenkins)(4’15)(*)
- Soft Space Part Two (Jenkins)(5’41)(*)
(*) bonus (sorti en simple en avril 1978)
Les interprètes :
- John Marshall : Batterie & Percussions
- Karl Jenkins : Piano, Claviers & Synthétiseurs
- John Etheridge : Guitares
- Rick Sanders : Violon
- Steve Cook : Basse
Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC 22234
Sortie: 2010/10/29 (réédition, original 1978/04)