SINGE BLANC (Le) – Witz
Ouh là ! Pour être déjanté, c’est déjanté. Quelque part entre génie et cacophonie, comment choisir entre ces deux extrêmes apparentes ? Chacun se fera sa petite idée. Se basant sur deux basses, une batterie et une voix, le groupe joue une musique noise rock qu’il qualifie lui-même de régressif. Ne les détrompons pas et acceptons le vocable. Why not ? Et tant que nous y sommes, prenons le parti que c’est génial et décapant !
Tout est bizarre dans cet album : les titres, la « voix » spasmodique du chanteur, que l’on assimilera à des borborygmes, l’absence de guitare, remplacée par une deuxième basse, et puis la musique, qui ne ressemble à rien. C’est une juxtaposition de bruitages, de bouts de phrases, de leitmotivs répétés à foison. C’est l’expérimentation créative portée à son paroxysme, la musique décalée poussée à ses limites. Ecoutez le premier titre, « Moogy free », et vous comprendrez. Parfois, pour situer leur musique, on évoque Captain Beefheart, Père Ubu ou Public Image Limited. Est-ce pertinent pour une musique qui ne ressemble à aucune autre et des paroles incompréhensibles ? A vous de juger.
« Basta », comme cet album, est un titre qui interpelle et défie toute classification. La démarche du « Singe blanc » rappelle celle de Whirlwind Heat, en plus déjanté encore. Le cri animal, la basse proéminente, le rythme saccadé et déstructuré, créent une symphonie dissonante pour psychiatres en mal de diagnostic.
Si l’on devait comparer ce CD à un film, ce serait à « La tête contre les murs », réalisé par Jean-Pierre Mocky, tiré du roman très noir de Hervé Bazin. C’est vous dire si ça respire la joie de vivre ! Quand on sait que le groupe provient de Metz, ville industrielle qui se nourrit en partie de vestiges crasseux et de déchets industriels, comme bientôt Charleroi ou Liège, au demeurant, on s’étonnera moins de cette noirceur et de ce chaos omniprésent. C’est le tribu à payer à un passé glorieux qui a fait croire que tout est possible, toujours … Ecoutez « Ramrupt » et vous souscrirez à cette hypothèse ! Cela tient plus de l’asile d’aliénés que de la vie dite normale … C’est connu, la situation économique et ses conséquences peuvent rendre fou et pousser au suicide.
A la fois cri d’angoisse et vecteur d’espoir, cet album est un îlot de résistance larvée à un avenir trop tôt défini par les décideurs. La Lorraine n’est pas encore morte et, comme la Wallonie, sa musique rock le fait savoir « urbi et orbi », et de bien belle façon ! A bon entendeur …
Autre titre phénomène, « Noïazfensch » comporte des hullulements de chouette, des bruits de trains parcourant les ateliers d’usines (ce bruit intemporel m’a toujours fasciné), des bruits de fabrication allant crescendo pour déboucher sur des phrases ressassées genre « c’est un danger public ». C’est plus qu’original et cela traduit bien l’environnement d’une région, des impressions d’enfance longtemps restées à l’état latent, des sentiments fugaces … C’est bien de génie qu’il s’agit pour transposer ainsi un vécu ressenti, consciemment ou inconsciemment, avec les tripes.
C’est produit par Acracia Productions (Torpid, …), dont l’enthousiasme tient lieu de fortune. Le résultat est à la mesure de l’effort fourni : très efficient compte tenu des moyens limités. Torpid, Le singe blanc et Raxinasky sont en tournée en Belgique et récoltent les fruits d’un choix délibéré et d’une qualité pas encore démentie. Si vous aimez l’anticonformisme, tentez l’aventure et ne manquez pas leurs concerts !
Les titres :
- « Moogy free »
- « Eilaorch »
- « Yniwouki »
- « Basta »
- « Ramrupt »
- « Foutch »
- « Darjeeling »
- « A 41 »
- « Broïd »
- « Noïazfensch »
- « Daïkiri »
- « Beurk DTT »
- « Schnoudlar »
- « Cretaradchy »
Pays: FR
Acracia Productions LSB04 (autoproduit)
Sortie: 2004/02