MGMT – Oracular Spectacular
C’est un truisme, le contexte politique et socio – économique international a beaucoup évolué au cours des vingt dernières années. La mondialisation a complètement modifié les rapports de force et les sources d’énergie constituent un enjeu majeur, tandis que la violence règne en maître sous l’impulsion de la religion, qui devrait être un élément de stabilité. En même temps, les pays occidentaux en déclin sont confrontés à une décadence qui remet en cause ses valeurs fondamentales. L’Empire romain a vécu un phénomène semblable et a vu apparaître un hédonisme qui s’est substitué chez les gouvernants à la perte du sens du bien public au profit de quelques-uns. Les citoyens, eux, finissent par perdre le sens du réel. Pour faire très court, c’est dans ce contexte global qu’on évolue aujourd’hui.
Les arts, quand ils ne sont pas brimés par les dirigeants des pays totalitaires, sont l’expression et le reflet de la société concernée. Ces attitudes des dirigeants engendrent des réactions de certains citoyens, notamment les plus jeunes ; elles débouchent parfois sur la recherche d’un paradis perdu. C’est cette impression diffuse que l’on ressent aujourd’hui en écoutant cet album. Certains se révoltent, d’autres recherchent le salut dans l’évasion. La musique s’inscrit ainsi dans une sorte de no man’s land druggy et psychédélique où on tente de retrouver des aspirations profondes telles que la paix intérieure, que certains ne parviennent plus à atteindre par d’autres moyens. La drogue n’est qu’un moyen d’évasion comme un autre mais il fait seulement beaucoup plus de dégâts.
Le rock urbain arty du groupe qui mêle un électro glam rock décadent au disco naît de ce contexte troublé et provoque chez certains un réconfort propice à la lutte contre un mal être qui se traduit par une insatisfaction profonde. Pour MGMT (prononcez « management »), la réaction est une manifestation de folie douce qui entraîne l’adhésion. Moins furieuse que celle de Animal Collective ou Clap Your Hands Say Yeah, sa folie relève pourtant de la même démarche intellectuelle et en devient presque subversive par le refus de cette société où l’homme n’a plus sa place.
« Time To Pretend » débute par des gimmicks électroniques qui sont le fait du producteur Dave Fridmann, un spécialiste du genre qui a notamment travaillé avec les Flaming Lips et Mercury Rev. La musique est lancinante et s’impose au subconscient par la répétition du même thème musical. Sur le plan des paroles, on relève cette phrase : « Let’s make some music, make some money, find some models for wives. / I’ll move to Paris, shoot some heroin and fuck with the stars. » Et un peu plus loin celle-ci, qui ressemble à un credo : « This is our decision to live fast and die young. / We’ve got the vision, now let’s have some fun. / Yeah it’s overwhelming, but what else can we do? / Get jobs in offices and wake up for the morning commute? ». Mais tout ça est teinté d’ironie et il ne faut pas tout prendre au sérieux.
Sur « Weekend Wars », la voix se fait toute menue pour mieux persuader ou pour mieux séduire. On pense aux Sparks. C’est presque devenu un procédé. Est-ce une façon de retrouver l’innocence de l’enfance ? Sur le plan musical, ça ressemble à un hommage aux Rolling Stones des débuts, qui n’avaient pas cette préoccupation. « The Youth » met aussi en musique un autre thème garni par des bruitages qui rappellent sans doute un « voyage ». Andrew Vanwyngarden et Ben Goldwasser sont décidément des adeptes d’une musique expérimentale originale, ponctuée par des arrangements des cordes assez géniaux.
Par les voix, « Electric Feel » fait penser aux Bee Gees. Il commence aussi par des effets électro remarquables et frais et cette fois, le thème est répété avec des variations d’intonations et des changements de rythme. On est décidément en présence d’un groupe qui pourrait aller loin, à condition d’éviter les problèmes d’ego. « Kids » est un morceau magnifique et très innovant sans que les éléments électroniques ne soient gênants. Ici aussi, c’est un thème lancinant à l’orgue qui revient comme un leitmotiv. Vers la fin, le morceau s’inspire du classique puis reprend le thème habituel qui constitue le repère ultime.
« 4th Dimensional Transition » est encore plus déroutant et le rythme se fait cavalcade pour se calmer quand le chant survient et reprendre de plus belle un peu plus loin. On est de nouveau dans un contexte propice à la créativité et au délire pour se calmer par la suite et terminer dans la sérénité. « Pieces Of What » est un morceau acoustique bizarroïde où la voix de falsetto est bien mise en évidence. De nouveau, c’est un hommage prononcé aux groupes des sixties.
De facture plus classique, « Of Moons, Birds & Monsters » est un up tempo saccadé qui démarre sur les chapeaux de roue et fait intervenir des percussions très appuyées et des harmonies vocales de toute beauté. Les riffs de guitare sont aussi dignes d’être mis en exergue, de même que le chant impeccable. Mais la deuxième partie est beaucoup plus nuancée et la guitare cette fois mène le jeu jusqu’à la fin, qui se mue en cacophonie savamment organisée.
« The Handshake » démarre tout en douceur. Ici, le chant est beaucoup moins conventionnel et déroute complètement. De nouveau, les gimmicks du producteur habillent le morceau d’un manteau de créativité et lui donnent un aspect expérimental. « Future Reflections » est plus enlevé et change de rythme après quelques secondes. On retrouve un peu les gimmicks qui accompagnent le trip druggy de « The Youth » et le synthé reprend ses droits. Le chant devient plus conventionnel et intimiste, comme si on expliquait quelque chose d’important pour se terminer dans un flottement qui génère un bien-être apaisant.
Remarquable album pour un début. On y gagne à chaque écoute et ça finit par pénétrer dans le subconscient. Le duo peut aller loin mais le mérite du producteur n’est pas mince. La découverte d’un talent original ! New York la multiculturelle, c’est là que ça se passe pour le moment.
Pays: US
Columbia / Sony BMG 88697195122
Sortie: 2008/03/31