LONG BLONDES (The) – Someone To Drive You Home
Encore un groupe anglais ! direz-vous. Est-ce leur faute s’ils ont l’infrastructure adéquate, des écoles, des salles petites, moyennes et grandes et même des stades où, en fonction de leur importance, leurs groupes peuvent se produire et vivre de leur travail et surtout, un public fervent qui, comme au foot mais sans les hooligans, a le goût du spectacle et soutient à fond ses artistes rock depuis plus de quarante ans. Cet engouement pour la musique populaire relayé par la presse provoque une émulation et une rivalité profitable à tous. Pour certains, c’est même la seule façon d’échapper à la pauvreté. Alors, ne nous étonnons pas de les voir proliférer. Au lieu de les critiquer, nous ferions bien de nous inspirer de leurs méthodes, de les imiter dans ce qu’ils font bien et de soutenir nos propres groupes. Même si la situation s’améliore, ce n’est pas demain qu’ils auront un soutien massif de nos responsables politiques dont les préoccupations, c’est un euphémisme, sont parfois un peu différentes.
Que n’a-t-on dit sur les blondes ? En l’occurrence, ici, les grandes blondes sont trois : deux brunes et une rousse. Une blague au deuxième degré, sans doute. En tout cas, le groupe possède déjà une star en puissance, la chanteuse Kate Jackson, 27 ans, qui rappelle à la fois Debbie Harry (Blondie) pour les déhanchements suggestifs, Karen O (Yeah Yeah Yeahs) et Polly Jean Harvey pour les fringues sexy et Alison Mosshart (The Kills) pour la séduction suave, l’attitude sauvage et le jeu de scène convulsif. Une vraie bête de scène qui a aussi un côté espiègle, un charisme rare et un très bon contact avec le public. On aurait intérêt à voir le groupe évoluer devant un public anglais, dont on connaît la dévotion pour ses artistes.
En plus de ses goûts vestimentaires sexy mais élégants hérités de son travail temporaire comme mannequin, Kate Jackson a un penchant féministe sans tabou qui se traduit dans les paroles pleines de saveur impertinente du guitariste. Cela rend certains aspects assez ambigus ou même équivoques puisque c’est elle qui les chante. Car c’est bien le guitariste Dorian Cox qui, à part deux titres, compose les textes, le groupe se chargeant de la musique festive et propice à la danse. Un vrai régal ! Une bénédiction pour les yeux et les oreilles ! Si vous avez vu la vidéo disponible sur le net de « Lust In The Movies » lors de leur passage en direct à la Maroquinerie à Paris à la mi-décembre, vous êtes déjà convaincu. On retrouve un peu l’ambiance fun, jubilatoire et débridée du CBGB’s à New York au milieu des seventies. Ce titre est sorti en single peu avant l’album et constitue une promo idéale, une opération marketing menée de main de maître !
Minimaliste et crue, parfois fruste, leur musique n’est pas précisément une brillante démonstration technique. Tous les musiciens du groupe ont une connaissance sommaire de la musique – ils l’ont apprise ensemble – mais ils compensent cette lacune par une énergie jamais prise en défaut et donnent leur pleine mesure sur scène. Ils ne s’en cachent pas ; au contraire, ils en jouent pour mieux servir leur dessein : amuser et faire danser le public et de ce point de vue, l’album est une vraie réussite. Leur autre point fort réside dans les paroles faussement simplistes du guitariste Dorian Cox et leur originalité, c’est de faire dire ces paroles par une jeune femme. Ce choix délibéré crée l’ambiguïté sur des sujets comme le sexe, les relations amoureuses et l’infidélité. Dits par une femme, certains propos de « Once And Never Again », par exemple, semblent parfois trahir un penchant homosexuel entre la jeune fille et sa « conseillère » : « Tu n’as que dix-neuf ans, tu n’as pas besoin d’un petit ami ». Cela traduit bien certains choix de société, dont la tolérance à l’égard de l’homosexualité.
Sur « Only Lovers Left Alive », quand elle parle de l’infidélité de son bonhomme, le sentiment dominant est la jalousie : « Tu ne peux pas la surveiller tout le temps et tu ne peux plus croire un mot de ce qu’elle te dit ». Mais ailleurs, sur la ballade « Heaven Help The New Girl », où la voix de Kate Jackson donne sa pleine mesure et fait un malheur, le seul titre qui introduit un peu de mélancolie dans ce contexte festif et qui apporte une respiration bienvenue au milieu de ces morceaux pop ou punk débridés, elle devient compréhensive : « Que le ciel aide la jeune élue si elle doit passer par où je suis passée ». Malgré sa déception, elle fait preuve de compassion envers celle qui la remplace dans le coeur de son boyfriend infidèle car elle devra supporter le même traitement qu’elle. Sur le plan strictement musical, c’est le meilleur titre de l’album, celui qui exprime le mieux de vrais sentiments et non des sensations.
Plus loin, sur « Separated By Motorways », un titre sorti en simple dont elle a composé les paroles, c’est le féminisme et le désir d’émancipation qui apparaissent : « Séparées par des routes, deux filles solitaires partent en goguette », qui rappelle un peu l’escapade du film « Thelma & Louise » de Ridley Scott, en tout cas le côté festif du début.
Parfois compréhensive quand son ami la jette pour une autre, elle semble encourager la tolérance et la largesse d’esprit face à l’infidélité sur « You Could Have Both » : « C’est l’évidence, tu es un homme à la recherche de sa propre satisfaction mais tu sais où je suis et tu peux avoir les deux ». Elle tolère une intruse dans sa relation « parce que ce sera salutaire pour le couple », dit-elle. Y a des mecs qui ont de la chance … « Weekend Without Makeup » a une connotation sexuelle plus prononcée : « Je ne veux pas nécessairement des exploits mais juste que tu remplisses tes devoirs », ce qui dénote de sa part une grande sagesse. Elle doit avoir lu quelque part les résultats de l’étude faite sur la virilité masculine. Mais un peu plus tard, elle insiste et confesse : « Je t’ai dans la peau ». A l’écoute amusée de ces différentes facettes non pas d’une personne mais d’une jeunesse en voie de libération, on s’achemine vers la fin d’un CD agréable avec le sentiment qu’il est trop court et on s’étonne qu’il soit déjà presque terminé.
Festif, jubilatoire, hédonique mais plein de fraîcheur, cet album constitue une vraie réussite dans le genre. Il est destiné à une frange de public jeune qui ne s’embarrasse ni de morale ni de religion mais veut vivre sa vie intensément sans se soucier du lendemain et dans le respect des choix de chacun. Témoignage descriptif mais pas encore normatif, il apporte mine de rien, par petites touches, sans vouloir généraliser de manière intempestive, un éclairage original sur la mentalité d’un fragment important d’une génération privilégiée. Très tendance, il pourrait faire un malheur ! Une découverte et un groupe à surveiller de près !
Pays: GB
Rough Trade RTRADCD364
Sortie: 2006/11/06