MORNINGWOOD – Morningwood
Comment qualifier la musique pratiquée par un groupe dont le nom signifie « érection matinale » et dont les morceaux parlent presque exclusivement de sujets cantonnés sous la ceinture ? Libido rock ? Au diable les étiquettes, finalement. Composés pour la plupart par Chantal Claret, chanteuse libertine, et le bassiste Pedro Yanowitz, ils s’inscrivent dans un double contexte : le rejet des valeurs conservatrices traditionnelles et le refus de soumission de la femme par le biais de la libération sexuelle. Pour illustrer ce choix, ô paradoxe, Morningwood brandit son nom comme un symbole phallique érigé en permanence vers la voûte céleste dans un esprit punk bien affirmé. Comme disait l’autre, on se valorise comme on peut mais dans l’Amérique puritaine d’aujourd’hui, c’est moins anodin qu’il n’y paraît ; ça prend valeur d’exemple et ça ressemble à un acte de défi envers les autorités conservatrices.
Bref, le sexe constitue le fond de commerce du groupe. De plus, la chanteuse en question prétend ressembler à Mae West, une plantureuse actrice des années trente. Cette vedette new yorkaise bien en chair, aux formes généreuses, comme elle, a écrit à cette époque une pièce intitulée « Sex ». Vous imaginez le scandale il y a plus de septante ans, quand les femmes n’osaient pas dévoiler leurs chevilles sur les plages, de peur de choquer la population ? Elle a fait de la prison pour ça d’ailleurs, la pauvre. Elle était très en avance sur son temps ; ce n’est jamais de tout repos.
Bien sûr, Mae West, ce n’est pas Greta Garbo, sa contemporaine. Elle, c’était la classe à l’état pur, le bon goût, une certaine idée du raffinement. Sans vouloir le moins du monde la dénigrer ni lui manquer de respect, Chantal Claret, la chanteuse de Morningwood, ce n’est pas vraiment ça non plus. C’est plutôt un mélange de chanteuses sexy comme Karen O (Yeah Yeah Yeahs), Alison « VV » Mosshart (The Kills), Deborah Harry (Blondie), Chrissie Hynde (The Pretenders) et Shirley Manson (Garbage). De ces chanteuses, elle a hérité le sex appeal et, il faut bien le dire, une certaine vulgarité. Sur cet album, c’est sa dualité femme-enfant – bête de sexe qui est mise en évidence. Sa voix est tantôt cajoleuse, tantôt tigresse et à 23 ans, c’est une star en puissance. Ne lui déplaise, Courtney Love peut aller se rhabiller.
Quant à la musique jouée par Morningwood, c’est un mélange explosif de Yeah Yeah Yeahs première mouture, Elastica, Veruca Salt et Hole. C’est vous dire si ça déménage ; ça se défend plutôt bien et les radios vont s’en emparer vite fait. Un titre comme « Nth Degree », morceau pop punk irrésistible au rythme limite hypnotique, avec des guitares saturées, des riffs agressifs et une voix de féline en chaleur, a tout pour pulvériser le top des charts en une salve chromatique appétissante et faire du groupe Morningwood le combo en vue de cette fin d’année. Les ados vont adorer ! En tout cas, pour le moment, on ne s’en lasse pas. Pour combien de temps ?
Il faut mentionner aussi « Nü Rock », porté par une voix agressive et une rythmique d’enfer, « Jetsetter », qui alterne un descriptif explicite très poussé où la chanteuse s’énerve et des parties empreintes de plus de douceur où sa voix se fait charmeuse, et « Take Off Your Clothes », titre mélodieux, obsessionnel et accrocheur qui ne laisse pas planer le moindre doute : on n’y parle pas de protection de l’environnement ni des élections communales, à moins de changer une lettre à ce dernier sujet. Ajoutons à ce panel « Babysitter », un morceau où la belle se livre à des jeux initiatiques pour le moins originaux mais qui sait faire preuve de nuance malgré un rythme plus que soutenu et « Easy », titre phare par excellence, imparable de bout en bout. Ce sont aussi des fers de lance pour un groupe qui a parfaitement compris l’esprit frondeur du rock et qui fait preuve d’un délicieux goût du fun cher aux Ramones. Car tout ça doit être pris au deuxième degré. On se défoule, non ?
Mais tout n’est pas idyllique pour autant dans cet album : sur « Telivisor », la voix de Chantal Claret est trop haut perchée et elle peine un peu pour surnager tandis que « Body 21 » se déroule selon un canevas trop conventionnel pour accrocher l’intérêt, malgré son caractère de provocation et sa voix enjôleuse. « New York Girls », sans direction précise, paraît bien pâle aussi mais son but est avant tout de mettre en valeur les atouts physiques décisifs des filles de Big Apple. Et d’après ce qu’on entend, ils sont bien concrets. Quant au refrain de « Everybody Rules », où la rythmique reprend l’initiative, en raison de son originalité, il est en porte-à-faux par rapport à ce magma hétéroclite : il est repris à l’unisson par des enfants.
Enfin, l’atypique « Ride the Lights », où la voix redevient charmeuse, termine l’album en beauté. Très différent du reste, il donne un relief bienvenu à cet album généralement de très bonne qualité. Après un blanc de deux minutes, un titre caché surgit et laisse entendre des voix d’enfants répéter « everybody rules » à l’envi, en donnant à cette petite phrase des intonations multiples. Ici aussi, c’est du fun à l’état pur. A la réflexion, dans le contexte, c’est un acte de foi, un symbole de changement et un message d’espoir dans la jeunesse. On ne s’attend pas à ça sur un album dont le scope est tout entier branché sexe mais c’est génial. Il ne faut décidément jurer de rien : les voies de Morningwood sont parfois impénétrables.
On a beau tenter de s’en défendre, on est séduit par cet album qui dit oui à la vie, loin de la morosité ambiante, de la guerre et de la hantise des attentats terroristes. Faire ça en Amérique aujourd’hui, dans ce climat particulier, est presque un acte politique. Sans aller jusque là, cette démarche édifiante est en tout cas un pied de nez aux conservateurs puritains hypocrites. Du punch, du culot, de l’énergie à revendre, une bonne dose de talent, rien ne manque au groupe pour prendre place parmi les artistes en vue du moment mais pour durer, il va falloir bosser, surenchérir dans le thème choisi ou varier le menu. Dans cette optique, « Ride the Lights » constitue une promesse de renouvellement possible mais débarrassé de son aspect agressif et provocant, le groupe suscitera-t-il encore de l’intérêt ? Il est permis d’en douter. En attendant, everybody rules.
Pays: US
Capitol / EMI 0946 3 11299 2 6
Sortie: 2006/08/14