SOFT MACHINE LEGACY – Soft Machine Legacy
Dès le départ et dans l’esprit de ses fondateurs, Soft Machine représente plus un concept qu’un groupe rigide. Rapidement, divers projets se sont constitués en son sein, parallèlement ou directement à sa suite. Ceux-ci ont rarement côtoyé l’anodin. A chaque fois, la prise de risque a été maximale et les changements d’orientations souvent radicaux. De nombreux musiciens inventifs et talentueux, aux styles différents et parfois opposés, se sont succédés. Les attitudes putassières liées aux modes n’ont jamais eu cour. Ces éléments ont eu un impact considérable sur un public automatiquement très mouvant, qui devait soit accepter, soit s’en aller.
Né fin 2004, Soft Machine Legacy apparaît dans les traces de Soft Works. Ce dernier, monté en 2002 par le trio Elton Dean, Hugh Hopper et John Marshall avec Allan Holdsworth fut dissous au début de l’année 2004. L’album « Abracadabra » figeait le résultat de cette rencontre. Le même trio de base remettait le couvert avec celui qui avait déjà succédé à Allan Holdsworth en 1975, le tout aussi brillant John Etheridge. Dans les deux cas, les quatre artistes ne s’étaient jamais retrouvés au même moment dans Soft Machine. Une petite confirmation historique :
- « Third » (1970) et « Four » (1971) : Hopper & Dean
- « Fifth » (1972) : Hopper, Dean & Marshall
- « Six » (1973) : Hopper & Marshall
- « Bundles » (1975) et « Land of Cockayne » (1981) : Marshall & Holdsworth
- « Softs » (1976) et « Alive and Well » (1978) : Marshall & Etheridge
Voici les musiciens de Soft Machine Legacy :
- Elton Dean : Saxophone Alto, Saxello, Claviers, Hand Shake & Gong
- John Etheridge : Guitare
- Hugh Hopper : Basse
- John Marshall : Batterie & Percussions
Actuellement, suite au décès de Elton Dean en février 2006, Theo Travis a repris le flambeau. Vingt ans plus jeune, il n’altère en rien l’héritage de son prédécesseur, même si son jeu apparaît moins aventureux et plus cadré. J’ai eu l’occasion de l’apprécier avec Gong et Daevid Allen au Spirit of 66, sur l’excellent album « Zero to Infinity » en 2000 et sur le DVD « The Subterania Gig 2000 » (avec également Didier Malherbe).
Voici les titres (57’30) :
- « Kite Runner » (Etheridge)(6’57)
- « Ratlift » (Ratledge/Dean/Etheridge/Hopper/Marshall)(7’55)
- « Twelve Twelve » (Hopper)(10’20)
- « F & I » (Dean/Etheridge)(2’08)
- « Fresh Brew » (Dean/Etheridge/Hopper/Marshall)(6’24)
- « New Day » (Dean)(3’47)
- « Fur Edge » (Dean/Marshall)(2’49)
- « Theta Meter » (Dean/Hopper)(3’44)
- « Grap Hound » (Etheridge)(6’56)
- « Strange Comforts » (Etheridge)(6’26)
A l’écoute, ces quatre « Anciens » n’ont rien perdu de leur talent, même Elton Dean pourtant au crépuscule de sa vie, miné par la maladie. Les compositions sont attrayantes, impeccablement montées et interprétées sans faille. Le quatuor se subdivise en deux parties bien organisées, aux rôles bien précis. John Etheridge et Elton Dean assurent le devant de la scène, souvent en solo, portés par la fantastique paire rythmique. Ces quatre fortes individualités se distinguent pourtant chacune, tant dans l’interprétation que dans leurs compositions, très typées. Aucun ego n’est décelable, ce qui donne une amplitude supplémentaire à leur musique.
« Kite Runner » est le sommet absolu de cet album. Ce titre, passionnant, typiquement « Jazz-Rock », montre un John Etheridge éblouissant, proche de John Scofield. Lorsque Elton Dean prend la suite avec brio, il le soutient alors par une succession de petits traits secs, à l’image Chris Spedding dans Nucleus. La paire rythmique tracte tout cela avec autorité. La ligne de basse est divine, pesante et métronomique. Les percussions s’échappent avec bonheur d’une ligne pourtant bien tracée. Dans le même moule, l’autre composition de John Etheridge, « Grape Hound », n’est pas loin d’atteindre un niveau équivalent.
« Ratlift », « Fresh Brew » et « Theta Meter » apparaissent plus entendus, moins modernes. Par leurs atmosphères aériennes et obsédantes, ils rappellent clairement « In a Silent Way » et « Bitches Brew », les albums mythiques de Miles Davis. La guitare et le saxophone évoluent dans un registre plus « Free ».
« Twelve Twelve » consomme simultanément les ingrédients de « Kite Runner » et « Ratlift », mais les augmente d’une portion supplémentaire de condiments pompés de l’univers « Jazz-Rock » du Soft Machine de l’époque « Fifth », « Six » et « Seven ».
« F & I » est joué par John Etheridge à la guitare et Elton Dean aux claviers uniquement. La guitare vibre et flotte à volonté.
« Fur Edge » est un autre duo, mais entre le saxophone « Free » de Elton Dean et les diverses percussions de John Marshall.
L’esprit de « New Day » est fixé dans le « Jazz » Anglais de la fin des années 1960, avec sa rythmique parfaite mais classique et ses envolées aux saxophones alternées par celles à la guitare.
« Strange Comforts » finit l’ouvrage. Cette superbe composition de John Etheridge s’écoule tout en finesse et en légèreté, alternant guitare et saxophone.
En résumé, « Soft Machine Legacy » mérite de l’attention pour ce qu’il est : un album de qualité. Il est clair qu’il ressort aussi comme un nouveau prolongement, comme le résultat d’une association de quatre musiciens qui ont fait « l’Histoire » et comme un hommage à Elton Dean. Plus particulièrement, il souligne le talent trop méconnu de John Etheridge, dont voici un bref pedigree :
John Etheridge est né en 1948. Il intègre Soft Machine en 1975, en remplacement de Allan Holdsworth, et y reste jusqu’à la fin, en 1978. Il avait fait ses armes dans les années 60 et abordait la décennie suivante avec une technique et une réputation de plus en plus solide. Il avait alors participé à quelques projets plus sérieux, dont celui de l’ancien violoniste de Curved Air, le Darryl Way’s Wolf, de 1972 à 1974, avec lequel il avait enregistré trois albums, et qui comprenait également Ian Mosley, futur Marillion. Après Soft Machine, il travaille beaucoup avec le violoniste Stéphane Grappelli, et même Yehudi Menuhin. Le violon est d’ailleurs un instrument qu’il croise souvent dans son environnement. Outre des collaborations régulières avec des membres de la grande famille de Soft Machine (Elton Dean, Ric Sanders, …) et des formations à son nom ou en association, on le verra dans le monde de Frank Zappa avec Zappatistas, avec l’ex-Police Andy Summers, avec l’ex-Colosseum Dick Heckstall-Smith, avec le violoniste Nigel Kennedy, etc… Un guitariste passionnant et un compositeur brillant!
Pays: GB
Moonjune Records MJR008
Sortie: 2006/06