MORRISON, Van – Pay The Devil
Depuis la mort de Kevin Coyne fin 2004, Van Morrison partage avec Tom Waits le privilège de faire partie des plus grands auteurs / compositeurs / interprètes. Tout commence il y a plus de quarante ans quand son groupe irlandais Them tient la dragée haute aux Beatles, Stones, Yardbirds, Pretty Things, Kinks et consorts. La British Invasion déferle sur le monde du rock. Le titre « Gloria » (pour info repris avec brio en 1975 par Patti Smith), cartonne et en fait une légende du R & B.
Tournant le dos aux charts pour jouer une musique plus authentique, il suit la voie tracée par les Pretty Things : pas de compromission, se privant ainsi volontairement de la notoriété et du succès facile. Il sort quelques albums essentiels : « Astral Weeks » (1968) et « Moondance » (1970) surtout, mais aussi « Tupelo Honey » (1971), « Veedon Fleece » (1974) ou encore « Irish Heartbeat » (1988), en plaçant toujours la barre très haut. Mais on pourrait citer pratiquement tous ses albums. Il aborde ainsi avec bonheur et successivement le blues, le skiffle, le jazz ou la soul, tout en gardant sa propre personnalité.
Lorsque George Ivan Morrison entreprend une démarche, elle n’est jamais banale. Il se tourne vers le futur et ne fait jamais deux fois la même chose. Ici, il a décidé de faire de la southern country music façon Nashville avec ses musiciens habituels et il réussit cette gageure de maîtresse façon. Sans doute n’a-t-il jamais atteint une telle qualité de chant au cours de sa carrière et, cerise sur le gâteau, la production met bien sa voix en valeur. Le résultat est très probant.
Il reprend de vieux standards comme « Half As Much » de Curly Williams, qui parle d’un amour manifestement réparti de façon inégale dans le couple, « Your Cheatin’ Heart » de Hank Williams, qui compare une personne prompte à verser des larmes à une fontaine, ou « My Bucket’s Got A Hole In It » de Clarence Williams, qui traite de la propension à dépenser plus que de raison. Il chante aussi des compositions personnelles comme « Playhouse », sans doute la meilleure, « Pay The Devil » et « This Has Got To Stop ». Chaque fois, son talent d’interprète transcende le morceau et en fait une version essentielle.
Volontiers cynique, Sir Michael Philip Jagger, à qui on demandait pourquoi il glisse chaque fois un titre country dans les albums des Stones, répond avec pertinence que les paroles traitent généralement de sujets mélodramatiques qui font sourire au point de se demander si les interprètes croient eux-mêmes ce qu’ils disent, mais que ces sujets sont abordés de telle façon qu’ils en deviennent touchants. En tout cas, à chaque fois, Van Morrison parvient à donner le change et à nous y faire croire, démontrant ainsi l’étendue de son talent.
Il faut citer aussi « There Stands The Glass », qui parle du verre d’alcool qui console des déboires amoureux, « Things Have Gone To Pieces » où, à la suite d’une séparation, les ennuis s’accumulent au point de détruire la vie et même les rêves d’un individu paumé, « Big Blue Diamonds », où les femmes attendent beaucoup plus que la triste vie offerte par leur compagnon, « Back Street Affair », une sombre histoire de coucherie entre une jeune femme et un homme marié. La vraie vie, on vous l’assure !
Femmes infidèles ou insatisfaites, paumés et épaves victimes de fléaux comme l’alcool ou la drogue complètent le tableau mais à chaque fois, Van Morrison tire son épingle du jeu, bien aidé par le violon de Bob Loveday ou la steel guitar de Paul Godden, qui accentuent le caractère southern music des différents titres proposés. Les autres titres ne sont pas en reste et l’album est à la hauteur des espoirs de son auteur. Magnifique ! Une belle occasion de faire la connaissance d’un tout grand.
Pays: IA
Lost Highway / Polydor / Universal 9877006
Sortie: 2006/03/03