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SOFT MACHINE – Floating World Live (Bremen, January 29, 1975)

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La formation officielle de Soft Machine par Mike Ratledge, Robert Wyatt, Kevin Ayers et Daevid Allen date de 1966. Elle intervient à la suite d’une succession de tentatives ratées, étalées sur les trois ou quatre années précédentes. Historiquement, toutes celles-ci auront pourtant permis de découvrir quelques personnalités qui compteront dans le futur et dans le mouvement enclenché dans la région de Canterbury. Sur les bases d’un « Jazz » Anglais en pleine ébullition et à l’assaut de toutes ses limites, intégrant également « Rock », « Avant-Garde », « Psychédélisme », parfois dans la loufoquerie, Soft Machine inaugure un style propre, sans cesse développé et souvent repositionné à la suite des multiples changements dans son personnel.

En dehors de la discographie classique de Soft Machine, d’innombrables enregistrements en public, pêchés de ci de là à partir d’anciennes bandes, ont maintenu un intérêt permanent pour le groupe. C’est, somme toute, assez normal puisque chaque époque apportait quelque chose d’intrinsèquement neuf, unique et dynamique, tant dans la forme que dans le fond.

La formation présente sur cet album a fonctionné de décembre 1973 à avril 1975. En voici les membres dans l’ordre chronologique de leur apparition dans le groupe :

  • Né en 1943, le claviériste Mike Ratledge est « la » figure historique du groupe et reste son seul membre fondateur. De plus, il avait fait partie de quasiment toutes les associations antérieures qui avaient menés à Soft Machine. Il ne jettera le gant qu’en 1976 après l’album « Softs ». Compositeur prolifique, plus intéressé par les ambiances que par les démonstrations flamboyantes, son caractère discret et son aspect froid ne le mettront jamais dans les spots, comme certains de ses camarades. Avec le temps et dans le même état d’esprit que le bassiste Hugh Hopper, il cherche à mener le groupe vers plus d’ordre et le pousse dès lors vers un « Jazz-Rock » plus organisé, provoquant l’effacement progressif, puis le départ définitif du batteur et chanteur Robert Wyatt, autre membre fondateur.
  • Né en 1940, Roy Babbington apparaît dès 1970. On le retrouve, comme second bassiste et « sideman » uniquement, sur les albums « Fourth » et « 5 », avec Hugh Hopper toujours présent. Il n’est véritablement intégré qu’à partir du départ de celui-ci pour l’album « Seven » en 1973. Il y reste jusque « Softs » en 1976. Par la suite, il a travaillé, entre autres, avec le trompettiste Harry Beckett et la saxophoniste Barbara Thompson.
  • Né en 1941, l’éblouissant batteur John Marshall intègre Soft Machine en 1972 pour l’album « 5 ». Il remplace Phil Howard qui n’est resté que quelques mois après le départ de Robert Wyatt, parti fondé Matching Mole. En fait, tout comme Chris Spedding, encore plus déçu que lui, il vient de se faire larguer par Jack Bruce qui vient de saborder son Jack Bruce Band pour changer une fois de plus de style musical et intégrer West, Bruce & Laing. En fin de compte, il restera jusqu’aux derniers jours de Soft Machine et poursuivra même la vie du groupe avec Karl Jenkins jusqu’au dernier album, « Land of Cockayne », publié en 1981 (avec Allan Holdsworth et Jack Bruce). Sa carrière comme « sideman » est impressionnante et fortement marquée par le « Jazz ». On l’a retrouvé avec John Surman, Eberhard Weber, Charlie Mariano, … ainsi qu’avec les ex-Soft Machine Elton Dean et Hugh Hopper, qu’il retrouve également au sein de Soft Works, en 2003, avec Allan Holdsworth.
  • Né en 1944, Karl Jenkins arrive en 1972 pour « Six » et succède au saxophoniste Elton Dean, dont le côté flamboyant, délirant et incontrôlable, indisposait de plus en plus le duo Ratledge/Hopper. Il est recommandé par John Marshall qu’il avait côtoyé dans Nucleus. Il est à la fois, claviériste, saxophoniste, joueur de hautbois et compositeur de talent. Ce dernier rôle s’affirmera de plus en plus en plus, au fur et à mesure que celui de Mike Ratledge se réduira. Ses interventions aux saxophones et au hautbois suivront progressivement la même voie ; à l’inverse, la densité et la richesse des claviers s’en trouveront augmentées. Après le départ de Mike Ratledge, il assume le réel leadership au sein du groupe jusqu’à la fin. Dans les années 1990, il démarre de nouveaux projets personnels, originaux et novateurs, souvent grandioses, fusionnant « Musique Classique » et « Musique Ethnique », avec lesquels il rencontre un certain succès.
  • Né en 1946, le guitariste Allan Holdsworth amène une nouvelle flamme et un nouveau son dans l’univers de Soft Machine, sans guitariste depuis bien longtemps. Durant les années 1970, il acquiert rapidement une réputation d’originalité et de virtuosité. Il passe alors d’un projet à l’autre, à grande vitesse, en y plaçant toujours quelque chose d’inoubliable. Après ‘Igginbottom de 1969 à 1970, après Ian Carr & Nucleus dont il faut absolument écouter « Belladona » (avec également Roy Babbington), après Tempest de l’ex-Colosseum Jon Hiseman de 1972 à 1973, il entre dans Soft Machine et le marque profondément. Il enregistre avec eux l’excellent « Bundles » en 1975. La même année, il les quitte brusquement, quelques jours avant le départ d’une nouvelle tournée, en conseillant John Etheridge pour le remplacer. En fait, il n’a pu résister à l’offre du brillant batteur américain Tony Williams, un spécialiste du débauchage de haut vol, d’intégrer son New Tony Williams Lifetime, qui produira alors un nouveau petit chef-d’œuvre, « Believe It ». En 1976, c’est déjà terminé et il rejoint le Gong de Pierre Moerlen, puis U.K. en 1977 et 1978, jusqu’au départ de Bill Bruford qu’il suit et avec lequel il va travailler. Par la suite, sans jamais cesser de collaborer avec de nombreux artistes, il débutera une carrière en solo remarquable dont le récent « Against the Clock – The Best of » est un bon condensé.

Voici les titres (73’54) :

  1. « The Floating World » (4’52) (Jenkins) (*)
  2. « Bundles » (4’53) (Jenkins) (*)
  3. « Land of the Bag Snake » (5’07) (Holdsworth) (*)
  4. « Ealing Comedy » (6’08) (Babbington)
  5. « The Man Who Waved at Trains » (4’56) (Ratledge) (*)
  6. « Peff » (6’29) (Ratledge) (*)
  7. « North Point » (4’05) (Ratledge/Marshall)
  8. « Hazard Profile, Part One » (4’49) (Jenkins) (*)
  9. « J.S.M. » (10’13) (Marshall)
  10. « Riff III » (8’42) (Ratledge/Jenkins/Holdsworth/Babbington/Marshall)
  11. « Song of Aeolus » (4’16) (Jenkins) (**)
  12. « Endgame » (6’39) (Ratledge/Jenkins/Holdsworth/Babbington/Marshall)
  13. « Penny Hitch (Coda) » (2’40) (Jenkins)

Dans leur version en studio, on peut retrouver les titres sur :

(*) « Bundles » (1975)
(**) « Softs » (1976)

Dans son ensemble, ces enregistrements méritent le détour. Ils montrent un groupe uni, axé sur son présent et uniquement sur celui-ci. Le lien avec la formation des débuts est devenu quasiment inexistant. Le son est parfait, les compositions sont excellentes et l’interprétation de chacun est impeccable. D’abord, John Marshall mérite à lui seul un intérêt particulier pour son impressionnante rapidité d’exécution, sa précision et son large panel d’activités aux percussions. Ensuite, avec l’appui affirmé de Roy Babbington, Allan Holdsworth s’intègre dans la mécanique rythmique organisée par Mike Ratledge et Karl Jenkins, très complémentaires, sans jamais l’étouffer. Lors de ses longues envolées, souvent remarquables, tous lui laissent l’espace où il affirme alors clairement sa prédominance.

Construite sur une ligne répétitive et obsédante menée aux claviers, « The Floating World » est une pièce typique à Karl Jenkins et aux deux précédents albums. Elle amène adroitement une autre de ses compositions, « Bundles », qui montre à l’envi la nouvelle voie empruntée depuis l’arrivée de Allan Holdsworth, qui évolue ici en leader et en solo du début à la fin, avec un groupe tout entier derrière lui. Cette pièce respire à plein nez le « Stratus » de Billy Cobham, tant dans l’atmosphère générale que dans l’instrumentation. Sans aucune cassure, ni réelle différence d’ailleurs, arrive « Land of the Bag Snake », dans la continuité de « Bundles », mais avec, cette fois, Allan Holdsworth à la composition.

« Ealing Comedy » permet à Roy Babbington d’afficher en solo ses talents : évidents à la basse, mais mineurs à la composition.

Malgré tout, avec une basse bien marquée que rejoignent batterie et claviers, ce titre introduit bien « The Man Who Waved at Trains », dans lequel Allan Holdsworth étale avec finesse ses dons au violon, avant de clôturer à la guitare et d’entamer dans la foulée, « Peff », la seconde composition de Mike Ratledge, où tous se déchaînent, particulièrement Karl Jenkins, qui quittent ses claviers, et John Marshall.

« North Point » donne l’occasion à Mike Ratledge de s’évader en solo dans une succession de bruitages étranges aux claviers, seuls vestiges des temps plus héroïques, rejoint au final par un impressionnant déferlement de percussions qui intronise le superbe « Hazard Profile, Part One » de Karl Jenkins, la meilleure pièce de l’album « Bundles ». Si John Marshall s’y montre inhumain d’aisance, si Roy Babbington y est impeccable, si les claviers y jouent bien leur rôle de soutien, il y manque un petit quelque chose pour que Allan Holdsworth atteigne la même splendeur que sur l’album studio.

« J.S.M. » est une démonstration de John Marshall en solo. Bien que fort longue, elle n’apparaît jamais lassante et permet d’admirer toutes les saveurs de l’artiste qui ajoute quelques surprenantes couleurs « Extrême-orientales » aux cymbales.

Compositions collégiales fichtrement bien foutues, « Riff III » et « Endgame » semblent surtout avoir été construites pour servir d’autoroute aux improvisations de Allan Holdsworth.

« Song of Aeolus » marque moins, malgré quelques bons passages aux claviers. Ce titre sera amélioré par la suite avec John Etheridge.

Court final tout en douceur avec « Penny Hitch (Coda) ».

En conclusion, après la disparition des tendances psychédéliques et des approches farfelues, l’ère des « souffleurs » issus du « Free-Jazz » anglais, tels que Jimmy Hastings, Nick Evans, Marc Charig, Alan Skidmore, … et surtout Elton Dean, s’émoussait également. Ces derniers départs, l’influence du duo Ratledge/Hopper, l’arrivée de Karl Jenkins, en fin de compte plus orienté vers les claviers, et de John Marshall feront évoluer leur musique vers un « Jazz-Rock » plus organisé, plus moderne pour l’époque, probablement de plus en plus influencé par les visions américaines du genre. Allan Holdsworth a précipité ce mouvement et le lien qui peut souvent être fait avec l’album « Spectrum » de Billy Cobham le confirme, comme le confirmera également son rapprochement avec le batteur américain Tony Williams, un des apôtres de cette autre fusion intercontinentale, qui avait déjà appelé John McLaughlin et Jack Bruce par le passé. Il reste que ce cheminement ne peut faire oublier le socle de base constitué sur l’influence indéniable de Ian Carr et de son fameux Nucleus, dont Soft Machine était devenu un havre, et dont seul Mike Ratledge, parmi ces cinq musicens, n’était pas issu.

Le bon témoignage d’une époque et un grand moment de plaisir !

Pays: GB
Moonjune Records MJR007 / Musea Records FGBG 4651
Sortie: 2006/03

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