NEKTAR – Sounds like Swiss (CD + DVD)
Nous sautons ici dans la DeLorean du professeur Emmett Brown et nous filons à vive allure dans les couloirs du temps afin de retrouver ces chères années 1970 et un groupe que l’Histoire longue aura fini par mettre injustement de côté, Nektar. A l‘époque des années 1970-73, le rock progressif anglais est le grand maître du jeu. Tout le monde se précipite chez les disquaires pour acheter les albums de Pink Floyd, Yes, Genesis, mais aussi de King Crimson, Van Der Graaf Generator ou Soft Machine, sans oublier les éblouissants Emerson, Lake & Palmer. Un demi-siècle plus tard, on se souvient encore de tous ces groupes fameux mais qu’en est-il de Nektar ? Lui aussi était anglais, lui aussi a commis durant cette période une poignée d’albums tout à fait excellents qui lui ont valu un petit succès dans certains pays mais je vois personnellement trois raisons au fait que ce groupe est ensuite passé dans la série B du souvenir.
La première est que Nektar était certes composé de musiciens anglais mais que ceux-ci n’étaient pas actifs au Royaume-Uni, mais en Allemagne. Quand on connaît le chauvinisme anglais et sa méfiance à l’époque envers tout ce qui vient d’Allemagne (on est à peine une trentaine d’années après la bataille d’Angleterre et le Blitz de la Luftwaffe sur Londres), il ne faut pas s’étonner de voir Nektar relativement ignoré dans le pays d’origine de ses musiciens, qui ont de plus choisi de baptiser leur groupe avec une orthographe allemande. De manière plus pratique, tous les grands albums de Nektar ont d’abord été édités sur le label allemand Bacillus, avant de connaître une diffusion anglaise par le biais d’autres labels (United Artists, puis Decca) : ʺJourney to the center of the eyeʺ (1972), ʺA tab in the oceanʺ (1972), ʺ… Sounds like thisʺ (1973), ʺRemember the futureʺ (1973). Bacillus continue d’éditer les albums suivants, moins marquants mais toujours sympathiques : ʺDown to Earthʺ (1974), ʺRecycledʺ (1975), ʺMagic is a childʺ (1977). En 1980, Nektar change de label avec un contrat chez Ariola, qui édite son dernier album historique ʺMan in the Moonʺ la même année.
Puis le groupe se sépare en 1980 à l’issue d’une carrière tortueuse où intervient la deuxième raison de leur manque d’exposition historique : des changements de personnel incessants, surtout à partir de 1975. Si le line-up autour de Roye Albrighton (guitare et chant), Mick Brockett (effets spéciaux), Allan « Taff » Freeman (claviers, synthétiseurs et chœurs), Ron Howden (batterie, percussions et chœurs), Derek « Mo » Moore (basse, claviers et chœurs) reste relativement stable jusqu’en 1975, les choses changent à partir de 1976 avec le départ de Roye Albrighton, une des figures pourtant essentielles du groupe. Dave Nelson prend la place du démissionnaire dans Nektar, qui voit aussi partir Mick Brockett en 1977. On aura remarqué que celui-ci était membre à part entière du groupe, en étant uniquement chargé du jeu de lumières lors des concerts, un cas unique dans l’histoire du rock. Puis Roye Albrighton revient en 1978, juste pour acter de la séparation de Nektar quelques semaines plus tard. Un petit sursaut a lieu avec une reformation donnant naissance au dernier album en 1980, mais en 1982, nouveau split, suivi d’un long sommeil de 18 ans. En 2000, Nektar se reforme autour de Roye Albrighton et Alan Freeman, avec de nouveaux membres. Ron Howden refait son apparition et reste le dernier membre original jusqu’à nos jours. Suite au décès de Roye Albrighton en 2016, il anime d’abord un New Nektar en 2017, qui redevient Nektar quand Derek Moore et Mick Brockett refont surface en 2019, le New Nektar continuant d’exister avec les autres membres non-orignaux arrivés dans les années 2000. Bref, cela fait beaucoup de mouvements pour finalement accoucher de six nouveaux albums entre 2011 et 2020, qui ne se classent bien entendu plus dans les charts.
Les questions ce classement commerciaux des premiers albums sont probablement la troisième raison de l’assombrissement de l’étoile Nektar dans le paysage musical, puisque ce groupe anglais installé en Allemagne a engrangé ses principaux succès aux États-Unis, encore une fois bien loin de la mère-patrie. En encore, ces résultats commerciaux demeureront modestes puisque les chefs-d’œuvre ʺA tab in the oceanʺ et ʺRemember the futureʺ se classeront respectivement à la 141e et à la 19e place des charts américains, le public de là-bas préférant les disques moins ambitieux des années 1974-77 qui montent à la 32e, 89e et 172e place.
Il y a peut-être une quatrième raison à cette relative mise à l’écart, le fait que les chansons de Nektar étaient tout sauf simples. Superbes dans un registre hard rock progressif faisant penser à Deep Purple, Uriah Heep et Yes, celles-ci ont su captiver un public connaisseur mais n‘ont pas séduit les masses. Quand on écrit des chansons de la longueur de ʺA tab in the oceanʺ (16 minutes), ʺ1-2-3-4ʺ (13 minutes), ʺA day in the life of a preacherʺ (13 minutes), ʺOdysseeʺ (14 minutes), et ʺRemember the future, part 1ʺ (17 minutes) ou ʺRemember the future, part 2ʺ (19 minutes), il ne faut pas s’étonner d’être boudé par les radios mainstream. Le seul morceau connu de Nektar qui vient le plus souvent à l’esprit est ʺKing of twilightʺ, sans doute parce qu’il a été repris par Iron Maiden en 1984, en face B du single ʺAces highʺ.
Ce sont pourtant ces longues chansons qui constituent la fine fleur du menu de ce live ʺ… Sounds like Swissʺ, publié récemment par le label Beyond Before. Le jeu de mot tiré de l’album ʺ… Sounds like thisʺ évoque bien sûr la Suisse, qui accueillait en 1973 le groupe anglo-allemand à l’occasion de deux concerts à Lausanne (5 mai 1973, au Pavillon des Sports) et Genève (14 février 1973, au Palladium). Le concert genevois a également été filmé et a été diffusé à la télévision suisse romande le 24 mars 1973, à l’occasion de l’émission Kaleidospop. La grande nouvelle est que ces deux concerts, plus l’émission de télé sont maintenant disponibles sur ce double CD et DVD qui bénéficie en plus d’un superbe packaging. Mais il y un mais, c’est le son assez rugueux en mode pirate qui règne sur ces enregistrements. Ce n’est pas inaudible, certes, mais vu le produit, on aurait pu s’attendre à quelque chose proche de la perfection. Cependant, le traitement en longueur donné à certains morceaux et les jams improvisées sont de grands moments de rock progressif puissant et échevelé. On reste sous le charme de ʺA day in the life of a preacher / Squeeze / Jimi Jamʺ et ʺCrying in the dark / King of twilightʺ qui sont de formidables tours de force laissant le champ libre à moult solos de guitare et d’orgue. ʺ1-2-3-4ʺ et ʺGood dayʺ, sur le second CD, ne sont pas non plus piqués des hannetons. Le concert de Lausanne occupe le premier CD et déborde de deux titres sur le second CD alors qu’on peut se faire une idée de l’ambiance du concert de Genève en regardant le DVD, après avoir écouté la majeure partie du second CD.
Le visionnage de ce concert en images est aussi très intéressant. S’il le concert n’avait pas été filmé en noir et blanc (une pratique encore assez courante au début des années 70), on pourrait jurer qu’il daterait tout aussi bien de maintenant, le look des musiciens pouvant parfaitement faire penser à n’importe quel bon groupe de stoner américain du 21e siècle. Les types de Nektar sont chevelus, barbus et portent des fringues en denim. Et voici une cinquième et dernière raison au fait que ce groupe n’ait pas davantage marqué son époque et les époques futures : les mecs avaient un look passe-partout, sans vrai leader arrogant et flamboyant pour marquer l’identité visuelle du groupe. Pour réussir dans le rock, il faut être soit très beau, soit très laid mais il ne faut pas être normal.
Donc, si vous voulez découvrir ou redécouvrir un excellent groupe des années 70, capable de rivaliser avec les Deep Purple, Yes, King Crimson et autres formations classiques du prog Seventies, vous pouvez goûter ce Nektar. Le groupe a posté toute sa discographie sur Bandcamp, les moins fortunés ou les plus suspicieux pourront donc aller se faire une idée de leur style avant de se procurer des albums physiques, s’ils le souhaitent. L’acquisition du live ʺSounds like Swissʺ est possible pour ceux qui n’ont pas des exigences de perfection sonore au-dessus de la moyenne mais les sensibles de l’oreille interne pourront aussi se tourner vers les excellents live ʺSunday night at the London Roundhouseʺ (1974), ʺLive in New Yorkʺ (1977), ʺMore live in New Yorkʺ (1978) et le posthume ʺUnidentified flying abstractʺ de 1974, édité en 2002. En fait, un seul mot d’ordre : n’oublions pas Nektar !
Le groupe :
Roye Albrighton (guitare et chant)
Mick Brockett (effets spéciaux)
Allan « Taff » Freeman (claviers, synthétiseurs et chœurs)
Ron Howden (batterie, percussions et chœurs)
Derek « Mo » Moore (basse, claviers et chœurs)
L’album :
CD 1
ʺIntroductionʺ (0:22)
ʺJourney to the Centre of the Eyeʺ (22:38)
ʺDesolation Valley / Wavesʺ (9:39)
ʺA Day in the Life of a Preacher / Squeeze / Jimi Jamʺ (13:54)
ʺCrying In the Dark / King of Twilightʺ (10:15)
ʺLet It Growʺ (10:27)
ʺOdysseeʺ (4:18)
ʺRon’s Onʺ (3:46)
ʺNever, Never, Neverʺ (1:49)
CD2
ʺ1-2-3-4ʺ (12:38)
ʺDo You Believe In Magic?ʺ (7:34)
ʺCast Your Fateʺ (5:48)
ʺA Day in the Life of a Preacher / Squeeze / Jimi Jamʺ (2:55)
ʺGood Dayʺ (6:50)
ʺDesolation Valley / Wavesʺ (9:13)
ʺ1-2-3-4ʺ (13:46)
ʺCrying In the Dark / King of Twilightʺ (10:51)
DVD
ʺCast Your Fateʺ
ʺA Day in the Life of a Preacherʺ
ʺGood Dayʺ
ʺDesolation Valley / Wavesʺ
ʺ1-2-3-4ʺ
ʺCrying In the Dark / King of Twilightʺ
ʺDo-Da-Dumʺ
https://nektarmusic.bandcamp.com/
https://www.facebook.com/nektarRocks/
Pays: DE
Before Beyond
Sortie: 2021/10/01