MC5 – Kick out the jams (1969)
Les MC5 sont devenus un mythe parce qu’avec les Stooges, ils sont considérés comme les pères du heavy metal et les parrains du punk. Tout comme le groupe d’Iggy Pop, ils viennent de Detroit et se font connaître dans les milieux underground par la violence et la brutalité de leur musique. Wayne Kramer (guitare), Rob Tyner (chant), Fred “Sonic” Smith (guitare), Michael Davis (basse) et Dennis Thompson (batterie) forment leur groupe fin 1965, avant de rencontrer leur mentor et manager John Sinclair, un étudiant en lettres, activiste politique et dealer de marijuana plusieurs fois condamné. Les années 1966, 1967 et 1968 se passent dans une atmosphère insurrectionnelle à Detroit, où la gauche américaine lutte sans relâche pour la libéralisation de la marijuana et provoque des soulèvements contre les forces de l’ordre. Les MC5 et John Sinclair deviennent en quelque sorte un symbole d’émancipation pour la jeunesse turbulente. Entre les enregistrements des premiers singles et les concerts, les gens du MC5 sont régulièrement arrêtés pour possession de drogue.
En mars 1968, le MC5 sort son deuxième single, “Looking at you/Borderline”. Les deux titres sont des originaux et commencent à taillader sérieusement dans le cortex. Il est tiré à 500 copies et vaut aujourd’hui une fortune. La guitare de Wayne Kramer assène des riffs au fer rouge, qui jaillissent des amplis dont les boutons sont réglés à +3 dans le rouge. Ce 45 tours est une des toutes premières œuvres du hard rock proprement dit, non seulement par l’utilisation des instruments mais aussi par l’esprit.
Repéré par le label Elektra, le MC5 reçoit une avance de 50 000 $ pour l’enregistrement d’un premier album. Ce sera un live, ce qui est assez inhabituel pour une première œuvre. Mais Elektra, en choisissant cette solution, permet la réalisation d’un document historique majeur sur le mouvement rock de Detroit. Le groupe est enregistré sur la scène du Grande Ballroom durant deux soirs, les 30 et 31 octobre 1968. C’est le second concert qui va être retenu pour “Kick out the jams”. Cependant, il ne sera retenu que la moitié des titres du concert pour le disque, huit titres étant délibérément exclus par Elektra. L’enregistrement du premier album des MC5 correspond aussi à la date de la création du parti des White Panthers, le 1er novembre 1968, par John Sinclair. En décembre, c’est le début d’une tournée du MC5 sur la Côte Est afin d’annoncer la sortie imminente de l’album “Kick out the jams”. Le groupe joue avec le Velvet Underground à la Boston Tea Party, puis à New York. Il joue au Fillmore East le 26 décembre, pour un concert gratuit où des bagarres éclatent entre le service d’ordre de Bill Graham (propriétaire du Fillmore) et des groupes de hippies et de bikers. Les incidents de cette tournée jettent l’ostracisme sur les MC5 qui sont interdits de séjour au Boston Tea Party club de Boston et au Fillmore de New York.
L’album “Kick out the jams” sort en février 1969, précédé en janvier du 45 tours “Kick out the jams/Motor city is burning”. L’album grimpe immédiatement à la deuxième place du Top 40 de la station CKLW de Detroit. Une polémique éclate lorsque les magasins Hudson’s à Detroit refusent de vendre l’album parce qu’ils le jugent obscène. En effet, sur le morceau “Kick out the jams”, Rob Tyner démarre en hurlant “Kick out the jams, motherfuckers!” (une version ultérieure de l’album, trafiquée, proposera à la place un “Kick out the jams, brothers and sisters!”). En réaction, le groupe et ses fans vont coller sur les vitres du magasin un autocollant “Fuck!” avec le logo Elektra bien en évidence. Aussitôt, tous les disques du label Elektra sont évacués des présentoirs des magasins Hudson’s. Elektra procédera donc au deuxième pressage beaucoup plus sage pour mettre fin aux hostilités, transformant la méchante première édition en collector.
Il faut s’imaginer ce qu’a pu être ce disque dans les oreilles des auditeurs qui n’avaient jamais rien entendu de tel. La violence de cet album est ultime. L’ambiance y est survoltée du début à la fin et le MC5 balance indistinctement des larcins punk rapides et vicieux comme du vol à la tire, ou des élucubrations délirantes directement sorties d’une secte apocalyptique. De secte, il en est question dans ce disque révolutionnaire et militant. Car le MC5 ne se contente pas de livrer son premier album dans la catégorie rock, il jette à la face du monde un message de violence et de rébellion, appelant à l’émeute (cf. la légendaire introduction de John Sinclair qui annonce son groupe en hurlant et en domestiquant immédiatement son auditoire, comme les grands tribuns) et liquéfiant le public sous un déluge de riffs hargneux qui font littéralement saigner les guitares. Les hostilités démarrent avec “Rambling rose” (une reprise épileptique) et le fameux “Kick out the jams”, deux titres enchaînés (et déchaînés…) qui annoncent d’emblée que nous ne sommes pas là pour écouter du bal-musette. Suit un “Come together” un peu plus long mais tout aussi véhément. A part ces explosions où la musique et l’énergie fusent comme des obus, le MC5 entraîne son public dans des dédales psychédéliques incroyables, tribaux, où le chanteur gueule, hébété comme s’il avait vu Vishnu en petite culotte dans son placard à chaussures. L’hallucinant “Rocket reducer n° 62” ou l’hypnotique “Starship” (écrit en collaboration avec Sun Ra) témoignent de cet esprit débridé, fusionnel et libre. Une version dantesque de “Borderline” vient également contribuer à la grandeur de cet album. Les guitares y sont précipitées, elles hachent nerveusement des riffs venimeux avec le seul souci de frapper fort. Le blues n’est pas oublié avec “Motor City is burning”, joué tout en intensité. “I want you right now” est un mid-tempo phénoménal joué sur l’air de “Wild thing” et aussi puissant qu’un B-52 en rut. Les excités chevelus qui effraient l’Amérique en ce début 1969 n’omettent cependant par de remercier sur la couverture de leur album le leader religieux et guide spirituel, le frère J.C. Crawford.
Arrivé 30e au Billboard 200 au moment de sa sortie (avec le single 82e au Hot 100), l’album “Kick out the jams” est mal reçu par la critique, où le légendaire critic-rock Lester Bangs commet l’une de ses plus grosses erreurs d’appréciation en éreintant le disque dans les pages du magazine Rolling Stone. Avec le temps, Rolling Stone a appris à faire amende honorable puisqu’il finit par classer le premier album des MC5 à la 294e place de son classement de ses 500 plus grands albums de tous les temps.
Première édition : 1969 (vinyle, Elektra EKS 74042
Dernière réédition : 2012 (vinyle 180 g, remastérisé, Rhino 8122797159