MASTER – Vindictive miscreant
S’il n’avait pas autant merdouillé au moment de sa création, perdant ainsi de précieuses années dans la chronologie du métal extrême, Master aurait pu être le tout premier groupe américain à sortir un album de thrash metal, coiffant ainsi sur le poteau les Metallica, Slayer ou Anthrax qui se sont fait connaître à l’international en 1983. Cette même année, à Chicago, le bassiste Bill Speckmann se débat dans des hésitations et des disputes pour savoir s’il doit ou non lancer Master, un groupe qu’il a conçu après avoir quitté War Cry avec son collègue batteur Bill Schmidt. Les deux hommes veulent lancer un groupe qui serait aussi brutal que les maîtres de l’époque, Motörhead, Venom ou Slayer. Le nom de Master est choisi mais ce perfectionniste de Paul Speckmann gaspille tellement de temps pour trouver un guitariste parfait (qu’il ne trouvera finalement jamais, ou en tous cas pas tout de suite) qu’il préfère fonder un autre groupe, moins exigeant du point de vue musical, Death Strike. Mais ce sous-groupe doit se faire sans Bill Schmidt, qui en a tellement eu marre des atermoiements de Speckmann concernant Master qu’il a préféré jeter l’éponge. Speckmann monte donc Death Strike avec un nouveau batteur John Leprich et un guitariste du nom de Chris Mittlebrun, qui n’avait pas été retenu pour Master mais qui est jugé convenable pour Death Strike (il ne faut pas trop chercher à comprendre). Un second guitariste, l’adolescent Kirk Miller, est aussi ajouté au groupe.
Death Strike sort donc une première démo en 1985 et fait tellement impression dans les milieux underground que Bill Schmidt fait amende honorable et demande à être réintégré dans le groupe. Bill Speckmann accepte l’allégeance de son ex-batteur et le remet en piste, virant ainsi John Leprich et également Kirk Miller. Et Master, allez-vous me dire, c’est pour quand? Un peu de patience! Voilà, nous sommes toujours en 1985 et Bill Speckmann réinvestit l’héritage laissé par son défunt père pour payer des heures de studio qui vont servir à l’enregistrement du premier album de Master, Chris Mittlebrun étant finalement considéré comme la perle rare car il sait très bien écrire des chansons. Mais cet album ne sort pas, en raison de bisbilles entre le label intéressé, Combat Records, et le manager de Master, qui n’était autre à l’époque que… Kim Fowley, ça ne s’invente pas. Ce génie dingue de Kim Fowley a tout fait : producteur des Runaways, musicien solo à la carrière erratique et même manager de Slade. Il n’est donc pas étonnant de le voir s’intéresser à un groupe comme Master, vu qu’il est capable de tout. Et comme Fowley est trop gourmand sur les conditions contractuelles proposées par Combat Records, tout part en quenouille. Pas de contrat, pas de disque. Décidément, chez Master, on aurait comme qui dirait une poisse bien tenace.
Il faut finalement attendre 1990 pour voir Master sortir officiellement un album sur le label Nuclear Blast. «Master» reprend les titres de la démo de 1985 et est enrichi de quelques morceaux de plus. Ces titres sont en fait réenregistrés car l’album original sortira en 2003. A partir de 1990, donc, Master est en position pour mener une carrière qui continue encore aujourd’hui. Mais la dizaine d’albums sortis ultérieurement vont voir un impressionnant défilé de musiciens. Bill Schmidt quitte le groupe dès 1990 et verra passer derrière lui une demi-douzaine de batteurs. Idem pour Chris Mittlebrun, parti également dès 1990 et qui aura une bonne dizaine de successeurs. On ne va pas faire décompte en détail mais la valse des postes s’achève soudain en 2003, quand Bill Speckmann décide d’immigrer en République Tchèque pour redonner du souffle à sa carrière. Etrange choix que ce pays du centre de l’Europe où on parle une langue incompréhensible pour un Américain moyen, mais ce choix de Bill Speckmann s’expliquerait bien par le fait que Master a toujours été édité sur des labels allemands depuis ses débuts et est tout simplement inconnu dans son pays d’origine. Alors, quitte à laisser derrière soi des Etats-Unis indignes de son talent, Bill Speckmann opte carrément pour la Tchéquie, où il recrute Zdenek Pradlovsky (batterie) et Alex Nejezchleba (guitare).
Et avec ce line-up magnifiquement stable, Master occupe les dernières quinze années de son existence à la sortie de «The spirit of the West» (2004), «Four more years of terror» (2005), «Slaves to society» (2007), «The human machine» (2010), «The new elite» (2012), «The witchhunt» (2013), «An epidemy of hate» (2016) et enfin ce nouveau «Vindictive miscreant» qui sort sur Transcending Obscurity, label indien qui rompt avec la tradition des labels allemands qui avaient jusqu’à présent édité les disques de Master. On sait que Transcending Obscurity s’efforce de redonner du lustre à des formations parfois chahutées par les accidents de carrière et l’enrôlement de Master dans l’écurie Transcending pourrait enfin être l’occasion pour ce groupe de faire éclater son talent sur de plus larges espaces. Car on découvre que ce dernier album est une formidable tuerie death metal, volontiers mâtinée de thrash. Le son est brut et impitoyable, la voix de Bill Speckmann gronde comme des hurlements de vieil ourse en colère et la guitare distille des solos surpuissants et chevaleresques tout au long de la huitaine de morceaux du disque, dont «Vindictive miscreant», «Action speaks louder than words», «The inner strength of the demon», «Engulfed in paranoia» ou «Stand up and be counted» ne sont que quelques exemples du savoir-faire démoniaque et sidérurgique de Bill Speckmann et de son Master.
Pays: CZ
Transcending Obscurity
Sortie: 2018/11/28