LAGUERRE / NOETINGER – DnT
Attention, cette chronique s’adresse en priorité à ceux qui n’ont pas froid aux oreilles et qui considèrent que le bruit d’un tournevis tombant sur le carrelage, c’est déjà de la musique. Les fans de Guns ‘n’ Roses ou Rihanna peuvent suivre aussi mais je ne rembourse pas les frais d’hospitalisation en asile psychiatrique s’il leur arrivait quelque chose au cours de la découverte de cet album de Laguerre / Noetinger.
Deux noms, deux hommes, donc. Anthony Laguerre vient de Nancy et se définit comme musicien, compositeur, improvisateur et ingénieur du son. Ayant développé une culture noise rock et impro, il s’intéresse à l’électronique et aux techniques sonores, ce qui l’amène à travailler comme ingénieur du son. Son travail en tant que musicien est basé sur le son traité comme musique. Armé de ces influences, il travaille sur des formes audio qu’il obtient à partir d’un mixage entre les harmonies et le matériau sonore. Donnez-lui une paire de bottines et une machine à laver, il vous fait une symphonie. Désormais autonome, il produit et poursuit la recherche fondamentale en matière de sons. Il a notamment travaillé avec G.W. Sok, Alexei Borisov, Olivier Mellano, Isabelle Duthoit, Marie Cambois, Michel Doneda, Thimothée Quost, David Merlot… Tous les grands, quoi.
De l’autre côté, et comme son nom l’indique, Jérôme Noetinger est marseillais. Il découvre la musique expérimentale en écoutant les Normands de Déficit Des Années Antérieures, la référence en matière de musique industrielle française, comparable à Einsturzende Neubauten outre-Rhin. Noetinger est un savant fou du son, compositeur, improvisateur, artiste sonore qui travaille avec des instruments électro-acoustiques. Pour ce faire, il manipule avec aisance les bandes magnétiques, le magnétophone Revox B77, les synthétiseurs analogiques, les tables de mixage, les haut-parleurs, les microphones, divers objets domestiques électroniques et autres appareils plus ou moins bricolés. Dès l’âge de 21 ans, il est directeur de Metamkine, une société sans but lucratif travaillant à la distribution de musique improvisée et électro-acoustique. Au même âge, il entre au comité éditorial du magazine trimestriel Revue & Corrigée, spécialisé dans les sonorités contemporaines, la poésie et la performance scénique. Egalement coordinateur des programmes d’expositions, concerts et cinéma expérimental du 102 (un espace autogéré, non-subventionné situé à Grenoble), Jérôme Noetinger mène aussi une carrière d’artiste tournant à l’étranger, de par ses projets solos ou dans des ensembles.
La rencontre entre ces deux garçons ne pouvait donner que des résultats dépassant l’imagination. Leur album commun sort sur le label Rev.Lab, une entité qui travaille de pair avec la maison Aagoo Records et dont le crédo est l’électronique, l’ambiant, l’expérimental, les paysages sonores en mouvement ou abstraits. Rev.Lab a lancé une ligne d’artistes opérant dans ces environnements très spécifiques (Deison & Mingle, Murcof & Philippe Petit, connect_icut, Marcus Fjellström, Padna, Janek Schafer, Piles ou Nickolas Mohanna). Laguerre et Noetinger sont les neuvièmes artistes de cette série et leur musique (ou ce qui en fait office) entre parfaitement dans la philosophie de ce label. Par exemple, quand il s’agit de s’intéresser au concept de percussion, Laguerre et Noetinger travaillent en même temps sur la batterie et évoquent aussi le concept par des sons qui ressemblent au bruit d’une perceuse… à percussion (ʺVespertilionʺ). A moins que ce ne soit une visseuse électrique, il y a matière à discuter. Il faudrait que je fasse écouter l’album à mon plombier, il pourrait peut-être m’éclairer. Un électricien pourrait également être utile pour identifier les sons de ʺEtage en panneʺ, sorte d’onde passant au loin dans le ciel. ʺFrisson furtifʺ n’a rien de furtif puisqu’il dure dix minutes mais il est effectivement capable de faire frissonner avec un tourbillon de sons emportés dans un fracas anarchique de batterie, soulignés par des aboiements de chien captés au loin. Autre exemple, le dernier titre ʺRéveilʺ semble achever l’album dans une attaque brutale de sangliers-garous ayant forcé la porte du studio, avec en parallèle des sons évoquant un incendie.
Ce n’est donc pas l’album de tout le monde mais il était néanmoins nécessaire de signaler son existence pour plusieurs raisons. D’abord, il y a des gens qui aiment cette musique et ils ont le droit à la considération de leurs contemporains sans exclusive ni dénigrement. Il faut s’efforcer d’aimer tout le monde sur cette terre. Ensuite, il faut soutenir ces petits labels qui ont résolument choisi de ne pas faire fortune en suivant la route de l’impossible et nous ne saurions trop vous encourager à découvrir les productions de Rev.Lab. Enfin, si vous ne savez pas comment vous débarrasser d’invités ayant décidé de faire durer jusqu’à point d’heure cette petite soirée que vous aviez organisée chez vous, passez leur un petit album de noise rock industriel avant-gardiste. C’est une alternative pacifique et fine aux coups de pied au derrière et ça les fera fuir tout aussi efficacement.
Le groupe :
Anthony Laguerre (batterie, voix, micro contact, harmonica)
Jérôme Noetinger (magnétophone Revox B77, électronique)
L’album :
ʺVespertilionʺ (08:56)
ʺÉveilʺ (05:43)
ʺÉtage en panneʺ (02:00)
ʺFrisson furtifʺ (10:47)
ʺLe lendemain de la veille à l’Ouestʺ (09:13)
ʺMasse le fer du sonʺ (04:51)
ʺRéveilʺ (02:19)
https://revlabrecords.bandcamp.com/album/dnt
Pays: FR
Rev.Lab Records
Sortie: 2020/03/06