IMPERIAL TRIUMPHANT – Alphaville
Ici, il va falloir sérieusement s’accrocher aux barreaux parce qu’avec ce groupe, ça passe ou ça casse. Imperial Triumphant est un trio new-yorkais qui joue un black metal d’avant-garde construit sur des lignes progressives et jazz. On voit déjà les amateurs de tous poils se pointer vers la chose avec en tête toutes sortes de fantasmes musicaux plus ou moins déviants. ʺTiens, tiens, tiens, un truc d’avant-garde progressifʺ, se dit le progueux. ʺCa peut sans doute m’intéresserʺ. ʺOuargh ! Du black metal complexe et techniqueʺ, se dit le black metalleux. ʺCa va déchirer, c’est sûr !ʺ. Vous les voyez frétiller avec leurs petits airs chafouins mais il y a fort à parier que tous ces gens seront les premiers à fuir par la fenêtre dès la première écoute de ce nouvel album ʺAlphavilleʺ, troisième du groupe. Imaginons déjà les faces épouvantées des progueux, effrayés par ce chant caverneux et ces riffs déments, ou la chevelure raidie des blackeux, décontenancés par cette profusion de rythmes jazz et de dissonances avant-rock.
Oui, Mesdames et Messieurs, Imperial Triumphant, ce n’est pas le groupe de tout le monde. Chose unique du seul Zacharie Ilya Ezrin, qui l’enfante en 2005, ce groupe finit par trouver peu à peu sa voie quand son créateur recrute des musiciens prêts à le suivre dans sa folle quête de sonorités nouvelles alliant black metal, progressif, avant-garde, jazz et même musique lyrique. Avec le temps, Ilya (chant et guitare) est désormais flanqué de Steve Blanco (basse) et Kenny Grohowski (batterie), un garçon ayant entre autres opéré chez Pyrrhon, un groupe de death metal technique new-yorkais. Au complet, Imperial Triumphant peut ainsi commencer à sortir des albums. ʺAbominamentvmʺ (2012), ʺAbyssal godsʺ (2015) et ʺVile luxuryʺ (2018), évoluent peu à peu d’un style encore comparable à des groupes comme Gorguts, Deathspell Omega ou Portal vers des choses véritablement originales, glanant au passage quelques fans de plus et attirant l’attention de labels plus importants, comme Century Media.
Je dirais ici que Century Media a pris un pari tout simplement génial. Il met sur la table sa réputation de label métallique quasiment mainstream en proposant cet OVNI sonore, cette bête hallucinante qu’est le nouvel album d’Imperial Triumphant, ʺAlphavilleʺ. Mais non, ce n’est pas une référence au groupe pop allemand idiot des années 80, c’est le film, ʺAlphavilleʺ (1965), une délirante histoire de science-fiction réalisée par Jean-Luc Godard qui mettait en scène le fameux détective Lemmy Caution, interprété par ce vieux cabot d’Eddy Constantine. Autant dire que ce film était déjà à l’image du disque, avec son mélange improbable de film d’espionnage à l’ancienne et de science-fiction ahurie à la Godard. On y parlait surtout de ville déshumanisée, un thème cher à Imperial Triumphant, surtout sur ses derniers albums.
Et voici donc ce dernier album, véritable plongée dans l’inconnu, dans la folie, dans le choc des styles contradictoires, où les borborygmes ursidés du chant viennent se fracasser sur des élaborations polyrythmiques complexes, notamment mises en lumière par un batteur qui doit avoir huit bras et que nul ne peut arrêter. Dès ʺRotted futuresʺ, c’est le choc, la divine surprise pour les uns, l’horreur chaotique pour d’autres. Imperial Triumphant tient une formule, certes, mais il va pouvoir le décliner selon diverses nuances sur ses chansons suivantes, avec toujours son lot d’étrangetés. Ilya et ses hommes n’hésitent pas à avoir recours à des bruitages divers (sons de stations de métro, percussions tribales, piano en contrepoint total de rythmiques atonales d’une rare sauvagerie, crissement de guitares appuyées par un bricolage percussif casserolier). On tourbillonne ainsi dans une tempête sonore où des vestiges de vaisseaux ayant un jour appartenu à Primus ou Frank Zappa viennent nous percuter de plein fouet. Le fantôme de Captain Beefheart apparaît ainsi de temps à autre, subrepticement. Mais ce sont aussi les ombres de Voivod ou des Residents qui viennent nous tirer par les pieds, comme en témoignent les deux reprises de ces groupes qui figurent en fin d’album (ʺExperimentʺ et ʺHappy homeʺ, pour ne pas les nommer). Notons aussi la superbe pochette du disque, signée Zbigniew M. Bielak et qui rappelle bien évidemment le graphisme de ʺMetropolisʺ, autre film célèbre parlant de villes déshumanisées. Le dessin très années 30 de cette pochette nous renvoie à l’imaginaire du New York de l’époque du jazz, une impression soulignée par les nombreux instruments jazz qui s’insèrent dans le cours de la musique, à l’instar du trombone sur l’invraisemblable ʺTransmission to Mercuryʺ. Ce titre, comme d’ailleurs tous les morceaux de l’album, a l’occasion de développer des itinéraires musicaux tortueux et audacieux, avec ses sept minutes de durée, un timing parfaitement dans la moyenne sur cet album.
Après le mélange blues et death metal de Zeal & Ardor, voici l’association démente entre avant-prog et black metal d’Imperial Triumphant, un des groupes les plus originaux de sa génération et de son style. Nul doute que ce combo continuera d’être ostracisé par les minus habens qui ne comprennent rien à l’imagination en musique pour leurs sous-genres préférés. Mais ceux qui n’ont pas peur de l’expérimentation ouverte sur le grand large trouveront ici de quoi réjouir leurs aspirations.
Le groupe :
Zacharie Ilya Ezrin (chant et guitare)
Steve Blanco (basse)
Kenny Grohowski (batterie)
L’album :
ʺRotted Futuresʺ (05:59)
ʺExcelsiorʺ (05:52)
ʺCity Swineʺ (06:56)
ʺAtomic Ageʺ (08:43)
ʺTransmission to Mercuryʺ (06:41)
ʺAlphavilleʺ (08:10)
ʺThe Greater Goodʺ (07:22)
ʺExperimentʺ (04:48)
ʺHappy Homeʺ (04:48)
https://www.facebook.com/imperialtriumphant
Pays: US
Century Media
Sortie: 2020/07/31