AEROSMITH – Rocks (1976)
En 1975, Aerosmith commence à fissurer très sérieusement la porte de la cour des grands avec son troisième album “Toys in the attic”, resté fameux pour son célèbre “Walk this way”. Mais le bélier qui va faire tomber cette porte sera mis au point l’année suivante sous le nom de “Rocks”. Avec cet album, Aerosmith va prendre une autre dimension.
Dès janvier 1976, à la Wherehouse (le surnom du nouveau QG du groupe), Tom Hamilton, Brad Whitford, Joey Kramer et le producteur Jack Douglas planchent sur de nouveaux morceaux. On remarque pour le moment l’absence de Joe Perry et Steven Tyler. Ce n’est que le début de la fracture mais de plus en plus, un fossé va se creuser entre ces deux derniers, les vedettes flamboyantes qui sont sur le devant de la scène, les Lennon-McCartney, Jagger-Richards, Plant-Page, et les trois autres de la section rythmique, plus effacés mais qui manifestent à partir de 1976 une revendication d’être davantage pris en considération dans le Smith du point de vue créatif. Il faut dire que le récent décès du père de Joe Perry n’aide pas celui-ci à revenir dans l’esprit du groupe, alors que Steven Tyler charge de plus en plus la mule du côté drogues.
Au Record Plant, de janvier à mars 1976, Jack Douglas va commettre de petits miracles avec un groupe déjà bien lessivé par la drogue mais qui parvient à cracher les dernières pépites de son génie. Douglas n’hésite pas en effet à ponctionner des bouts des multiples prises faites en studio pour les assembler entre elles et accoucher du meilleur morceau possible, un résultat que n’aurait pu atteindre Aerosmith en une seule prise. Jack Douglas prend une part active à la confection des morceaux, lançant des idées qui sont ensuite exploitées par Steven Tyler au niveau des textes et par Joe Perry pour ce qui est des mélodies. “Back in the saddle”, le morceau d’ouverture, reconstitue l’esprit pionnier du Far West, avec bruitage de chariot et hennissements de chevaux, obtenus avec les moyens du bord. “Rats in the cellar” reflète également bien la descente du groupe dans les bas-fonds de la drogue, de la vilenie et de la hargne facile. C’est une sorte de réponse nocive à “Toys in the attic”, avec une rythmique franchement punk et des harmonies vocales estampillées Aerosmith. Ça sent bon les égouts, le dégoût et la filouterie de bas quartier. Brad Whitford accouche des deux titres au rythme plus lent, “Last child” et “Nobody’s fault”. Le premier est une petite merveille tout en mid-tempo qui fera un carton en single (n° 21 au Top 40). Le second est franchement zeppelinien, bien lourd et rappelant inévitablement le “Round and round” de l’album précédent.
Ce titre va exercer une influence considérable sur le biotope métal, ayant été repris par Testament en 1988 et étant cité comme grande influence par Metallica ou Guns ‘n’ Roses. C’est aussi le morceau préféré de Brad Whitford mais il ne sera malheureusement jamais joué sur scène par Aerosmith. Tom Hamilton écrit la musique de “Sick as a dog”, pour moi l’un des plus beaux morceaux de “Rocks”, véritable bouffée d’air frais dès qu’il résonne sur mes différents moyens de lecture de disques. Les guitares cinglent, la mélodie est un rien dansante tout en restant furieusement binaire, la voix de Tyler est fracturée, superbe et le pont musical qui soutient le solo de guitare est d’une fragilité adolescente. Voilà un titre qui a dû faire pâlir d’envie les Stones, embourbés à l’époque dans le reggae dénaturé de “Black and blue”.
Il ne faut pas oublier le menaçant “Combination”, titre de Joe Perry qui sent le trottoir brûlé sous les après-midis chaudes passées au fond des banlieues. Ça parle de came et c’est la première fois que Joe Perry chante en lead sur un album d’Aerosmith. La paire Tyler-Perry reste capable de tout flinguer avec encore deux titres toujours aussi magnifiques, “Get the lead out” et “Lick and a promise”. Le premier est légèrement plus rapide que “Nobody’s fault” mais garde le même esprit frappeur tandis que le second est une belle charge rock ‘n’ roll, qui parle de la conquête des foules lors des concerts. Cette suite ininterrompue de morceaux chocs, peut-être moins faramineux que “Walk this way” mais monstrueux de cohérence et d’énergie, trouve sa conclusion dans “Home tonight”, ballade chagrinée qui dit au revoir à l’auditeur, en espérant le revoir la prochaine fois.
La réponse de l’auditeur ne se fait d’ailleurs pas attendre : le disque est disque d’or dès sa sortie en mai 1976, pointant à la troisième place du Billboard. Deux mois après, il est disque de platine, soit plus d’un million d’exemplaires écoulés. Les singles “Home tonight”, “Last child” et “Back in the saddle” rencontrent également des succès considérables, avec respectivement une 71ème, 21ème et 38ème position en 1976-77. Bien des années plus tard, au début du 21e siècle, “Rocks” a été classé à la 176e place des 500 plus grands albums de tous les temps du magazine Rolling Stone, et avait été écoulé à plus de quatre millions d’exemplaires dans les seuls Etats-Unis.
Première édition : 1976 (vinyle, Columbia PC 34165)
Dernière réédition : 2014 (vinyle, Music on Vinyl MOVLP977)