Une brochette sauce Botaérofaune
JoyCut, Einstürzende Neubauten, Echt!, Lingua Ignota, An Pierlé. Comment un lundi supposé sage au Bota s’est transformé en semaine infernale… Suivez-nous dans nos délires entre Bruxelles, Lille et Louvain-la-Neuve…
Tout a donc commencé à la Rotonde en compagnie des Italiens de JoyCut qui n’en étaient pas à leur coup d’essai du côté de la rue Royale. On avait en effet déjà eu l’occasion de les applaudir lors des Nuits 2014 en support de Traams puis, deux ans plus tard, en tête d’affiche déjà de la Rotonde. Ils tournaient alors leur excellent premier album, « PiecesOfUsWereLeftOnTheGround », bombe électro-pop-ambiant d’une redoutable efficacité à laquelle ils viennent enfin de donner une suite.
Baptisée « TheBluWave » (toujours cette manie de bannir les espaces entre les mots), elle explore la santé précaire de notre pauvre vieille Terre, entre dérèglement climatique et catastrophes écologiques. « Siberia », le premier titre du set, illustrera d’ailleurs à merveille ce thème via la vision d’une nature paisible avant que tout ne parte en vrille, au propre comme au figuré. Pour l’anecdote, les natifs de Bologne poussent même la conscientisation jusqu’à vendre au stand merchandising des vinyles biodégradables et des cassettes en matériau recyclé.
Sur scène, le leader joue presqu’en permanence sur un piano dos au public pendant que ses camarades s’appliquent majoritairement autour de percussions. Deux batteurs complices occupent d’ailleurs les extrémités de la scène, accordant leurs rythmiques tantôt saccadées tantôt métronomiques. Associées aux nappes et bidouillages sonores, elles conférent à la Rotonde des airs de dancefloor planants à la Orb(ital). Leurs compositions principalement instrumentales illustrant à merveille les vidéos so(m)bres et mystiques diffusées sur l’écran géant à l’arrière de la scène.
Une Fender Telecaster traîne pourtant à l’avant-plan mais sera laissée à l’abandon jusqu’au dernier titre du set principal, lorsqu’ils inviteront Victor Diawara aka Afrodelic qui avait assuré la première partie, à les accompagner. Flippant à souhait, « Plato » montrera une facette plus introvertie d’un groupe jusque-là plutôt enjoué. Quant aux rappels plus ou moins improvisés, ils verront le groupe balancer deux titres à la structure plus conventionnelle, soutenue par une voix assurée et des sonorités industrielles hypnotiques. Près de deux heures d’un trip aventureux qui aurait mérité une audience plus nombreuse.
Le lendemain, direction l’Aéronef de Lille pour les cultissimes Einstürzende Neubauten et un concert maintes fois reporté. Le dernier album du groupe, « Alles In Allem » est en effet sorti en pleine pandémie et ce n’est que depuis quelques mois qu’ils peuvent enfin le défendre (ils sont d’ailleurs passés par deux fois à l’AB au début de l’été). Emmené par un Blixa Bargeld plus Severus Rogue grisonnant à paillettes que jamais et un Alexander Hacke à la généreuse moustache de biker, ils prennent un malin plaisir à transformer la scène en laboratoire sonore expérimental.
Parmi les curiosités, pointons une collection de bidons, un pistolet à air comprimé et deux vibromasseurs. Mais également des tuyaux en PVC, une sorte de meule géante et un caddie de grand magasin qu’ils trimbalent avec eux depuis 1987 et dont l’encombrement semble inversement proportionnel à son utilisation. Des objets usuels qui complémentent avec bonheur des instruments plus traditionnels au service de compositions moins abstraites que par le passé. Le phrasé du leader, son accent caractéristique, son attitude imperturbable et son humour pince-sans-rire font le reste. Ici aussi, les deux heures de show sont passées à la vitesse de l’éclair.
L’étape suivante nous mènera à l’AB pour le premier fait d’armes significatif à l’actif de Echt!, à savoir remplir la configuration Box de l’endroit. Ici aussi, c’est un album sorti l’an dernier, « Inwane », qu’ils promotionnent avec conviction. Un peu trop peut-être dans le chef d’un batteur particulièrement enthousiaste (il est le seul à prendre la parole entre les morceaux). Auteur de titres electro-jazzy instrumentaux au groove appuyé, les Bruxellois d’adoption s’adressent à un public conquis avec lequel la communion sera totale.
On aurait peut-être apprécié davantage d’audace de leur part, à l’instar de leur passage au Dour Festival cet été où ils avaient invité une section de cuivres et le rappeur Ashely Morgan à déclamer sur deux titres. Une sorte de frilosité compréhensible pour un événement de ce type où ils voulaient sans doute ne pas se louper. En revanche, le sauvage Nah, en introduction de la soirée, a détruit tout sur son passage, entre une batterie frénétique, des loops dévastateurs et une vision tribale. Ou comment transformer l’AB en club techno d’un coup de baguette magique.
Changement radical de style le lendemain à l’Orangerie du Botanique où Kristin Michelle Hayter alias Lingua Ignota s’est fendue d’une prestation atypique, à mi-chemin entre performance et ballet désarticulé. Littéralement habitée et vêtue d’une robe au voile vert transparent, la Californienne se produit seule sur scène au milieu de cinq spots lumineux qu’elle (ré)agencera à foison, devant un écran géant diffusant des vidéos de pèlerinages, baptêmes et autres professions de foi.
Sa voix sacrée et les thèmes liturgiques de ses compositions renvoient à une sorte de gospel futuriste qu’elle agrémente volontiers de sonorités délibérément dissonantes. Comme lorsqu’elle charge l’intérieur de son piano de chaînes et de clochettes avant d’en triturer inlassablement les cordes au moyen d’un fil de fer. Un curieux effet garanti et même accentué lorsqu’elle jouera ensuite de l’instrument sans en avoir retiré les objets intrus. En revanche, on vibrera sur cette incroyable cover du « Jolene » de Dolly Parton, qu’elle s’approprie de façon époustouflante.
Ce qui nous amène à la soirée du vendredi pour la collaboration entre le festival FrancoFaune et la Ferme du Biéreau. À l’affiche, le « Chiac Disco » de l’Acadienne Lisa Leblanc avec toutes les curiosités linguistiques que l’on imagine. Mais aussi et surtout un projet exclusif signé An Pierlé, baptisé In Het Frans. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un répertoire intégralement chanté dans la langue de Molière. Elle n’est bien évidemment pas novice en la matière vu qu’elle avait déjà à l’époque magistralement repris le tube de Jacques Dutronc (« Il Est Cinq Heures, Paris S’éveille ») ou updaté son « Sing Song Sally » en « Jours Peinards » sur la BO du film de Jaco Van Dormel, Le Tout Nouveau Testament.
Mais ce soir, elle ira un cran plus loin. Entourée de quatre musiciens (une fois n’est pas coutume, son mari Koen Gisen ne participe pas à l’aventure), elle explorera une heure durant un catalogue inédit puisant ses influences chez Jacques Duval, Serge Gainsbourg ou Michel Berger avec la spontanéité qui la caractérise depuis ses débuts. Sans oublier son légendaire dynamisme puisqu’elle se retrouvera bien souvent en train de faire la fofolle sur le devant de la scène ou au beau milieu du public.
Le fait qu’elle lise ses paroles (et qu’elle trébuche de temps en temps) n’altère en rien sa prestation. Au contraire, elle lui donne une authenticité et un charme supplémentaires. Au rayon des surprises, outre une version francisée de son excellent « Not The End », elle nous gratifiera de deux covers signées… Mylène Farmer (un « Ainsi Soit-Je » d’une désarmante sincérité émotionnelle et un « Sans Logique » retenu) en souvenir de son premier concert à Forest National. Cela nous fait un point commun… et une nouvelle piste à sérieusement explorer.