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The Sound Of Laibach

Jamais à court d’idées lorsqu’il s’agit de déboussoler leurs fans, les Slovènes de Laibach ont fait très fort l’an dernier en reprenant la BO du film « The Sound Of Music » dans un style tout personnel. Retour sur une soirée pour le moins surprenante à l’Orangerie du Botanique.

S’ils n’en sont pas à leur coup d’essai d’un point de vue covers, ce projet s’assimile toutefois à une expérience inédite. En 2015, ils ont en effet été invités à donner un concert à Pyongyang et ont choisi d’y interpréter des extraits de la musique du film de Robert Wise. Pour l’anecdote, cet énorme succès au box-office en 1965 est tellement populaire en Corée du Nord que certains instituteurs locaux enseignent l’anglais en se basant sur les chansons qui l’illustrent.

Le documentaire « Liberation Day » de Morten Traavik, présenté la veille au cinéma Nova en présence de l’équipe, relate cette aventure peu commune qui trouve désormais son prolongement sur scène via une tournée divisée en deux actes bien distincts. Introduits de manière similaire avec une ambiance de basse-cour à deux doigts de taper sur le système, ils empruntent toutefois des directions radicalement opposées.

Le premier sera sans surprise consacré à « The Sound Of Music » dont la plage titulaire, aussi perturbante qu’envoûtante, ne laissera personne indifférent. Dans la pénombre la plus totale et devant l’image d’un encéphalogramme réagissant aux notes d’un piano délicat, Marina Martensson, robe stricte et sobre, pousse des vocalises dignes d’une comédie musicale (« The Phantom Of The Opera » n’est pas loin…). Jusqu’à ce que Milan Fras, vêtu d’une tunique en satin blanc et coiffé de son inamovible voile de traversée du désert, ne débarque pour perturber l’ordre établi de sa voix d’outre-tombe.

Situés de chaque côté de la scène, les deux claviéristes se taillent la part du boulot. Les nappes synthétiques et mélodieuses prennent en effet le pas sur la batterie et la guitare, même si les titres à tendance électro-industrielle mesurée (« Do-Re-Mi », « Lonely Goatherd ») prétendent le contraire. Ceci dit, malgré les apparences, la cohabitation entre voix lyrique d’un côté et caverneuse de l’autre fonctionne à merveille une fois l’effet de surprise digéré (« Climb Ev’ry Mountain », « Sixteen Going On Seventeen »). Une troisième, celle de leur compatriote Boris Benko (le leader de Silence), chaleureuse et équilibrée, participe à l’équation par écran interposé.

En parlant d’écran, celui-ci occupe une tellement grande partie de la scène qu’il déborde sur les enceintes aux extrémités de celle-ci, pour un effet visuel hors pair et varié. Formes en 3D, fourmis en gros plan, paysages de montagne, clin d’œil à la pub, tout y passe, y compris les images de la chorale qui agrémente certains titres de l’album, « So Long, Farewell » en tête.

Bien entendu, on assiste à un concert de Laibach et pas à celui d’un vulgaire cover band. Le groupe n’hésite donc pas à modifier certains textes, non sans humour (ils font notamment rimer « crisp apple strudels » et « schnitzel with noodles » sur l’excellent « Favorite Things ») ou provocation (« How do you solve a problem like Korea? » sur le controversé « Maria/Korea » illustré d’images sur le régime nord-coréen. Dans la foulée, le traditionnel « Arirang » (l’hymne non officiel des deux Corées) bouclera la première partie de la soirée avec davantage de questions que de réponses.

Après un intermède chronométré de quinze minutes, la seconde partie se voudra plus conventionnelle dans leur chef, c’est-à-dire carrée, sinistre et saccadée sans toutefois dégager l’agressivité que l’on était en droit d’attendre et que certains spectateurs étaient venus chercher. En tout cas dans l’interprétation car le visuel inquiétant (majoritairement en noir et blanc) et les titres des morceaux, eux, relataient parfaitement leur état d’esprit : « Smrt Za Smrt » (Death Is Death), « Krvava Gruda, Plodna Zemlja » (Bloody Ground, Fertile Land)…

Pour l’occasion, le leader a enfilé un costume sombre et le guitariste (aux dreadlocks jusqu’au bas du dos) s’est armé d’un archet pour triturer les cordes de son instrument. Celui-ci, couplé aux parties de piano déstructurées, confère une vision expérimentale à des pièces lorgnant par moments vers le jazz avant-gardiste (les flippants « Nova Akropola » et « Vier Personen », genre de voyage sans retour vers les ténèbres). Mais le révolutionnaire (dans tous les sens du terme) « Ti, Ki Izzivas » clôturera momentanément les débats sans trop de dommages collatéraux.

Les rappels salueront le retour de Marina Martensson, méconnaissable par rapport au début du set avec sa coiffure ébouriffée à la Tofffsy et son décolleté plongeant. Relativement limité lors de la version du « Sympathy For The Devil » des Rolling Stones, son rôle deviendra prépondérant sur « The Coming Race », extrait de la BO du film « Iron Sky » (imaginez Nina Simone pour le thème de James Bond) ponctué par un « Let’s make earth great again » particulièrement d’actualité.

Elle attrapera même une guitare acoustique pour une version futuriste du « Across The Universe » des Beatles que Milan Fras, coiffé d’un chapeau de cow-boy, prolongera d’un « Surfing Through The Galaxy » country digne de Johnny Cash. Le tout devant des images d’un jeu vidéo inspiré des années 80, ponctué par un générique de fin digne des plus grands blockbusters. Une prestation déstabilisante, certes, mais on n’en attendait pas moins de leur part.

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