Lokerse Feesten 2025: dEUS on Air
À respectivement 31 et 27 ans au compteur, « Worst Case Scenario » et « Moon Safari » s’érigent comme des classiques des nineties. Une occasion comme une autre pour dEUS et Air de participer à leur manière à la cinquantième édition des Lokerse Feesten en les interprétant dans leur intégralité. Le tout introduit par Sylvie Kreusch et, plus surprenant, Zaho de Sagazan.
En effet, celle-ci, bien que superstar dans le sud du pays (elle remplit tout de même l’ING Arena), elle n’est que peu ou pas diffusée dans le nord. Mais vu que sa tournée s’arrête partout en Europe et au Royaume-Uni, la programmer avait du sens malgré une langue de Molière peu populaire à l’affiche des festivals flandriens. Elle prendra d’ailleurs un malin plaisir à approximativement communiquer en néerlandais (un peu) et en anglais (beaucoup) dans son accent frenchy typique. Même si elle commettra un petit impair en déclarant : « It’s the first time in your country »…
Musicalement parlant, ses compositions prennent une direction davantage électronique sur scène (« Ô travers » aurait pu être produit par les Pet Shop Boys). Pas étonnant lorsque ses musiciens s’affairent sur des machines ressemblant à des circuits électriques, un radiateur géant ou un morceau de tôle. Souriante et spontanée, cette petite blondinette fera se mouvoir une foule déjà nombreuse au son de titres aussi explicites que « Hab Sex » ou « Dansez », n’hésitant pas à descendre au milieu des spectateurs. Mais elle sait aussi se montrer tendre et émouvante lorsqu’elle raconte la genèse de « La symphonie des éclairs », joué au piano dans la foulée (malheureusement pas par elle). Ou comment toucher en plein cœur les plus hermétiques des rockeurs présents sur la plaine. Et les achever via cette cover à tomber du « Modern Love » de David Bowie. Respect.
SET-LIST
ASPIRATION
TRISTESSE
Ô TRAVERS
LA SYMPHONIE DES ECLAIRS
NE TE REGARDE PAS
HAB SEX
DANSEZ
MODERN LOVE
Sylvie Kreusch aura d’ailleurs un peu de mal à lui succéder malgré un spectacle rôdé vu sa présence sur la quasi-totalité des festivals cet été. Se produisant devant une forêt d’oreillers gonflables argentés en lévitation, ses musiciens aguerris avaient déjà entamé l’intro de « Ding Dong » lorsqu’elle déboulera sur scène vêtue d’une large tunique blanche à franges, bonnet d’esquimau assorti et lunettes de soleil. Un accoutrement de star rapidement allégé des deux derniers accessoires pour la suite d’une prestation qui la verra inlassablement arpenter la scène. Jamais à court de souffle, l’ex-seconde voix de Warhaus a véritablement trouvé sa voie dans un projet solo à vocation internationale.
Terminées les comparaisons avec Lana Del Rey même si la mélancolie s’invite encore par moments (« Shangri-La », l’impeccable « Ride Away »). En revanche, les détours pop rendent des titres comme « Just A Touch Away » ou « Sweet Love (Coconut) » irrésistibles. Sans parler des essentielles secondes voix qui transcendent littéralement l’ensemble (« Cloud 9 », « Please To Devon »). Ou, à l’instar d’Iggy Pop trois jours plus tôt, comment savoir bien s’entourer. Car tant la rythmique de Simon Segers (The Bony King Of Nowhere) que la dextérité du guitariste Jasper Segers (co-auteur de l’album et donc co-lauréat d’un des 3 MIA Awards remportés par Sylvie début d’année) balisent une trajectoire parfaitement synthétisée sur le toujours aussi irrésistible « Walk Walk ». Un titre sur lequel la chanteuse manifeste désormais son soutien au peuple palestinien, habituellement via un parapluie à l’effigie d’une pastèque mais ce soir au travers d’une image du fruit en question diffusée sur l’écran géant. « Comic Trip » peut-être, mais un chouia sérieux tout de même…
SET-LIST
DING DONG
HOCUS POCUS
SHANGRI-LA
SEEDY TRICKS
CLOUD 9
RIDE AWAY
WALK WALK
JUST A TOUCH AWAY
PLEASE TO DEVON
DADDY’S SELLING WINE IN A BURNING HOUSE
SWEET LOVE (COCONUT)
COMIC TRIP
La nuit était entre-temps tombée sur Lokeren, un élément essentiel pour la suite du programme. Car le set d’Air sera d’abord et avant tout basé sur un époustouflant visuel requérant une maîtrise technologique hors pair. Le duo de Versailles n’a plus rien publié depuis « Music For Museum » en 2014, un album à l’édition strictement limitée et tant Nicolas Godin que Jean-Benoît Dunckel ont depuis poursuivi leurs carrières solo respectives. Ils se sont retrouvés l’an dernier pour célébrer grosso modo le quart de siècle de « Moon Safari », leur acclamé premier album sorti en pleine période French touch. Méticuleux comme ils sont, on se doutait qu’ils n’allaient pas se contenter du minimum syndical et à ce niveau-là, on n’allait pas être déçus du voyage.
Car c’est bien d’une odyssée dont il s’agit, agrémentée de décors rétrofuturistes se succédant inlassablement autour du groupe (le duo accompagné d’un batteur) se produisant vêtu d’un uniforme blanc immaculé à l’intérieur d’une boîte rectangulaire intégrée à la scène. Entre pellicules, voix lactée ou décors seventies rappelant celui du Café Central, les yeux des spectateurs ne savent plus où se poser, d’autant que le groupe utilise également les écrans entourant l’enceinte du festival. Une immersion totale dans l’univers d’un groupe que l’on a plutôt l’habitude d’écouter lors d’après-midi chill ou dans des soirées branchouillardes.
Musicalement, l’album étant essentiellement basé sur des machines, la reproduction live reste assez fidèle aux enregistrements studio. Même si les différents synthés vintage disposés sur scène ne font pas de la figuration (« Kelly Watch The Stars ») et la basse de Nicolas Godin abondamment utilisée (« La Femme d’Argent »). Autres curiosités, les vocaux trafiqués au Vocoder (« Sexy Boy », « Remember ») et la voix de Beth Hirsch remixée sur « All I Need ». Seul bémol, à peine une moitié de set sera consacrée à « Moon Safari », le groupe débordant ensuite sur le triptyque ouvrant « Talkie Walkie » sorti six ans plus tard, dont le planant « Venus » et le délicat « Cherry Blossom Girl » à trois voix. Après le tout aussi prenant « Highschool Lover » et l’hypnotique « Dirty Trip » (extraits de la BO de « The Virgin Suicides), le trio virera electro-prog pour un flashy « Don’t Be Light » que n’aurait pas renié Archive. Rarement passionnants sur scène, Air a désormais trouvé un moyen imparable de rendre leurs prestations lumineuses.
SET-LIST
LA FEMME D’ARGENT
SEXY BOY
ALL I NEED
KELLY WATCH THE STARS
REMEMBER
LE VOYAGE DE PENELOPE
VENUS
CHERRY BLOSSOM GIRL
RUN
HIGHSCHOOL LOVER
DIRTY TRIP
DON’T BE LIGHT
En 1994, « Worst Case Scenario », le premier album de dEUS, fait office d’une bombe dans le paysage musical made in Belgium avant de bien vite contaminer l’Europe. Insaisissable, aventureux et singulier, il se classera notamment dans le top des albums de l’année du prestigieux NME (une référence à l’époque). Publié sur le label indépendant Namurois Bang! (car on ne croyait pas en eux en Flandre…), il sera distribué à l’international par Island Records, ni plus ni moins et deviendra bientôt un classique des nineties. Autour du charismatique Tom Barman, on retrouvait notamment le violoniste Klaas Janzoons (toujours fidèle au poste), le guitariste Rudy Trouvé et le bassiste Stef Kamil Carlens. Ces derniers bifurquant rapidement vers d’autres horizons artistiques, boostés par une scène anversoise alors en pleine ébullition.
Pour célébrer le trentième anniversaire (et une rawette) de l’album, le groupe s’est lancé dans une mini tournée pendant laquelle ils le jouent dans son intégralité. Mais contrairement à celle organisée à l’occasion des vingt ans de The Ideal Crash en 2019, ils abordent sa relecture en ne respectant pas l’ordre des plages. « Jigsaw You » entame ainsi les débats en mode échauffement avant de balancer la sauce sur un « Via » qui affolera déjà une foule particulièrement compacte (la soirée est sold out, preuve de l’impact du groupe et de la plaque). La surprise majeure de cette série de concerts réside dans la présence de Stef Kamil Carlens dont la voix en harmonie avec celle de Tom reste indissociable des débuts de dEUS. Bien qu’il ne débarque sur scène qu’après le premier tiers de « W.C.S. (First Draft) », son impact sera majeur.
Couvre-chef jaune en tricot vissé sur le crâne, il élèvera ensuite « Morticiachair » au rang de jam imprévisible en parfaite symbiose avec les musiciens sur scène : le bassiste Alan Gevaert, le batteur Stefan Misseghers et le nouveau guitariste Simen Folstad Nilsen qui remplace Mauro Pawlowski pour raisons de santé. Ses parties vocales sur le troublant « Secret Hell » valant elles aussi le déplacement. L’occasion de jeter un œil au décor où les oreillers de Sylvie Kreusch ont été remplacés par des abat-jours inversés diffusant une lumière tamisée que magnifieront un tout aussi majestueux « Right As Rain » dans la foulée.
On retiendra encore les soubresauts de « Mute », les détours déstructurés de « Great American Nude » et l’entêtant violon de « Lets Get Lost ». Avant que les deux titres emblématiques de la plaque ne soufflent l’endroit. « Hotellounge (Be The Death Of Me) » sur lequel l’ami Stef se démarquera encore et « Suds & Soda » devenu depuis un hymne tout court. À tel point que la jam mariachi « Divebomb Djingle » fera office d’appendice (presque) facultatif. Avant un mini rappel abordant la phase suivante du groupe, deux extraits d’« In A Bar, Under The Sea » (« Roses » et « Fell Off The Floor, Man ») qui soufflera ses trente bougies en 2026. Le prochain chapitre de l’histoire du groupe à bénéficier d’une relecture ?
SET-LIST
JIGSAW YOU
VIA
W.C.S. (FIRST DRAFT)
MORTICIACHAIR
SECRET HELL
RIGHT AS RAIN
MUTE
SHAKE YOUR HIP
GREAT AMERICAN NUDE
LETS GET LOST
HOTELLOUNGE (BE THE DEATH OF ME)
INTRO
SUDS & SODA
DIVEBOMB DJINGLE
ROSES
FELL OFF THE FLOOR, MAN