PREMIER PASSAGE EN BELGIQUE : GURU GURU
GURU GURU SPIRIT OF 66 Vendredi 29 novembre 2002. Je viens de vivre, en une très grande semaine au Spirit, deux événements « mondiaux ».
Après le blues torride de Tommy Castro, le son énorme de Guru Guru valait vraiment le déplacement.
Quelle chance nous avons de pouvoir compter sur une programmation pareille dans cette salle mythique !
En fait, pour être franc, la musique de Mani Neumeier n’est pas la première que j’écouterais en me levant le matin et il a fallu tous les talents de persuasion de Francis Géron (qui dans ces cas-là sait y faire) pour me convaincre de venir les voir.
Comme d’habitude, je ne l’ai pas regretté parce que l’ami Francis a un don pour vous faire découvrir des choses fantastiques et savoir à l’avance que cela vous plaira. Il m’a encore eu cette fois ci. Disons que c’est une douce violence et que j’ai bien fait de suivre ce conseil avisé (et à Verviers aussi d’ailleurs… joke !).
De plus, je compte dans mes amis Citydan, le plus grand connaisseur de musique psychédélique qu’il m’ait été donné de rencontrer et ce brave garçon est un panégyriste de première quand il s’agit d’évoquer les ondes fumantes et planantes du genre (je parle de la guitare et de l’encens tas de nœuds… pas du narghileh, bananes !).
Il m’avait donc lui aussi persuadé d’entrer dans le monde flottant du space rock musclé et déjanté de Guru Guru ( ah ! le nom dis donc !).
Une petite centaine de fans (beaucoup d’Allemands, entre autres) s’étaient donné rendez-vous à l’heure pétante pour entamer ce trip énorme. Je ne savais pas encore, à ce moment-là, à quelle sauce nous allions être soumis. Bizarrement, en voyant le gong trôner au milieu de la scène et les cymbales suspendues, l’effet sismique que m’avait procuré Magma me revint en mémoire. Pressentiment ou correspondance de job entre Vander et Neumeier, tous deux batteurs émérites ? Allez savoir, il y a de ces connivences quasi métaphysiques parfois…
Deux Hugues et Kettner entourant la batterie Sonor Hilite et un Soldano Vintage attendent sagement de frémir… La basse Fender de Peter Kuhmstedt et la Strato de Roland Schaeffer, rien qu’à l’œil nu, présentent les stigmates de milliers d’heures de vol. On peut franchement dire qu’elles ont servi celles-là. Dans un coin, discrètement appuyée, on devine une espèce de toute petite « Flying V » sans clefs, adorable ! J’apprendrai plus tard, de la bouche même de Luigi Archetti, que cette fantastique guitare est une « Steinberger » aujourd’hui disparue des catalogues et je découvrirai par la même occasion, le son sublime qu’elle dégage et les qualités guitaristiques prodigieuses de son propriétaire.
C’est la première fois en trente-cinq ans que Guru Guru joue en Belgique. Ca paraît incroyable… mais vrai. Il fallait le Père Géron, encore lui, pour corriger cette anomalie !
Mani Neumeier a d’abord fait partie avec Uli Trepte d’un combo de free jazz « Irene Scweitzer Trio », vers 1967. Le groove de Guru Guru a pris naissance un peu plus tard au festival d’Heidelberg, avec le trio formé par Mani Neumeier, Uli Trepte et Hans Sachs. Les deux premiers jouaient des impros de free jazz pendant que le troisième lisait ses textes. C’est durant l’été 1969 que le nom « Guru Guru » s’est affirmé réellement.
De nombreux guitaristes sont arrivés et partis. Le plus stable fut, un temps, Jim Kennedy avant que ne débarque un certain Ax Genrich. Le trio ainsi formé par Neumeier, Trepte et Genrich enregistra « UFO » en 1971 avec Julius Schittenhelm. On trouve dans cet opus un rien « décalé » des titres comme « Der LSD March » et « Stone In » sans équivoque. La musique était explosive, à mi chemin entre Hendrix et Pink Floyd caractérisée par un son space-rock psychédélique dur. Quand on y plongeait, on pouvait vraiment s’attendre à voir débarquer des extraterrestres ou tout au moins l’imaginer comme une musique de film célébrant leur arrivée. L’album « Hinten » de la même année, qui suit, était basiquement constitué des mêmes ingrédients un rien plus calmes et plus structurés néanmoins. C’est le moment que choisit Mani Neumeier pour y aller de textes oniriques parfois délirants de non sens qui provoquaient l’hilarité et le plaisir des spectateurs. Son ouverture « Electric Junk » est un exemple typique de la musique originelle de Guru Guru démarrant lourdement sur des riffs hendrixiens, prolongés par des dialogues parlés sur des roulements de drums déments, ponctués de passages instrumentaux à la « Cream », bifurquant vers de longues transitions sidérales avec d’étranges marmonnements finissant dans une sorte de folie « hendriesque » (sic ! ).. Ce fascinant assemblage indiscipliné prit une dimension de plus en plus ample et ne cessa quasiment plus de se développer en utilisant la scène comme point d’appui principal. Je pourrais faire dix pages rien qu’à propos de la discographie de Mani Neumeier et de ses amis puisque j’ai compté pas moins de 54 albums (sans additionner les doubles ou triples CD) sur le site web du band… Autant dire qu’on y passerait la nuit. Néanmoins, parmi cette folle collection, on peut retenir «Der Electrolurch » un titre qui est probablement le titre le plus emblématique du groupe (joué ce soir) . Il faisait partie d’un disque comprenant deux petits rock and roll commerciaux suivis par un medley à allonge de la même eau et sur l’autre face une chanson « dreamy and spacey » (comme ils disent…) : « The Story of Life » chantée par Bruno Schaab et incluant une terrible séquence de fusion instrumentale. On notera aussi « Chicken Rock » et « Woodpecker’s dream » sur l’album « Mani Und Seine Freunde » de 1975 qui traduisent admirablement l’humour particulier de Mani Neumeier.
Ce soir, l’entame fut splendide, à la limite du « rentre dedans » comme on aime quand on ne compte pas les décibels. Une attaque rythmique intense, carrée et forte dans un tourbillon de drumclash (je crée le mot, no panic !) qui « beatent » à mort, rien que cela !!!! Scié que j’étais, aplati sur le son comme une guêpe sur le miel. Mazette, le démarrage de brigands que voilà. Faut pas me faire cela trop souvent hein les gars, j’suis fragile moi…Petit salut ironique à l’Euro, (« Der Euro Kommt ») cette chanson a de la gueule, comme on dit…
« Iddli Killer » prend son envol sur une base reggae et puis voilà que l’ami Schaeffer nous sort une fine trompette en bois de quinze mètres de long (je sais j’exagère toujours) à mi-chemin entre l’instrument des gardiens du cirque romain et celui des bergers du Haut Atlas qui produit un son fantastique, strident mais pas criard, chaud et précis sans être cassant . Beau, magnifique même !!! S’ensuit un martèlement de beats incroyables ponctués par ce … machin qui met une ambiance de carnaval et de souk mélangés. On se croirait à Rio et à Marrakech en même temps. Là je meurs, c’est trop, trop drôle, trop fou, trop énorme, trop tout… P… le bazar ! Incroyable… et j’ai dû attendre l’âge de mes artères pour voir cela… Je le conseille à toute la proggitude de Belgique parce que comme enfantement musical originel, y’a pas mieux… C’est la source, les mecs, courrez-y, vous verrez !
Pas encore remis de ces émotions décapantes, voilà que résonne une attaque de rythmique comme seul Steppenwolf les réalisait à la grande époque. Cette entame est un clin d’œil magistral à Sookie Sookie. Je ne sais pas si c’est fait exprès mais je le crois. Ca va changer quand même … Ce morceau de bravoure (chanté en Allemand) s’appelle « Rastafari in Bayuwari », cela décape et retape c’t’affaire, bien les petits loups, bien, bien… et ce tranchant de la rythmique que j’adore…
Le titre suivant est un petit hommage très bien calibré à Fellini « Il Maestroso » (les origines italiennes d’Archetti sans doute… et surtout le partage d’une certaine vision théâtrale déjantée, à mon avis). Cela démarre comme une intro des Shadows dopée par le sax déterminé de Roland Schaeffer et ça se termine logiquement dans une douce agitation colorée par les beaux solis de cette sublime Steinberger dont Luigi Archetti se sert admirablement. C’est un son psyché bien entendu que n’aurait pas désavoué Jerry Garcia (Jérôme-John, si tu nous regardes de là haut…).
Dans ma petite liste, j’ai noté ensuite, avec mes petits mots tremblants à moi tout empreints de l’envie de bien faire (faut quand même pas que je raconte des salades, hein ? Tout ce que je dis est vérifiable) « Living in The Woods » mais mon nouveau Camarade de jeu, le brave Peter Kuhmstedt, le bassiste qui m’a refait la playlist de mémoire (qu’il en soit un million de fois remercié), me la met après « Izmiz » (Eh ! du calme hein, je parle de la chanson… quoi !). « Coquille en soie » comme aurait dit notre regretté Sana, je vais vous décrire les deux chansons qui ont précédé le break et vous choisirez en fonction de vos immenses connaissances qui font ressembler les miennes à des déjections de cancrelats (si, do…). Donc, ce qui est pour moi la chanson 5 et qui date de 1972 (Rani l’a dit lui-même, na na na euh !) est un long morceau parlé sur un roulement continu de toms. Rani Neumeier s’est placé à l’avant de la scène avec son gros tom qu’il cogne inexorablement. La guitare se veut douce et cristalline quand commence l’attaque de sons psychédéliques et que déferle une tonne de « bloops » de cordes boudhiques dirais-je pour me faire comprendre (j’en vois un qui rigole mais je voudrais bien l’y voir lui…). Ce que je me suis dit à ce moment c’est que cela devait faire bougrement plaisir à mon pote Citydan ce truc… Et Luigi Archetti : impérial à la guitare ! Fantastico, si si !!
Et donc, nous voici-z-à la six…qui m’a sidéré. La fameuse trompette des bords du Nil attaque entourée de tintements de clochettes, pendant que le chorus donne à peu près ceci : « dong dang gue ding djang djang gue ding » répété à l’infini (« technique de chant indienne » me souffle le brave Dany à l’oreille). On entre alors dans un tapis de sons fascinants qui vont servir de base aux dialogues d’appeaux et de courcaillets. Parce qu’entre temps, nos deux frontmen de service (Mani monté à l’avant et Roland) se sont lancés dans cet échange sifflotant surréaliste au moyen de mirlitons de la mort (Eh ! c’est quand même pour zinguer les zoziaux, non, ces trucs là !?). Bref, je suis hypnotisé par ce genre d’effet dévastateur qui garde néanmoins une sérieuse cohérence artistique. Comble de stupeur, voilà-ti-pas que notre Mani gance ?… (ouais je voulais la faire depuis longtemps). Enfin, je veux dire qu’il commence à présenter les musiciens en utilisant sa « flûtchette à la mords-moi-le-nœud » (à mon avis, il veut vraiment nous faire l’appeau ! Waaaarrrffffffffff !). Et ça fonctionne, en plus, tout le monde comprend, tout le monde se marre. Ecroulés qu’on est ! C’est délirant. Mais qu’est-ce que j’aurai vu comme machins dingues dans cette salle, c’est pas possible ! Ensuite Mister Neumeier retourne à la batterie pendant que le « canard » de service (Roland en l’occurrence) s’excite comme une armée de Cols Verts et quand il se calme, c’est la trompette africaine qui reprend de plus belle (le bordel ce truc, un vrai délire). Le solo final se situe juste entre la cornemuse et le horn. La rythmique redémarre et castagne à fond dans un déferlement de gros son sidérant, puis les mecs reviennent au scat indien « dong dang gue ding djang djang gue ding » On se demande où on est. On va finir par voir passer les felouques sur la Vesdre, je te le dis moi ! Déjà qu’on a vu les drakkars avec Backdraft. Faut vraiment arrêter les champignons, les gars, c’est un conseil…
Vais-je vous dire dans quel état nous atteignîmes la mi-temps ? Oh que nenni ! Vous aurez compris par vous-mêmes.
Quinze bières (au moins) plus tard, nous revoici d’attaque… Euh… pour les bières, je plaisante ! Que va-t-il encore arriver ?
Ben l’histoire d’un mec qui voit des extraterrestres féminines fondre sur lui et qui « chose » avec… C’est dans la chanson, je le jure ! « Space Baby » va donner l’occasion à Luigi Archetti de faire fumer sa Steinberger, dans un morceau plus proche de Black Sabbath que de Celentano (c’est moi qui vous l’dis). Un démarrage archi distordu et de longues envolées musclées garniront ce titre du plus bel effet pendant que l’ami Luigi nous fait un numéro de vibrato étonnant (il l’enlève carrément de son logement dans la guitare et le remet à sa guise, Môssieur !).
« Jetlag » et ses influences sixties notoires seront le prétexte à des duels de guitares que ne désavoueraient pas les sudistes les plus endurcis. J’ai d’ailleurs à mes côtés une super nana noire (de cheveux) qui apprécie avec ostentation. Je ne sais pas si elle est sudiste mais elle me ferait bien perdre le nord en tout cas.
« Pyjama » montre toute l’étendue des talents de drummer que révèle Mani Neumeier et dont je n’ai pas encore beaucoup parlé parce que c’est tellement évident. C’est ce gars qui dirige la manœuvre avec à-propos, détermination et efficacité. Il est né dans une caisse claire, cela se voit et ça s’entend au premier coup de baguette. Francis m’a trouvé bizarre quand je l’ai comparé à Christian Vander mais je maintiens mon avis… Il en a la classe et d’une certaine manière, s’il est moins physique, il compense en vivacité.
Un super jeu de sax embellit les passages de ce morceau à l’infini et on glisse insensiblement vers le jazz somptueux, calme et GRAND. On va rester d’ailleurs un certain temps dans ce registre avant que ne démarre « Moshi Moshi » (1997) un long emballage dément qui cartonne à fond les manettes. On est dans un jeu de guitare type Foire du Trône puis ça s’envole avec les sons et les couleurs de l’Afrique. On se croirait Boulevard de l’Indépendance à Kinshasa, le 30 juin. Virage instantané à 180 degrés, c’est parti dans la disto et les duels de guitares hendrixiens qui durent, qui durent. Puis le retour au calme survient avec de petites passes d’armes entre rythmiques. Les drums dirigent la manœuvre. Chaque fois que les roulements s’interrompent, le public crie « Eh ! ». Ca dégage une pêche et une ambiance inimaginables.
Après quelques échanges musclés batterie / public, Mani Neumeier qui avait quitté le plateau débarque avec un sac sur le dos. Il contient de la quincaillerie et de l’argenterie (plateaux, seau à champagne, bimbeloterie diverse) qu’il étale sur la scène. Pendant cinq minutes, il va s’amuser et nous amuser en tapant sur ces couverts et ces pièces de cuisine. C’est extraordinaire. Il conserve le rythme sans perdre le contrôle du beat un millième de seconde. Et ça tient la route !!! Il retourne aux fûts et redémarre ses adresses au public en stoppant les roulements d’un coup sec. Quelle affaire, mon Dieu quelle affaire ! Puis voilà la basse qui s’y met et les guitares qui recommencent à cracher, est-ce possible d’aller si vite, si fort, si loin ? J’en suis médusé.
Premier rappel : « Elektroluch » si je ne m’abuse. Un scat chanté « sinner, soldier, macho, winner » reçu comme une baffe à la gueule. Super truc musclé entrecoupé de phrases assassines.
Deuxième rappel : ne serait-ce pas, par hasard un certain « Stomp » ? Je raconte. Mani Neumeier s’est affublé d’un masque impressionnant. Ca tient du bonnet d’Aztèque qu’aurait croisé un shaman extraterrestre à la recherche d’Indiana Jones. Le dialogue principal a lieu à nouveau entre l’appeau et la guitare. Mani Neumeier interroge ainsi tout un temps la guitare qui répond. Succulent ! Pour finir Luigi abandonne carrément son engin au sol et la gratte continue à jouer toute seule (dingue non ?). R/N retourne alors aux drums et redémarre dans un mid-tempo très world-planant. Il revient à nouveau au micro avec une peluche qui, lorsqu’il tapotte dessus, reproduit le thème de la chanson, genre robot de Star War, inspiré au départ par l’appeau. Puis : arrêt sur son et image, il quitte la scène comme un ange en reprenant tout le matos qu’il a utilisé.
C’est pas fini : troisième rappel. Beat de basse, intro à la Johnny Rivers, les deux guitares en appui l’une sur l’autre encadrent cette basse impériale, omniprésente. Aux dires de Peter, c’était Jo(h)nny Filter (merci Peter). Tout s’achève avec Mexikaner (ou l’inverse, je ne sais plus moi, je suis rétamé pour le compte) dans l’ambiance que ce mot peut suggérer, celle du grand carnaval universel où nous auront plongés plus de deux heures quatre Germains déjantés, amoureux du non sens verbal et de l’exploration musicale infinie. Celle d’un monde où les notes ne se prennent pas au sérieux, où la terre vue de loin est si petite qu’elle nous pousse à chercher, chercher toujours un chemin vers plus de lumière.
Thanks folks, great and hot evening !!! Merci Monsieur Cisse, vous êtes un clapant amphitryon savez-vous ! (Mais non c’est pas un gros mot, ça veut dire organisateur de spétaks quoi !).
Allez, je vais dormir moi je sens que Guru Guru fait son effet, il est temps ! A+
DD