PEEPING TOM + Dub Trio – Het Depot, Louvain, 6 novembre 2006
Où s’arrêtera Mike Patton ? Derrière ce nom obscur se cache le génial Mike Patton, musicien à l’inventivité débridée que le monde civilisé a appris à connaître dès le début des années 90, quand il officiait chez les métallos inclassables de Faith No More. Depuis, le général Patton mène des combats divers et variés sur tous les fronts musicaux, aux commandes de groupes complètement iconoclastes et surprenants. Que ce soit dans Mr. Bungle, Fantômas (avec les inénarrables Melvins), dans le Jazz expérimental de John Zorn ou chez Tomahawk, Mike Patton est partout, crée tout, réinvente tout. On le retrouve aujourd’hui chez Peeping Tom, une formation résolument tournée vers, accrochez-vous, le Rap, la Dance et le Dub. Comment a-t-il osé, me direz-vous? Tout simplement parce que Mike Patton est Mike Patton et qu’il fait ce qu’il veut. D’ailleurs, ses fans ne lui font aucun reproche et se déplacent nombreux au concert de Peeping Tom à Louvain en ce froid 6 novembre. Même ceux qui adoraient le Metal de Faith No More se sont laissé séduire par la main magique de Patton, qui transforme tout ce qu’il touche en parcelle de génie. Dans Peeping Tom, nom pas innocent qui fait référence au film anglais de Michael Powell (1960) racontant l’histoire d’un tueur maniaque qui filme les victimes qu’il envoie dans l’au-delà, Mike Patton s’est entouré d’une section rythmique au-dessus de tout soupçon, le Dub Trio, ainsi que du rappeur Rahzel, un Black colossal aux cordes vocales d’un autre monde. Un premier album très surprenant sorti il y a quelques mois est le prétexte de cette petite tournée, prélude aux prestations européennes de Mike Patton avec John Zorn à la fin du mois. Sur ce disque, Patton a convoqué la fine fleur de la Hip-hop et a commis des titres en association avec Amon Tobin, Massive Attack, Bebel Gilberto, Norah Jones ou Kool Keith.
C’est le Dub Trio qui assure lui-même la première partie, ses trois membres signant donc pour deux gigs en une soirée. Ces new-yorkais ont une allure très simple, casquette et tee-shirt noirs, et démarrent leur show par une décharge thrash-metal de quelques secondes qui ouvre la voie à un dub-reggae ultra-maîtrisé. Derrière les fûts se tient un long type au look d’ayatollah, crâne rasé et grande barbe. Agissant en véritable tortionnaire de tambour, il est capable de changer de tempo en permanence, alternant reggae, jazz, dub, rock lourd à la limite du Doom. Le guitariste produit du riff à la demande et cette prestation entièrement instrumentale de 45 minutes se révèle vite bien intéressante. Moi qui ne suis absolument pas coutumier de ce registre, je parviens néanmoins à bien m’amuser.
On prend les mêmes et on recommence quand Mike Patton et son équipe abordent la scène du Dépôt vers 22h10. Le set sera bien évidemment consacré aux titres de cet unique album de Peeping Tom et voit se succéder entre autres « Five seconds », « Mojo », « Don’t even trip », « Getaway », « How u feel », « Caipirinha », « Celebrity death match », « Your neighborhood spaceman », « Kill the DJ », « Sucker ». Patton laisse de temps en temps ses séides se lâcher un peu et c’est ainsi qu’on peut apprécier à sa juste valeur la prestation hallucinante d’un Rahzel qui joue à la boîte à rythme humaine avec son seul micro, capable de faire trembler toute la salle rien qu’avec la voix. Le DJ qui trône avec ses platines dans le fond de la scène aura aussi l’occasion de buriner de la hip-hop façon maison. Il faut s’y faire mais voilà un concert entièrement dominé par le Dub avec une atmosphère Dance, qui laisse transpirer de temps à autre un Rap hargneux, haché par des tirs de mortiers électriques signés du Dub Trio. Oui, Eminem peut partir au Congo vendre des coquelicots aux pêcheurs de perles : Patton montre qui est le patron, même sur un terrain où on ne l’attendait pas. Un public en adoration tente de toucher le petit bonhomme en costume et baskets qui s’approche toujours près de la scène mais garde ses distances.
Les amateurs peuvent ainsi profiter d’une heure de show, clôturé par un rappel grandiose. Patton termine comme s’il chantait à l’opéra, la main sur le cœur. Pendant tout le concert, il aura galopé sur les registres vocaux, taraudé par le besoin d’assumer ses instincts de chanteur, offrant au public un oratorio psychotique de haut vol. Si on lit effectivement entre les lignes de cette Dance Music apparemment insouciante, on trouve de quoi inquiéter. Ici, pas question de plaire aux crétins décérébrés qui envahissent les dance-floors le samedi soir. On est dans l’univers de Patton, un génie qu’il faut aller voir sur scène si vous n’avez pas eu l’occasion de voir Zappa ou Mozart. Justement, son passage avec John Zorn à l’Ancienne Belgique le 28 novembre est peut-être une occasion.