Dour Festival 2018 (Jour 4) : Red devil inside
Si les Diables Rouges avaient rendez-vous avec l’Histoire ce samedi 14 juillet, le Dour Festival, lui, continuait son petit bonhomme de chemin et s’apprêtait à atteindre son pic de fréquentation avec pas moins de 52.000 festivaliers dont la plupart arboraient fièrement les couleurs nationales. La programmation du début de journée avait elle aussi une connotation noire jaune rouge. Ainsi, en ouverture du Labo, les Gantois de Hong Kong Dong présentaient leur pop futuriste un rien décalée, et pas que musicalement. Le chanteur se produit avec un long gant à damiers alors que la claviériste se retrouvera coiffée d’une demi-boule à facettes. Quant à l’excellent guitariste Geoffrey Burton (Daan, Triggerfinger), il est tiré à quatre épingles comme à sa bonne habitude, malgré la chaleur étouffante. Par moments noisy à la Archive, leurs compositions à tendance électro rehaussées d’une guitare électrique (ou deux) chauffent la piste.
Non loin de là, leurs déjantés voisins de Onmens s’affairaient à dynamiter la Caverne. Sur scène, un chanteur intenable à la voix criarde et énervée, un guitariste démonstratif et beaucoup de machines. Genre d’EBM extrême à la croisée des chemins entre The Prodigy et Nitzer Ebb incluant des parties plus ténébreuses, ils se démènent comme de beaux diables (rouges), faisant fi des modes et des gens bien-pensants.
16h, l’espace en face de l’écran géant situé à proximité du stand bières spéciales grouille de monde, au contraire de la Caverne où les pauvres Thot entamaient leur set au moment du coup d’envoi du match. On savait que le groupe emmené par Grégoire Fray tenait à cette première venue à Dour (minutieusement peaufinée la veille au Café Central) et ce n’est pas une potentielle médaille de bronze qui allait nous détourner du droit chemin.
D’autant qu’ils avaient mis les petits plats dans les grands en se produisant avec deux batteurs, décuplant ainsi la puissance d’un set énergique et sans concession. Ceci dit, derrière le mur du son se niche un réel sens mélodique au service des compositions sinueuses que jalonnent « Fleuve », leur dernier album (mention à « Duna »). Des compositions qui ont gagné en intensité depuis la release party du Beursschouwburg et qui doivent donner la pleine mesure de leur puissance une fois la nuit tombée. Rendez-vous l’an prochain pour la revanche ?
16h45. Baxter Dury débute son set devant une affluence à peine plus fournie. Dans son malheur (son équipe joue aussi), le dandy Londonien aura plus de chance car la mi-temps venait d’être sifflée et certains festivaliers pris de remords viendront tout de même faire acte de présence avant de refiler presqu’aussitôt. Élégamment sapé et cheveux grisonnants, il a l’air plus en forme qu’au
Bota en mars dernier et ne touchera pas un verre d’alcool, lui qui en vidait un entre chaque titre il n’y a pas si longtemps encore.
Lorsque l’on est musicien et que l’on se fait larguer, soit on compose un album écorché à la Sophia soit on s’appelle Baxter Dury et on enregistre « Prince Of Tears », compte-rendu sarcastique de cette traversée du désert (illustrée avec humour sur la pochette). Si sur scène, la présence de ses choristes apparaît comme essentielle, ses déclamations désintéressées et son charisme rendent le moment unique. Sans parler des compositions entêtantes à souhait (« Isabel », « Pleasure », « Miami ») enroulées par un bassiste qui prend clairement son pied (« Porcelain »). Mais le clou du spectacle sera le magnifique et troublant « Prince Of Tears » en guise d’au revoir. Les absents ont eu tort…
Histoire de s’octroyer un break utile dans tous les sens du terme, un petit tour du côté de l’Agora Green, l’endroit où se concentrent désormais les stands des différentes associations. Parmi celles-ci, une plateforme destinée à venir en aide aux réfugiés située à côté d’une autre qui vante les bienfaits d’un… éco-orgasme. L’esprit Dour dans tous les recoins du festival…
En inscrivant le deuxième but des Diables, Eden Hazard ne se doutait pas qu’il allait nous apporter sur un plateau d’argent la transition rêvée avec le concert suivant, celui de Chelsea Wolfe. La native de Sacramento a sorti l’an dernier « Hiss Spun », un cinquième album acclamé, et pas uniquement par la communauté gothique. Délibérément sombres mais sans verser dans l’excès, ses compositions oscillent quelque part entre Bat For Lashes et… Björk, avec une puissance et une théâtralité supplémentaires. Mystérieuse, elle se cache derrière un déguisement typique de corbeau qui focalise l’attention sur une voix aussi troublante que fascinante. Ici aussi, la nuit devrait les hanter davantage.
Détour furtif ensuite par la Petite Maison dans la Prairie où les Parisiens de Bagarre avaient échangé leur spot avec les Londoniens de Mount Kimbie. Trop pop à ce moment de la soirée, c’est la Boombox qui a eu notre préférence pour R+R=NOW (Reflect+Respond=NOW), supergroupe de jazz dont la dextérité musicale n’est plus à démontrer. Le hic, c’est que ce type de prestation ne s’adresse pas à n’importe qui et peu sont les festivaliers conscients de l’or que ces gars ont entre les mains. Ceci dit, après quatre jours de Dour, ils ont des excuses.
Retour finalement à la Caverne où les frappadingues Ho99o9 mettaient le souk comme ils l’avaient déjà fait à la Rotonde deux soirs du mois de novembre l’an dernier. On a l’impression qu’ils avaient du mal à choisir entre hip-hop, punk, électro et indus donc ils ont tout combiné avec une vision encore plus extrême que les plus rigides représentants de ces styles pris indépendamment. Résultat, leur set incite naturellement à l’émeute.
À tel point que l’on se demandait comment Nils Frahm allait capter l’attention des festivaliers sans les endormir. Pour arriver à ses fins, l’impressionnant virtuose Allemand n’a pas calculé ou élaboré une quelconque tactique. Il s’est tout simplement contenté de garder la ligne directrice qui est la sienne et de virevolter seul entre ses nombreux claviers, ceux qui lui ont permis d’enregistrer « All Melody », considéré par beaucoup comme un des meilleurs albums de cette première moitié d’année. À l’instar de son compatriote Max Richter, il remet sur le devant de la scène une musique hors du temps en y incorporant des sonorités modernes qui lui donnent une cure de jouvence salvatrice. Post-classic, anyone ?
Tout comme lors de leur passage à Forest National en janvier dernier, les trois lascars d’Alt-J vont impressionner ce soir en tête d’affiche de la Last Arena. En tout cas visuellement car la lumineuse mise en scène compte parmi les meilleures du circuit actuellement. Elles sont complétées par des écrans diffusant des images en noir et blanc, accentuant le contraste par la même occasion.
Si le visuel se veut à la hauteur de leur statut du jour, on réservera notre jugement par rapport aux compositions. Bien entendu, ils ont écrit des pop songs parfaites (« Something Good », « Left Hand Free », « In Cold Blood ») quoi que parfois un rien trop intellos (« The Gospel Of John Hurt », « Deadcrush ») mais ils ne prendront aucun risque vocal ce soir, se contentant de respecter à la lettre les enregistrements studio. Résultat, malgré une communication dans un français impeccable, leur prestation ne décolle jamais et ne fait place à aucune fantaisie, les musiciens (assez mal à l’aise) restant en permanence dans leur zone de confort. Peut mieux faire…
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(Jour 5)
Photos © 2018 Olivier Bourgi