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Interview de Charlotte Wessels de Delain

À l’occasion de la sortie de «Moonbathers», le nouvel album du groupe Delain, Charlotte Wessels, la frontwoman du groupe, a accordé une interview à Music In Belgium.


Music in Belgium: «Moonbathers», le nouveau Delain, sera disponible fin août. C’est un album très symphonique et aussi plus heavy que le précédent. Était-ce voulu?

Charlotte Wessels: C’était certainement le but! Nous voulions écrire un album plus heavy, mais cela ne vaut pas forcément pour tous les morceaux, car le processus d’écriture doit rester quelque chose de naturel. Quand on est en train d’écrire, il arrive qu’un morceau soit un peu différent par rapport aux autres, ce n’est pas une mauvaise chose.

MiB: Comment avez-vous trouvé le nom «Moonbathers»? C’est un titre très joli et très original.

Charlotte Wessels: À peine avions-nous terminé quelques morceaux que déjà on nous demandait de penser aux photos et à l’artwork. C’était il y a environ un an. J’ai alors passé en revue les textes que nous avions déjà écrits et j’ai été frappée par leur côté nettement plus sombre; certains avaient même presque un côté morbide. J’ai voulu utiliser cette tonalité. J’ai l’habitude des sujets plus sombres parce que ma créativité est stimulée par les émotions négatives. C’est quand je me sens triste que je me mets à écrire. Quand je me sens d’humeur joyeuse, je sors manger une glace. Cela ne veut pas dire que je sois une personnalité morbide à l’excès, mais c’est dans ces moments sombres que l’inspiration musicale me vient. En tant que parolière, je me suis toujours fixé pour règle que peu importe le recoin obscur d’où vient la musique tant qu’il y a une petite lueur au bout du tunnel. Dans certains morceaux, le tunnel est vraiment très long et la lueur très lointaine. Quand je me sens triste et que je n’écris pas, je trouve un certain réconfort dans des morceaux tristes. J’ai donc voulu trouver un titre en rapport avec l’idée de trouver le calme et le réconfort dans cette obscurité. Or la lune reste pour moi le symbole ultime de cette lumière dans l’obscurité et du (ré)confort dans la nuit. Pour décrire les personnes qui trouvent un certain apaisement dans une ambiance sombre, j’ai pensé que «Moonbathers», par opposition au mot «Sunbathers», était une jolie métaphore pour exprimer la chose.

MiB: Le nouvel artwork est à nouveau de Glen Arthur?

Charlotte Wessels: C’est exact. Ce n’est pas la première fois que nous travaillons avec lui et son style est un peu devenu notre style maison. Nous voulions donc, cette fois encore, utiliser une de ses œuvres pour illustrer le nouvel album.


MiB: Sur le nouvel opus, vous n’avez pas fait appel à Marco Hietala, mais bien à Alissa White-Gluz. Y a-t-il une raison à cela?

Charlotte Wessels: Marco est présent sur la plupart de nos albums. Mais il est déjà arrivé qu’il n’apparaisse pas sur un de nos disques. C’est à nouveau le cas ici. Cela permet de ménager l’effet de surprise pour sa prochaine apparition sur un de nos albums. Nous adorons sa voix et il n’est donc certainement pas exclu qu’il soit à nouveau de la partie pour un prochain album. Nous avions déjà travaillé avec Alissa sur l’album «The Human Contradiction» et l’expérience avait été très concluante. Pour le nouveau CD, nous avions prévu une partie de grunt. Il s’agit de textes inspirés de la littérature gothique. Le texte grunté est en réalité un poème d’Oscar Wilde que j’ai tissé dans le morceau et je trouve qu’Alissa l’interprète d’une manière fabuleuse. Sa contribution illumine le morceau.

MiB: Y a-t-il d’autres vocalistes féminines avec lesquelles tu aimerais travailler?

Charlotte Wessels: Oui. Je trouve toujours intéressant de voir ce que d’autres artistes font de notre musique. J’ai ma petite liste pour l’avenir, mais je préfère la garder pour moi, car si je parviens à travailler avec les personnes que je veux, je dévoile ce qui se prépare. Et si je n’y parviens pas, je trouve gênant de ne pas y être parvenue…


MiB: L’album «Moonbathers» est encore plus varié que les autres albums de Delain? Comment cela s’explique-t-il?

Charlotte Wessels: Telle n’était pas forcément notre intention, mais compte tenu de la manière dont nous avons travaillé, c’est en quelque sorte logique. Nous n’avons jamais autant été en tournée que ces dernières années et nous n’avons eu que très peu de temps entre les tournées pour nous consacrer à l’écriture du nouvel album. Normalement, les groupes font une pause entre les tournées pour écrire et produire leur nouvel album. Nous n’avons pas eu le temps, entre nos dernières tournées, de travailler de cette manière. Nous avons donc décidé de scinder le processus d’écriture et de production en trois blocs plus petits, afin de rentabiliser au mieux ces courts laps de temps entre les tournées. Nous avons donc commencé très tôt à écrire et à enregistrer des nouveaux titres. Sans doute est-ce là la raison qui explique la diversité entre les titres de «Moonbathers». Nous avons enregistré ce CD à des moments différents, donc aussi dans des états d’esprits différents et à des endroits différents. C’est ce qui aura sans doute fait que le résultat final est d’un style plus diversifié.

MiB: Qui a eu l’idée de reprendre un titre de Queen?

Charlotte Wessels: L’idée est de Martijn. Un jour, il m’envoie un morceau en me disant qu’il trouverait génial d’en faire une reprise. Quand j’ai vu le nom de Queen, j’ai pensé que c’était à ne pas faire. On parle de géants de la musique rock. Personne n’a envie de s’y brûler les doigts. Vous savez, Queen est une espèce d’icône universelle… Mais il s’agissait d’un titre moins connu («Scandal»). Je trouvais donc aussi le choix original et c’est ce qui a fait que j’ai osé l’interpréter, d’autant que nous avons reçu l’autorisation explicite de Bryan May (qui a aussi complimenté notre groupe pour son travail). C’était donc quelque chose de très spécial et un défi passionnant à relever.


MiB: Martijn a aussi déclaré qu’il n’aurait jamais osé reprendre ce morceau si c’est un homme qui avait été au chant dans Delain!

Charlotte Wessels: Personne ne veut se mesurer à Freddie Mercury parce que c’est un combat perdu d’avance. Mais j’ai un autre type de voix et la comparaison est donc plus difficile. Cela joue indéniablement. Mais l’interprétation de ce titre a été pour moi un véritable défi. Sur «Scandal», Freddie Mercury chante dans un registre proche du cri. Le morceau dans sa tonalité originale aurait été trop confortable à interpréter. On n’aurait pas entendu la difficulté, la douleur exprimée aussi dans le texte. Nous avons donc relevé le morceau de plusieurs tons, ce qui était une bonne chose en soi, mais nous en avons aussi accéléré le rythme. Il n’y a donc plus beaucoup de place pour respirer au chant. Cette version du morceau est donc terriblement difficile à chanter. Je ne mentirai pas: ce fut un véritable défi de l’interpréter. Mais j’adore ce morceau et j’ai adoré l’enregistrer.

MiB: Ce qui frappe dans ce morceau, c’est que l’on y retrouve la touche Delain, mais aussi le son de Queen

Charlotte Wessels: Nous avons délibérément choisi de ne rien changer de fondamental au morceau. La différence et la nouveauté devaient résider dans notre son et notre style, mais sans altérer l’essence de ce titre. Nous l’avons donc travaillé avec beaucoup de respect pour l’original, mais avec nos instruments et notre son, ce qui lui a donné malgré tout un petit côté Delain.

MiB: Quels sont tes morceaux préférés sur ce CD?

Charlotte Wessels: Il est encore un petit peu tôt pour le dire. Nous n’avons pas encore eu beaucoup l’occasion de les jouer sur scène. Pour l’instant, je dirais «The Glory and The Scum», mais c’est peut-être parce que nous l’avons déjà joué en live. «Turn The Lights Out» est aussi un de mes préférés parce que nous avons déjà eu l’occasion de le jouer en public. Mais il est très difficile de faire un choix objectif. J’ai aussi beaucoup d’affection pour «Chrysalis» parce que cela faisait un petit temps que nous n’avions plus écrit de ballade. Ce sont les trois premiers qui me viennent à l’esprit.

MiB: Delain a un son très reconnaissable. Comment décrirais-tu le style Delain?

Charlotte Wessels: C’est une base de métal symphonique sur laquelle viennent se greffer des éléments plus modernes, plus électroniques. Nous utilisons par exemple beaucoup de claviers.

MiB: Delain me fait souvent penser à Abba : un style reconnaissable entre mille et des morceaux toujours super entraînants. Es-tu d’accord avec cette comparaison?

Charlotte Wessels: Je prends cela comme un compliment. Quand nous écrivons, la base est toujours une espèce de morceau pop qui est ensuite habillé par une production très lourde. Quand tu écris un morceau et qu’il est bon, peu importe l’habillage que tu lui donnes. Pour tester la qualité d’un morceau, il faut d’abord le dépouiller de tous ses oripeaux et l’interpréter juste au piano ou à la guitare acoustique. Si la mélodie réussit à émouvoir dans sa forme dépouillée, c’est que le morceau est réussi. Nous ne retenons jamais un morceau simplement parce qu’il est hard ou bien lourd. Il faut que tous les éléments soient réunis. Et donc oui, je me retrouve dans cette comparaison.


MiB: La plupart des albums de Delain contiennent un titre dont la construction est particulièrement originale. Ce sont aussi des titres que l’on entend peu ou pas en concert. «Chrysalis» est un numéro de ce type. Mais sur le nouvel album, le gimmick de «Danse Macabre» est aussi très nouveau pour Delain, avec un petit côté World Music. D’où t’en est venue l’inspiration?

Charlotte Wessels: Cette mélodie au début de «Danse Macabre». Nous étions en pleine session d’écriture intensive. J’étais un peu au bout du rouleau. À un certain moment, j’ai éprouvé le besoin d’aller me promener dans la forêt pour me vider la tête et ne plus penser à l’écriture. En me promenant, cette petite mélodie m’est venue à l’esprit. C’est un exemple typique d’un morceau qui n’a pas été construit artificiellement. Cela m’est venu comme ça, pour ainsi dire sans y penser. Ce n’était donc pas un choix décidé à l’avance. C’est venu très naturellement.

MiB: Delain fête cette année son dixième anniversaire. Peux-tu nous dire quels sont ton meilleur et ton pire souvenir au sein du groupe?

Charlotte Wessels: J’ai plein de meilleurs souvenirs. J’ai tendance à associer les événements. À l’âge de 14 ans, j’ai vu pour la première fois Muse au Heineken Music Hall. C’est là aussi que j’ai vu Radiohead ainsi que la plupart de mes groupes préférés. En 2014, nous accompagnions Within Temptation en tournée et nous avons joué sur cette même scène… J’ai eu l’impression alors de vraiment marcher dans les pas de mes héros. Ce sont des moments très intenses, comme aussi la fois où nous avons joué au festival Lowlands auquel j’avais l’habitude d’assister pendant mon adolescence et où j’ai vu Nick Cave. Quelques années plus tard, c’était à notre tour! Voilà pour moi les plus beaux moments.
En ce qui concerne mon pire souvenir, je dois bien admettre que la période qui a précédé la sortie de l’album «We Are The Others» a été particulièrement difficile. Nous avions enregistré l’album en étant liés à un label. Puis il y a eu un long moment d’incertitude où nous ne savions pas si l’album allait sortir ou non. S’il ne sortait pas, le groupe risquait fort de disparaître. Un groupe, c’est comme une entreprise: il y a de l’argent qui sort et il faut de l’argent qui entre. Tout semblait indiquer que l’album ne sortirait pas alors que c’était le plus cher que nous avions jamais enregistré. Ce fut une période très difficile. Nous avions déjà eu beaucoup de difficultés pour l’enregistrer – ce fut un processus compliqué – et une fois que nous avons eu terminé et que tout le monde était satisfait du résultat, nous nous sommes retrouvés dans cette situation très incertaine. Pour moi, cela a été le moment le plus pénible de l’histoire du groupe et aussi la seule fois que nous nous sommes demandé si nous aurions la force de tenir. Aujourd’hui, je suis très heureuse et fière que nous ayons tenu le coup.

MiB: Il se dit qu’à l’époque, les fans étaient même prêts à avancer les fonds nécessaires par le biais du crowdfunding. Est-ce vrai?

Charlotte Wessels: Oui, mais nous étions liés à un label et la solution du crowdfunding n’était tout bonnement pas envisageable. Le label possédait les droits exclusifs sur les enregistrements. Le fait que les fans soient disposés à contribuer financièrement à la sortie de l’album n’y changeait rien. Ni les fans, ni nous-mêmes en tant que groupe n’avions notre mot à dire sur ce qu’il adviendrait de notre produit. C’est une situation dans laquelle on se sent si impuissant. Je trouve fabuleux que nous ayons un club de fans loyaux à nos côtés. Nous étions dans une situation très délicate: Warner refusait de sortir l’album. Nous espérions de notre côté que Warner accepterait de vendre le master à un autre label qui accepterait de sortir l’album. En fait, nous avions donc tout intérêt à ce que cet album paraisse assez insignifiant pour que Warner le cède. Mais quand nos fans ont eu vent du problème, ils ont lancé une pétition pour convaincre Warner de sortir l’album, au moment précis où nous étions en train d’essayer de convaincre le label de le vendre. Les fans ne pouvaient évidemment pas le savoir et nous pouvions difficilement le leur dire. Dans cette situation épineuse, ce fut particulièrement réconfortant de pouvoir compter sur le soutien de notre public.

MiB: Vous allez enregistrer bientôt un dvd/blu-ray. A-t-on déjà une idée du programme et de ce à quoi les fans peuvent s’attendre?

Charlotte Wessels: Ce n’est pas la première fois que nous donnons un show spécial avec costumes et invités. Je pense que le concert enregistré sera dans le prolongement de ces concerts spéciaux. Nous allons soigner la production, prévoir des invités… Ce sera aussi pour nous de revisiter non pas un seul disque, mais vraiment l’ensemble de nos dix années de carrière.


MiB: Comme indiqué plus haut, il y a des titres que vous ne jouez que très rarement. Comptez-vous un jour leur consacrer un concert spécial?

Charlotte Wessels: Nous y avons déjà pensé. Nous n’avons pas encore décidé ce que nous allons faire exactement au Paradiso. Quand on enregistre un DVD, on essaie en général que la setlist soit une espèce de «best of». D’autre part, nous savons qu’il y aura dans la salle certains de nos plus fidèles fans qui aiment entendre des titres que nous jouons moins souvent. Nous essaierons de trouver un certain équilibre dans le choix des morceaux. Mais nous ne dévoilons pas encore la setlist. Et il y aura certainement un jour un concert consacré aux morceaux plus rares de Delain.

MiB: Avez-vous prévu une release party pour «Moonbathers»?

Charlotte Wessels: Bonne question. Nous avons déjà prévu plusieurs concerts spéciaux cette année… Nous sommes en train de préparer les shows de décembre et le nouvel album sort en août… Je ne sais pas encore.

MiB: Merci Charlotte pour cette agréable interview.

Charlotte Wessels: Merci et toutes mes amitiés aux lecteurs de Music In Belgium.

Avec tous nos remerciements à Henk van Nieuwenhoven (Vixens) et Mike de Coene (Hardlife Promotion).

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