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Anson Funderburgh et Sam Myers : bluesy dream for ever !

Anson Funderburgh et Sam Myers au Spirit ! C’est un véritable événement, encore un, dans le landerneau bluesy, qui a eu lieu ce jeudi 20 mars 2003 au Spirit of 66. Tellement impressionnant et fabuleux qu’il me laisse pratiquement sans voix et que je vais avoir du mal à exprimer ce que j’en pense.

Il faut croire que je n’étais pas le seul à pressentir cette fête puisque près de 150 autres amateurs spécialisés s’étaient donné rendez-vous à Verviers, en semaine…

Je sais qu’on a l’habitude de dire que tous les concerts proposés par Francis Géron sont invariablement les concerts de l’année (normal vu la qualité de l’affiche à chaque fois) je voudrais cependant insister un peu pour qu’on sache que celui-ci fut vraiment un concert unique en son genre et quasi-extraterrestre dans la galaxie des inlassables trouvailles du maître de céans.

Sur la route depuis 1981, Anson Funderburgh (au nom imprononçable) est un grand musicien qui allie la simplicité, l’efficacité et une forme de résistance colossale de guitariste de fond qu’il est.

Titulaire d’une dizaine de distinctions musicales majeures, reconnu par ses pairs comme un des meilleurs, il aligne près de trois cents concerts par an ainsi qu’on sélectionne les meilleurs cépages d’un grand chai. Les Rockets qui l’accompagnent sont rompus aux exercices les plus exigeants d’un jeu profondément « roots & blues ».

Dès l’âge de sept ans, le petit Anson empoigne la guitare et ne la quittera plus. Il développe son intérêt pour le blues en écoutant des gens comme Bill Doggett, Freddie King, Jimmy Reed et Albert Collins, n’a jamais vu Muddy Waters (un regret) mais a joué avec Lightnin’ Hopkins à la fin des seventies. C’est en 1978 qu’il forme les rockets (premier chanteur Darrell Nulish) et qu’il commence à attirer l’attention et le respect de Delbert McClinton, Boz Scaggs, J. et S-R. Vaughan ainsi que Ronnie Earl. Il a d’ailleurs bossé avec la plupart d’entre eux. On notera ainsi sa contribution à l’album « Butt Rockin » des Fabulous Thunderbirds et son apparition dans le film de Kevin Costner « China Doll » pour les besoins d’un « hard-working bar band » de circonstance.

Il collaborera aussi avec David Sanborn, Huey Lewiss, Snooks Eaglin, Earl King, Betty White, Thunderbird Davis, Grady Gaines, Clarence Hollimon & Carole Fran et également avec l’extraordinaire Hal Ketchum.

Il connaît Sam(my) Myers depuis 1982, c’est, cependant, en 1984 à Jackson (Mississippi) qu’ils font un bœuf ensemble, prémices d’une collaboration assidue de près de 20 ans.

Rappelons quand même que Sam Myers n’est pas n’importe qui. Agé aujourd’hui de 67 ans, ce géant du blues (quasi non voyant) a accompagné Elmore James et Robert Junior Lockwood.

Batteur de son état, le grand Sam s’est reconverti à l’harmonica à la demande même du célèbre Elmore.

On retrouve cette histoire dans le liner notes « Elmore James : King of the slide guitar » du box set Capricorn de 1992.

Au cours d’un travail d’enregistrement au studio Cosimo de la Nouvelle Orléans, Elmore James qui avait dû accepter un batteur commis d’office par son label s’est adressé à Sam Myers en lui disant : « Hey mon gars tu ne vas pas rester sans rien faire !? ». Ce dernier lui répondit : « Je suis censé faire quoi ? Une deuxième ligne de drums ? ». « Non, répondit Elmore James, tu vas nous faire de l’harmo sur ce coup-là ! » Et c’est ainsi que Sam Myers a commencé à souffler dans ses petits rateliers vibrants et a enregistré « Look on Yonder Wall » pour Elmore James lors d’une session restée dans toutes les mémoires. A remarquer qu’il avait déjà mis sur le vinyle fin des années cinquante le réputé « Sleeping in the ground » (repris par Robert Cray, Blind Faith et Clapton) et «My love is here to stay ».

Sa belle voix chaude et son jeu souple et direct à l’harmonica vont faire merveille avec la Fender et les Gibson d’Anson Funderburgh et leur permettre d’atteindre quasi instantanément le top du top, en s’y maintenant solidement, grâce, entre autres, parmi la douzaine de disques enregistrés ensemble, aux albums « My love is here to stay (1986) » mais aussi « Tell me what I want to hear (1991) », « Rack’em up (1989) » et « Sins (1987) ».

Qualifiés de tenants du « jump blues and hard drivin R&B », Anson Funderburgh et Sam Myers présentent un joyeux mélange de senteurs sablées du delta et d’exubérance typiquement texane. Ils se situent résolument à l’avant-garde d’une nouvelle génération de bluesmen qui redéfinissent le genre.

Gregg Cahill exprime, en anglais, mieux que je ne pourrais le faire, l’essence même de cette association heureuse : « A good deal of that success is due to the pairing of Funderburgh’s rapier-like guitar licks with the resonant, full-throated vocals and Windy City-style, hurricane harp of seasoned veteran Sam Myers”.

Aujourd’hui rejoint à la basse par Johnny Bradley (ex-Mike Morgan and The Crawl, Jimmie Vaughan, Lou Ann Barton) et Wes Star aux drums (ex-Omar and The Hawlers, Delbert Mc Clinton, Hal Ketchum…), le groupe peut compter sur les services aux claviers de l’expérimenté John Street qui a tourné avec Rock Bottom et Gregg Allman (ooooooooooops !!!!!!!!!!!). J’aime autant vous dire que cela cartonne dans le genre implacable mais beau, là-derrière…

L’entame instrumentale est grandiose. Comme dirait Francis, en ces heures troublées, vaut mieux voir le beau côté de l’Amérique… et franchement ça console hein… Parce que ces gars-là sont immensément bons et qu’ils font de la musique avant de faire du show. Ils parlent des hommes et de la vie, ils chantent la compassion pour la souffrance et les grandes aspirations de liberté. Ils savent que les notes touchent mieux que les bombes la conscience universelle.

Un deuxième titre démarre sans transition, chaud et parfumé…

Son intro sert à ménager l’arrivée de Sam Myers, qui attendait gentiment dans la salle, par l’avant-scène. Il faut dire qu’il marche très très lentement, presque hésitant et que, dans le noir, avec sa vision limitée, ce n’est pas facile.

Une fois repéré le micro (et le cendrier), notre homme nous fait « Oh Yeah » ! Rien qu’avec ces deux mots t’as saisi l’intensité de la voix, la beauté du son qui nous attend et l’incroyable héritage que ce monstre sacré va nous livrer ce soir !!! Il nous chanterait a capella le menu du Mac Lam d’à côté que cela serait toujours divin et grandiose…

Ce que nous avons sous les yeux et dans les oreilles en ce moment est impossible à décrire ou à résumer avec les mots. L’incroyable supplément d’ âme que procurent ces musiciens à nos aspirations profondes dépasse l’entendement (c’est vraiment le cas de le dire).

Ils nous font entrer tout droit dans le livre de la Musique avec un grand M comme Magique, Merveilleuse et Mémorable mais aussi émouvante, somptueuse et éternelle. Ils nous rendent l’Amérique purifiée de ses démons et nous montrent le chemin d’une tolérance naturelle jamais abattue… Que grâce leur soit rendue pour l’intense moment de bonheur et de sérénité qu’ils nous ont offert ce soir.

A mes côtés, Leadfoot Rivet (bientôt sur scène au Spirit… le 30 avril !), le road manager, m’explique que cette musique mélange invariablement le passé et le présent.

En effet, les titres défilent comme un kaléïdoscope illuminé de racines sonores et d’apports modernes où le vieux devient léger et le jeune s’anoblit au contact des réminiscences sacrées du blues le plus pur…

Ainsi la cover de Buddy Guy « $100 Bill » et son fun inénarrable qu’on pourrait prendre pour « Money, that’s all I want » résume à elle seule la mutation perpétuelle de l’histoire du blues. A l’origine, d’ailleurs, les interprètes s’appropriaient les lyrics en changeant quelques mots et parfois le titre, sans vergogne. On peut difficilement suivre le parcours de certaines chansons à cause de cela mais, en même temps, on réalise la puissance simplissime et régénérante de ces évolutions.

Sam Myers profite d’une intro pour nous livrer un scoop assez incroyable. Sachant que le Spirit était anciennement un endroit de projection de films, il nous raconte qu’il est lié de très près à la grande et à la petite histoire du cinéma puisqu’il fut, dans sa jeunesse, « butler » autrement dit « valet » de Gary Cooper. Vous avez dit scoop !?

Son jeu d’harmonica est chaud et dense, très « groove » et loin dans les basses, ce qui le rend intense et formidablement complémentaire avec les longues lignes somptueuses de la guitare d’Anson Funderburgh.

Je dois vraiment insister sur l’abnégation totale, exemplaire et admirable dont ce dernier fait preuve au service d’une véritable Légende du Blues. Ce garçon, régulièrement en retrait, distille des notes de grande classe avec une constance et une rigueur de marathonien. Cela n’empêche que le son de sa musique reste empreint de fun et de couleurs insatiables. Il va, pendant deux heures, afficher une maîtrise et une perfection de jeu hallucinantes. Sans esbrouffe, sans aucun artifice, rien que dix doigts, une Fender et un Maz Invasion 38, Anson Funderburgh représente réellement le musicien de bon aloi. Sa musique fluide et ferme dégage une chaleur enrobée de miel qu’intègre admirablement Big Sam, bénéficiant d’un véritable tapis rouge comme prise d’appui pour moduler sa voix sublime de bluesman instinctif qui résume à elle seule cent ans de vibrations mélodiques. Done ! Guys… Right in the middle of our souls !!!!

Que ce soient les blues lents bien tassés qui t’arrachent des larmes ou les démarrages nerveux du genre « crescent game » tout est de bon goût dans cet ensemble largement vitaminé. Il n’y a rien à jeter, pas une bribe de note qui n’ait du sens, pas un soupçon de respiration qui ne concorde avec l’idée qu’on se fait du grand sud et de la longue lignée des voix meurtries et nobles qui l’ont si bien chanté.

Je reconnais, au passage (cela va tellement vite et c’est si beau…) « Young Fashioned Ways » par son intro sublime et carrée à l’harmonica. Je ne parle pas des effets de claviers gigantesques qui ressuscitent le « Cotton Club » le plus allumé en ces lieux si lointains (avec un patron honnête, je tiens à le préciser…) ni des claquements de drumsticks tenus entre les troisièmes phalanges (étonnant comme façon de faire…) par un batteur divin complice d’un bassiste adorable. Tout va bien, la vie est belle et les misères du monde n’ont qu’à aller se faire f…. Si la terre vivait au rythme de la musique, ce serait le bonheur, vraiment, « really » dirais-je même dans mon anglais inimitable.

La cover de Louis Jordan (dont j’ai oublié le titre, sorry) qui arrive annonce presque la fin du premier set et on se demande si le miracle est en mesure de continuer. Pendant ce pré-final, Sam Myers descend dans la salle et malgré de grandes difficultés à se mouvoir, il esquisse quelques pas de danse avec deux charmantes demoiselles en bord de scène ! C’est sa façon de donner et de partager, c’est son désir de dépasser la maladie dont il n’aime pas qu’on parle et sa traduction du fait qu’il se sent bien dans cet endroit fantastique et magique que symbolise le Spirit !!! Et nous donc, qu’est-ce qu’on ressent comme vibe tonight !!! (dirait Jean-Claude Aware).

Poursuite du catalogue de luxe dans le second set : un intrumental d’entrée de jeu suivi par un long blues lent terrible et le quart d’heure d’anthologie claviers/harmonica du troisième titre « Let the good times roll » (encore du L. Jordan) nous ont mis totalement sur le cul après 24 minutes exactement.

Que demande le peuple, hein ? T’es là, tu ne connais plus ton nom, tu te crois sur la lune au mois d’août et tu ne sais même pas combien tu pèses. T’es ni grand ni p’tit, ni beau ni laid, ni con ni moche : TU FAIS PARTIE DE L’UNIVERS DU PARFAIT, tu meurs et tu ressuscites en même temps, tu pries pour que la vie du Spirit dure mille ans et t’es sûr que tu vas gagner au lotto en rentrant… Ben c’est pas compliqué, avec un truc pareil, t’as déjà gagné !!!

« Take a walk with me » Sammy, here we go for eternity… It’s no used to cry to make your mind (je résume l’essentiel du déluge de bonheur qui s’abattit sur nous dans les vingt minutes suivantes… et je n’ai plus de mots, c’est la première fois que ça m’arrive… !).

Je repense aux yeux de Sam Myers projetés vers le ciel par dessous ses lunettes dans un regard indéfinissable et profond que je n’oublierai jamais. Evidemment qu’il rappelle Ray Charles, c’est la même lignée, c’est la même souffrance mais aussi l’accomplissement exemplaire de soi. Cet homme vit et respire la musique comme une plainte douce mais digne, immiscée dans les moindres pores de la peau, une résonnance charnelle et forte transcendant le corps et l’esprit lui passe par l’âme et nous atteint inévitablement. Cette émotion donne des frissons à l’audience entière et l’admiration se lit sur tous les visages. L’admiration mais aussi le plaisir, la joie, les formidables pépites de bonheur qu’un concert pareil procure aux privilégiés qui le vivent…

« Change in my pocket » dernier opus en date du groupe est le crossover parfait du Blues au R&B. Le point de rencontre magistral et culminant entre les talents d’Anson Funderburgh et de Sam Myers.

Tout le monde bouge, c’est irrésistible. Le band atteint ici une cohésion maximale, les syncopes de drums et les gammes fortes et chaudes de claviers surpassent l’imaginable. Et la voix ! Mon Dieu la voix ! Elle s’étend dans l’air comme la fumée de cigarette qui plane inlassablement autour du grand Black fumant clope sur clope. Le Blues envoûtant !!! Je le dis et je le répète, un concert UNIQUE sans comparaison possible (peut-être un peu Big George Jackson mais je le risque vraiment avec prudence…).

Antoinette est aux anges et André scotché en frontstage comme je l’ai rarement vu (il vous en parle d’ailleurs ci-dessous). Il déguste le caviar du Mississippi, mon pote, … Et puis on entend les premiers accents du Boogie Woogie qui va nous rétamer définitivement pour le compte «We gonna get to boogie woogie, all night long »… ALLLLLLLL RRRRRiiggggggghhhhhttttttt !!!!!!!!!!! Maman l’affaire… Où cours-je ? Qu’acoustiquai-je ? Dans quel état j’erre ? (ouais facile je sais)… KISPASTICHAL ?

Les rappels ? Il y a eu des rappels ? Ah ! Bon ? Ben c’est que j’étais déjà monté au paradis dis donc (dididon)… Ah !! Oui ! Je me souviens, un super blues genre « Little Girl » mais pas trop, puis A Lady Came Over, non ? (I got to move, I’ve got to jail neighbourhood ou quelque chose comme cela) Et puis le Muddy Waters de clôture (I’d rather drink ?) beau comme un galop de chevaux sauvages dans les plaines du Wyoming…

J’avoue que j’ai un peu calé là, d’abord parce que je me suis retrouvé bien malgré moi très vite en état second (touché par la grâce, quoi…) ensuite, les petits comiques de la Funderburgh Company n’avaient pas de playlist (merci pour les scribouillards opiniâtres et dévoués, les mecs) et enfin faut dire que Sam Myers m’a littéralement fasciné. Je n’ai pas quitté ce bonhomme des yeux un quart de seconde. J’ai l’impression d’avoir plongé au centre de la terre dans un magma bouillonnant d’intensité et de m’y être dilué à jamais. J’ai chaud pour toujours ! Il y aura désormais, pour moi, un avant et un après Sam Myers, j’en suis sûr…

DD

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