Mark Lanegan, la classe en toute sobriété
Prolifique à souhait et adepte de multiples collaborations, Mark Lanegan se montre également généreux sur scène. La preuve en a une nouvelle fois été donnée ce vendredi 30 janvier dans une grande salle de l’AB pleine à craquer où il présentait « Phantom Radio », son dernier album publié sous le nom du Mark Lanegan Band.
Généreux, il l’est aussi lorsqu’il s’agit de choisir son avant-programme. Son carnet d’adresse bien garni lui est d’une grande utilité mais il peut également compter sur les membres de son Band (majoritairement belges, il faut le préciser) pour remplir cette mission. En principe, les festivités auraient dû débuter à 19h20 avec The Faye Dunaways, le dernier projet de son bassiste Frederic « Lyenn » Jacques, mais celui-ci est tombé malade et n’a donc pas été de la fête ce soir…
En conséquence, c’est une demi-heure plus tard que sont montés sur scène Sean Wheeler et Zander Schloss, deux personnalités improbables mais irrésistiblement complémentaires. D’un côté, un guitariste bon vivant à la chevelure grisonnante, lunettes et cravate débraillée. Un peu comme si Gepetto confectionnait des guitares plutôt que des marionnettes. De l’autre, un latin lover californien, cheveux gominés vers l’arrière, costume impeccablement taillé et rose à la boutonnière.
Le second est doté d’une voix de crooner qui se pose à merveille sur les notes distillées à la perfection par la guitare douze cordes du premier. Et quand celui-ci attrape une mandoline, on est plongés dans une ambiance country certes atypique mais pas désuète pour un sou. Parallèlement, les pas de danse de Sean amusent la galerie, au même titre que ses histoires entre les morceaux.
Ceci dit, il serait réducteur de s’arrêter sur ce point car le bonhomme a un réel talent et les applaudissements nourris n’ont fait que confirmer ce que l’on pensait déjà tout bas. Les compositions tiennent la route, même lorsqu’elles adoptent un format extra long ou que le chanteur demande activement la participation d’un public qui ne va pas se faire prier pour répondre à ses injonctions. Quarante minutes d’excellente facture qui sont passées d’une traite.
Rien que l’an dernier, Mark Lanegan s’est produit aux Ardentes et au Cactus Festival avant de publier un nouvel album, « Phantom Radio », précédé d’un EP, No Bells On Sunday. La routine, donc, pour un artiste dont la simple évocation impose le respect. Ainsi, dès le premier titre interprété ce soir, « When Your Number Isn’t Up », sa prestance et son charisme vont éblouir autant que sa troublante voix caverneuse. En revanche, les lumières rougeâtres tamisées maintiendront une ambiance presque sinistre. À ce propos, on ne remerciera pas les nombreux indisciplinés qui auront actionné le flash de leur appareil photo sans se soucier de l’intimité de l’artiste.
Enfin, soit. Le tout début de la prestation verra le chanteur et Jeff Fielder, son excellent guitariste à l’inamovible chapeau, prendre la main dans une certaine intimité. Ceci dit, bien que « Judgement Time » et « Low » soient d’excellents titres, on commençait à tomber dans une pseudo monotonie que l’arrivée des musiciens (le batteur Jean-Philippe De Gheest et le claviériste Aldo Struyf dans un premier temps) allait balayer d’un revers de la main via un impeccable « No Bells On Sunday », premier moment fort de la soirée.
À partir de ce moment, le set allait rentrer dans une phase ascendante qui culminera avec un musclé « Quiver Syndrome » toutes guitares en avant. Entre-temps, Zander Schloss allait prendre sa basse et apporter la pièce manquante à un édifice qui verra « The Gravedigger’s Song » et un sombre « Harvest Home » atteindre des crescendo insolents. Malgré la puissance dégagée, Mark Lanegan reste de marbre et sa timide voix avec laquelle il remercie le public contraste avec les décibels qui s’en dégagent lors des chansons.
Les choses allaient ensuite se calmer quelque peu mais conserver leur intensité au travers d’un « One Way Street » particulièrement prenant alors que « The Deepest Shade », reprise d’un titre des Twilight Singers (un des projets parallèles de Greg Dulli, leader d’Afghan Whigs), se retrouvera magnifiée par la touche de l’artiste. Rappelons que Greg et Mark travaillent sporadiquement ensemble sous le nom des Gutter Twins.
Judicieusement répartis dans la set-list, les extraits de « Phantom Radio » (dont un « Floor To The Ocean » aux guitares à la « Violator » et un excellent « Torn Red Heart ») vont montrer à quel point Mark Lanegan est toujours au sommet de son art. Mais il va également se plonger dans ce que beaucoup considèrent comme son chef d’œuvre, à savoir « Blues Funeral », sorti en 2012. Le triptyque « Ode To Sad Disco », « Riot In My House » et « Harborview Hospital » mixeront de légères nappes de synthé à des guitares grunge un tantinet déprimantes pour un résultat euphorisant.
Le set principal se terminera en force avec un fantastique « Death Trip To Tulsa » précédé du plus rare mais tout aussi convaincant « Sleep With Me ». Ceci dit, il n’était pas encore question de repos, d’autant que les rappels allaient non seulement largement dépasser le couvre-feu imposé traditionnellement par l’AB mais surtout étaler une dernière fois le talent hétéroclite du bonhomme.
Entamés sobrement avec « Methamphetamine Blues », ils allaient prendre une tournure plus enlevée grâce à « Revival », une reprise des Soulsavers, un groupe avec lequel Mark collabore de temps à autre (c’est d’ailleurs lui qui a posé sa voix sur ce titre en 2007). Le rideau tombera ensuite sur le show après deux ultimes nouvelles compositions : « I Am The Wolf » tout d’abord, dans une version largement supérieure à celle de l’album, « The Killing Season » ensuite, aux beats que l’on aurait dit empruntés aux… Chemical Brothers.
Un surprenant final à l’image du bonhomme qui, après avoir déclaré “it’s good to be at home”, passera un long moment à signer des autographes et à converser avec ses fans, avant de quitter le complexe du boulevard Anspach par la porte principale. Une simplicité déconcertante à la hauteur de son immense talent.