Les Libertines parés pour le circuit nostalgie
Si les Libertines s’étaient déjà reformés en 2010, leur réunion n’avait pas fait long feu. Quelques shows en prélude de la tête d’affiche du festival Reading & Leeds en Angleterre et puis basta. En revanche, les choses ont l’air beaucoup plus sérieuses cette fois puisque l’enregistrement d’un nouvel album serait envisagé. Mais en attendant, c’est à Forest National que les quatre rebelles se sont produits ce mercredi 1er octobre.
Une salle en pleine rénovation mais qui, depuis le concert de Beck le mois dernier, a gommé certains manquements. Ainsi, par exemple, l’ajout d’un bar au niveau de l’arène évite aux spectateurs de remonter à l’étage et de faire la queue de longues minutes durant afin de se désaltérer. Même si ce bar se trouve dans un endroit assez glauque truffé de graffitis parmi lesquels un vintage « U2 The Joshua Tour 87 ».
Ce soir, deux premières parties étaient au programme, raison pour laquelle les festivités ont débuté à 19h15 tapantes devant une assemblée plus que maigrichonne. Pourtant, sur scène, un groupe dont on parle de plus en plus, Deers (à ne pas confondre avec The Dears). Quatre chicas en provenance de Madrid dont les rires forcés et les interventions ont un peu de mal à cacher la nervosité qui les habitent. Musicalement, leurs atmosphères travaillées font davantage penser à Warpaint qu’à Haim. Encore que, les relents pop et l’optimisme dégagés rendent l’ensemble plus léger. Tout est loin d’être parfait (une voix par moments criarde et pas toujours juste) mais le potentiel est clairement présent.
C’était ensuite au tour de CuckooLander de chauffer un public qui commençait à se masser devant la scène. Il s’agit du pseudo de Holly Hardy, une nana qui a notamment tenu les baguettes dans le groupe de Charli XCX. Avec une référence pareille, on pouvait s’attendre au pire mais heureusement, son univers pesant et paradoxalement groovant, amplifié par une voix grave légèrement trafiquée qui n’est pas sans rappeler celle de Beth Gibbons, va emmener sa prestation dans une direction plus mature qu’il n’y parait. Et ce, malgré des rechutes sous la forme de mélodies catchy qui vont trahir ses origines.
Jusqu’à ce mercredi, la centaine de personnes en Belgique (dont on fait partie) pouvant se targuer d’avoir vu les Libertines au grand complet se trouvaient au Witloof Bar (qui s’appelait encore Café-théâtre à l’époque) le 3 décembre 2002. Ce soir-là, on a assisté un show chaotique à la hauteur de la réputation du groupe, avec notamment un batteur qui avait quitté son kit pour répondre à des provocations d’un public pas beaucoup plus raisonnable que lui.
Par après, Pete Doherty a alterné son temps libre entre case prison et centre de désintoxication, s’est fait virer au moment de la sortie du deuxième album du groupe (il était absent à l’Orangerie en 2004), a rencardé Kate Moss, a cambriolé l’appartement de Carl Barât,… Bref, Pete’s usual tumultuous life, en d’autres termes.
Tout cela a fini par mener à la fin des Libertines et à l’éclosion de multiples projets parallèles (qui seront d’ailleurs évoqués ce soir). Mis à part une brève parenthèse en 2010, ils ont annoncé leur reformation voici quelques mois. Au départ pour un festival londonien uniquement, mais d’autres dates ont bien vite été annoncées parmi lesquelles une tournée européenne et cette visite à Forest National.
Ce qui est assez surprenant, c’est qu’une bonne moitié des spectateurs était encore en culottes courtes lorsqu’ils ont sorti leur première plaque en 2002. Une première plaque dont ils vont jouer la quasi intégralité (seul « Radio America » manquera à l’appel). Mais c’est avec une rugueuse face B, « The Delaney », qu’ils vont débouler sur scène après une bonne dizaine de minutes d’un montage visuel et sonore qui, s’il va mettre en avant l’impact qu’a eu le groupe au début de la décennie dernière, va bien vite tirer en longueur.
Heureusement, la majorité de leurs compositions dépassent rarement les trois minutes et les bombes que sont notamment « Time For Heroes » et « Horror Show », balancées en début de set, vont aller à l’essentiel. Mais la balance atrocement réglée à ce moment (chaque coup de batterie était une alerte aux acouphènes) allait finir par tempérer notre enthousiasme.
Carl Barât porte la veste rouge de l’uniforme que les quatre gaillards arboraient sur une de leurs premières photos. Il ne la gardera pas très longtemps, pas plus que le singlet du batteur Gary Powell qui se retrouvera torse nu après le titre d’intro. Pete Doherty, quant à lui, gardera son chapeau noir vissé sur le crâne tout au long du concert. Même s’il n’est visiblement pas clean, son état n’inspire aucune inquiétude, on l’a déjà vu bien plus explosé. Un « Begging » approximatif viendra cependant tempérer cette affirmation.
Il a en tout cas l’air à l’aise avec des titres qu’il n’a quasiment jamais joués sur scène avec les Libertines, à l’instar de « The Ha Ha Wall » et du single « Music When The Lights Go Out », que le public acclamera dans la foulée. N’oublions pas non plus que les débuts sans concession du groupe ont fait place, sur le deuxième album, à des moments plus introspectifs, à l’instar de « What Katie Did » magistralement joué ce soir. C’est à ce moment que Carl bravera l’interdiction de fumer, instantanément imité par des dizaines de kids dans la salle…
Un Carl qui se retrouvera seul sur scène pour une version acoustique d’un vieux titre écrit aux débuts du groupe, « Ballad Of Grimaldi ». Mais le public préfère quand cela bastonne et « Boys In The Band » ou « Can’t Stand Me Now » vont lui donner l’occasion de transpirer. De notre côté, c’est le moins plébiscité « Last Post On The Bugle » qui nous fera davantage d’effets. En revanche, on sera sur la même longueur d’ondes pour l’excellent single isolé « Don’t Look Back Into The Sun », sans doute le titre le plus abouti du lot.
Entre-temps, Pete y ira de sa version acoustique en solo de « Fuck Forever » (courtesy de lui au sein de Babyshambles) reprise en chœur par l’ensemble des spectateurs. Il n’y a aucun doute là-dessus, à leurs yeux, c’est bien lui le héros de la soirée.
La fin du set gagnera en intensité (avec un son enfin impeccablement réglé) et des titres taillés pour le live comme « Death On The Stairs » et « Tell The King » alors que le final « The Good Old Days » sera un nouveau clin d’œil (musclé) à une soirée empreinte de nostalgie.
Les rappels allaient poursuivre dans la même voie mais réservaient tout de même deux surprises. La première sera les cinq minutes de gloire du bassiste John Hassall, très discret jusque là, qui jouera le single de son projet solo Yeti, « Never Lose Your Sense Of Wonder » à la guitare acoustique. La seconde agrémentera la fin de « Up The Bracket » avec quelques mesures du « Psycho Killer » des Talking Heads. Pour le reste, les derniers hits attendus feront le bonheur des fans : « What Became Of The Likely Lads », « I Get Along » et surtout un « What A Waster » à l’esprit punk particulièrement affûté.
Les Libertines sont (re)venus, ils ont convaincu une salle toute acquise à leur cause mais, à peu de choses près, ils auraient pu faire exactement le même show il y a dix ans. Pour un groupe qui affirme regarder vers l’avenir, on reste quelque peu dubitatifs…