Dour Festival 2014 (Jour 3) : Mogwai, The Hives et Girls In Hawaii en leaders
Sur papier, cette troisième journée du Dour Festival s’annonçait comme la plus intéressante de cette édition. C’est d’ailleurs celle qui a drainé le plus de monde sur la plaine de la Machine à Feu sous un ciel menaçant qui n’a toutefois craché que quelques gouttes dans la soirée.
En attendant, c’est sous un soleil généreux que l’on s’est dirigés vers la première étape de notre programme, Traams à La Petite Maison dans la Prairie. Constamment sur la route, le trio anglais à tendance post grunge originaire de Chichester a déjà joué par deux fois au Botanique cette année, avec le même engouement. Il faut dire que leurs compositions do it yourself que l’on pourrait comparer à celles de Parquet Courts en moins crasseuses donnent particulièrement bien sur scène. La voix criarde du chanteur leur transmet en effet une urgence correspondant parfaitement à leur philosophie. Dommage cette configuration minimaliste qui empêche toute cohésion sur une grande scène.
Il fallait ensuite choisir entre les atmosphères ténébreuses de Forest Swords et le post rock à tendance électro de 65daysofstatic. Mais comme on avait déjà chroniqués les premiers à l’AB début d’année en première partie de Mogwai, c’est vers le groupe de Sheffield que notre choix s’est porté. Eux aussi ont récemment joué dans la salle du boulevard Anspach, célébrant les dix ans de leur premier album, « The Fall Of Math ». Mais cet après-midi, c’est un set traditionnel qu’ils ont offert aux festivaliers, se plongeant instantanément et avec dextérité dans leur univers électro planant avec des instruments qui rendent toute voix superflue. L’inconvénient, c’est qu’il était peut-être encore un peu tôt pour ce type de trip, mais les amateurs (et les curieux) auront apprécié.
Juste après, William Doyle aka East India Youth, allait prendre possession de la même scène derrière son impressionnante console. Et en col et cravate, s’il vous plaît. Seul avec ses machines (il attrape toutefois une basse de temps en temps), il va patiemment développer les compositions qui ornent sa première plaque unanimement acclamée, « Total Strife Forever ». Intelligemment construites et dansantes à souhait, celle-ci vont même subir un lifting spécial festival car l’ensemble paraîtra beaucoup plus énergique que lors de son passage aux PIAS Nites par exemple.
Avec « The Smoke Behind The Sound », les Liégeois de My Little Cheap Dictaphone ont sorti une des meilleures plaques belges de l’année. Ils étaient pourtant attendus au tournant après l’ambitieux projet
The Tragic Tale Of A Genius. Une semaine après leur passage aux Ardentes où le son de la HF6 n’a vraiment pas parlé en leur faveur, on comptait sur l’acoustique de La Petite Maison dans la Prairie pour rattraper la sauce.
Entamé avec « Change In My Heart » et « You Are Not Me », leur set d’une heure ira à l’essentiel et se concentrera sur les deux albums précités. On se délectera donc des classiques que sont devenus « He’s Not There » ou « Shine On », mis en valeur via un habillage visuel discret mais soigné projeté sur trois écrans verticaux alors que les tubes néon accrochés aux pieds de micro feront sensation. Si l’attitude faussement bad boy de Redboy peut parfois énerver, il convient de reconnaître qu’il assume son rôle de leader à la perfection. On appréciera aussi la dernière recrue, le guitariste (Français) Emmanuel Delcourt, parfaitement intégré à son nouvel environnement. Au rayon des nouveaux titres, « Bitter Taste Of Life » et surtout « Fire » vont faire la différence, malgré un relatif manque de conviction. À toutefois revoir en salle à l’automne.
Un petit détour par la Cannibal Stage pour vérifier si Gallows sans Frank Carter n’ont pas trop perdu de leur âme (réponse : hum !) et par la Last Arena pour voir si Cypress Hill hésite toujours entre rock et rap : oui, et la voix de B-Real fait toujours le boulot. En plus, ils rameutent toujours un paquet de spectateurs car la plaine était incroyablement peuplée à ce moment de la journée. Ceci dit, il ne s’agit toujours pas de notre tasse de thé.
Surtout que sous La Petite Maison dans la Prairie, les Australiens déjantés de Jagwar Ma s’apprêtaient à apporter une vibe revival 90’s Madchester à un public d’ores et déjà réceptif. Auteurs d’un des tous bons albums de 2013 avec « Howlin' », les potes de Foals (ils ont assuré leur première partie à l’AB l’an dernier) encensés par Noel Gallagher et par la presse musicale toute entière ont d’emblée fait démarrer la rave-party. Comme du temps où l’Haçienda était the place to be on a Saturday night in Manchester.
Les membres de Jagwar Ma n’étaient peut-être même pas encore nés lorsque
Screamadelica, le classique de Primal Scream, est sorti en 1991 mais on peut affirmer sans peine qu’ils en ont saisi l’essence (les drogues ?) mieux que quiconque, en y ajoutant quelques touches psychédéliques modernes. Pour preuve, un set sans bavure où il était impossible de rester en place (la faute notamment aux membres du groupe, véritables sauterelles sans cesse en action). Mais des titres comme « Uncertainty », « Come Save Me » et « Let Her Go » ne peuvent que vous accompagner vers le dancefloor.
C’est alors que l’on se dirigeait vers la Last Arena pour le concert de Girls In Hawaii que les premières grosses gouttes du festival sont tombées sur la plaine, ironiquement au son de « Sun Of The Sons ». Un signe de la part de Dame Nature pour se souvenir du regretté Denis ? Les petits gars de Braine-l’Alleud, tout auréolés d’un disque d’or reçu la veille aux Francofolies de Spa pour « Everest », s’apprêtaient en tout cas à faire honneur à leur réputation et à prolonger la fête.
Une heure durant (peut-être le timing qui leur convient le mieux), ils vont se balader dans leurs trois albums, de la candeur des débuts (« The Fog ») à la maturité actuelle (« Switzerland ») sans oublier l’intensité de leurs mélodies (« This Farm Will End Up In Fire ») et l’émotionnellement chargé (« Misses »). On aura également droit à un nouveau titre (« Connection ») qui fera partie d’un EP à sortir en vinyle à la fin de l’été, en prélude à la tournée acoustique qu’ils prévoient un peu plus tard dans l’année. C’est le toujours aussi efficace « Flavor » et sa distorsion vocale qui achèvera dans un déluge sonore un set qui n’aura pas manqué d’intérêt.
Sous La Petite Maison dans la Prairie, Maxïmo Park avaient déjà lancé leur prestation à du cent à l’heure. Malgré cinq albums dont le dernier (« Too Much Information ») est sorti début d’année, les natifs de Newcastle n’étaient venus qu’une seule fois à Dour. C’était en 2006 et leur prestation avait été exemplaire. Huit ans plus tard, Paul Smith, toujours aussi svelte et athlétique, justifie à lui seul le déplacement. Chemise blanche et chapeau melon vissé sur le crâne, il va porter la prestation de son groupe à bout de bras.
Car on ne voit que lui. Mais sans les arrangements de ses musiciens, pas de « Our Velocity », « The National Health » ou autre « Apply Some Pressure » même si c’est bien lui qui écrit les paroles et qui les interprète de la manière la plus théâtrale possible. Les nouvelles compositions tiennent la route, avec une affection particulière au prenant « Leave This Island » et au remuant « Her Name Was Audre ». Ils n’ont peut-être pas inventé l’eau chaude mais force est de constater qu’ils entretiennent bien la tuyauterie…
Découverts à l’époque par Alan McGee, The Hives ont en revanche mis au point le punk rock version comédie loufoque. Le leader Howlin’ Pelle Almqvist a les traits de Jim Carey mais aussi la tchache qui lui permet de raconter des bêtises tout au long d’un concert sans jamais paraître ridicule. Ses compères aux noms de scène imagés et vêtus à l’identique (ce soir, c’est pantalon noir et veste de costume blanche) participent à la mise en scène en adoptant des postures ou des expressions pourtant loin de les mettre en valeur. Mais cela fonctionne et ils vont même jusqu’à flanquer une cagoule aux roadies tout de noir vêtus.
Musicalement, ils trouvent toujours les accords qui font mouche et qui rendent leurs prestations festives. Mais elles ont peut-être l’inconvénient de tourner un peu en rond, surtout que cela fait maintenant deux ans que leur dernier album en date,
Lex Hives, est sorti. Même s’ils ont présenté un nouveau titre ce soir (« Two Kinds Of Trouble », pas vraiment révolutionnaire), on commence tout doucement à être en attente de marchandise fraîche.
« Main Offender », « Won’t Be Long » ou « Tick Tick Boom » ont en effet beau être des bombes en puissance, elles commencent à ressembler à de simples pétards, surtout lorsque les scénarios ont tendance à se répéter (du genre, les musiciens stoppent de jouer et restent immobiles pendant de longs instants avant de reprendre le morceau là où ils l’avaient arrêté). Néanmoins, ils peuvent donner des leçons à pas mal de groupes qui se sont succédés ce week-end sur les différentes scènes. Quant à « Hate To Say I Told You So », il n’a rien perdu de sa spontanéité.
La soirée n’était pas encore terminée pour autant puisque les Écossais de Mogwai s’apprêtaient à souffler La Petite Maison dans la Prairie sur ses bases. Ils avaient joué en début de soirée sur la Last Arena en 2011 mais rien de tel qu’une prestation dans le noir complet d’un chapiteau, correspondant davantage à leur philosophie. Et on n’allait pas être déçus. Car dès « White Noise », le niveau allait être placé très haut, à l’instar du volume. Ceci dit, tout le monde sait que du Mogwai ne s’écoute pas en sourdine. Mais cela n’empêche aucunement de se laisser transporter dans leur univers plus envoûtant qu’il n’y paraît (« I’m Jim Morrison, I’m Dead », « Hunted By A Freak »), le tout bien évidemment sans voix.
Curieusement, alors qu’ils ont un nouvel album à défendre (« Rave Tapes », sorti en janvier et premier top 10 de leur carrière), ils n’y ont presque pas touché. Seuls « Deesh » et « Remurdered » en milieu de set ont été joués avec le renfort de Luke Sutherland. Pour le reste, ce sont les fans qui ont été gâtés avec des oldies tels que « Ithica 27ø9 » ou « Mogwai Fear Satan » à côté d’« Auto Rock » ou de « Batcat », plus récents mais tout aussi prenants. Un set équilibré qui nous a décidés à aller faire un tour du côté du Vooruit de Gand le 28 octobre prochain. Mais en attendant, c’est au calme que l’on a été digérer cette journée qui aura tenu toutes ses promesses.
Photos © 2014 Olivier Bourgi