Le garage rock roi au Bota avec le Fuzz de Ty Segall
Le 25 septembre, le Botanique a reçu la visite de Fuzz, le nouveau groupe de Ty Segall. Cette fois, c’est du vrai : le combat rock redémarre. L’homme qui tient la bannière des forces renouvelées s’appelle Ty Segall. Je vous l’ai déjà dit, retenez ce nom. Ce blondinet californien est en train de remettre de la graisse fraîche dans les rouages d’une machinerie rock que l’on dit toujours prête à disjoncter mais qui bénéficie toujours d’un miraculeux sursis au moment où on la croit venue aux dernières extrémités. À tout juste 26 ans, Ty Segall carbure actuellement comme un malade, avec deux à trois albums par an, des participations dans toutes sortes de projets de ses copains Mikal Cronin, White Fence, Epsilons, Traditional Fools, etc. Et en solo, Ty Segall agit sous son nom propre ou avec son Ty Segall Band mais à chaque fois, ce sont toujours des déluges d’électricité garage rock qui s’abattent sur nos oreilles. Oscillant entre punk bronzé, psychédélisme rudoyant, hard rock lysergique ou folk dérangé, Ty Segall est sur tous les fronts.
La preuve avec un mois de septembre qui s’annonce chargé avec la mise dans le commerce quasi-simultanée du dernier album de Ty Segall, ʺSleeperʺ, et du premier effort de son énième projet parallèle, Fuzz. Les deux œuvres révèlent une schizophrénie assumée puisque ʺSleeperʺ sillonne un folk rock minimaliste et que ʺFuzzʺ s’embourbe avec délice dans les méandres d’un heavy rock burné travaillé à l’ampli vintage et dégorgeant sans finesse des montagnes de décibels vérolés à la pédale fuzz, d’où le nom.
Autant dire que le concert de ce soir au Botanique de Bruxelles s’annonce saignant, juteux. Ty Segall et ses deux complices Charles Moothart (guitare) et Roland Cosio (basse) ont fait un petit crochet par l’Europe en pleine tournée américaine. Il y a quelques jours, ils ravageaient les Rocheuses, les voici maintenant brièvement en Grande-Bretagne, à Paris et à Bruxelles (quel bol!) et ils repartiront d’ici peu continuer la dissolution du redneck au Texas. L’occasion de voir Fuzz, projet peut-être éphémère, dans la salle de l’Orangerie, encore à taille humaine avant que Ty Segall ne soit appelé dans les stades qu’il mérite, est tout simplement une bénédiction pure.
La bonne surprise est que les groupes de première partie vont également se révéler hautement sympathique. Les Scrap Dealers débutent à 20 heures dans une salle quasi-vide. Tant pis pour ceux qui ne pourront pas profiter de leur garage punk hargneux et piquant. Un bassiste binoclard s’agite sur sa Fender, entouré de non pas un, pas deux mais trois guitaristes, dont deux se partagent un chant à la John Lydon de P.I.L.. Pour le style, on croirait un mélange des Olivensteins et de Count Five, pont symbolique entre le punk rock des Seventies et le garage rock des Sixties. Sur leur matos vintage sans doute volé aux Blues Magoos, les cinq lascars liégeois se lâchent sans complexe sur des titres que l’on pourrait aussi attribuer aux Monks, mythique formation ricaine de GIs basés en Allemagne qui jouaient un punk rock précurseur vers 1965-66, le tout avec une tonsure au sommet du crâne. Ces mômes n’étaient pas nés quand j’écoutais déjà les Monks et moi-même, je n’étais pas né quand les Monks officiaient sur le terrain. Rendons donc hommage à ces jeunes gens qui perpétuent l’esprit garage punk sixties sur plus de deux générations.
On reste sous pression avec Thee Marvin Gays, quatuor mené par une bassiste à la bonne bouille fermière mais qui ne tarde pas à montrer des aptitudes très pointues pour la quatre-cordes. Ses doigts dégoulinent rapidement sur un manche qui crache des accords sautillants propres à soutenir le rock psychédélique de ce quatuor débutant mais déjà plein de promesses. Entre Thirteenth Floor Elevators, Oxford Circle ou Charlatans (ceux de 1966, pas les Anglais des Nineties), Thee Marvin Gays (quel nom!) usinent un rock fleurant bon la scène de San Francisco avant que les hippies de Grateful Dead ne viennent tout aplatir sous des couches de folk rock béat. Les deux guitaristes imposent des riffs virevoltants et nerveux, sous le regard mou d’un batteur qui écrase les peaux avec la conscience professionnelle du navigateur-bombardier pressant sur le bouton rouge.
Le sommet est atteint avec Fuzz, qui aborde la scène vers 21h30. Ty Segall installe lui-même sa petite batterie verte juste devant mon nez, ce qui me donne l’occasion de lui serrer la main. Oui, dans ce projet Fuzz, Ty Segall délaisse la guitare pour les tambours, où l’on va voir qu’il excelle aussi. La prochaine fois, il montera sans doute un groupe où il tiendra la basse, puis un autre où il s’occupera des claviers ou du hautbois. Ce type a envie de tout faire et ça se sent. Il veut être le rock à lui seul, le représenter dans ses aspects les plus reptiliens. Le trio se met vite à la tâche et monte rapidement un mur hard rock proche des racines du début des années 70, quand Blue Cheer, Grand Funk ou Sir Lord Baltimore lançaient les prémisses de ce qui allait devenir le heavy metal. Ici, du Blue Cheer, on va en croquer avec les assauts de guitare surhumains du colonel Moothart, qui nous monte vite au nez. A la batterie, Ty Segall chante et abat sur ses fûts la colère des dieux du Walhalla. Et le bassiste Roland Cosio rabote des riffs astraux sur un engin acheté d’occasion à un roadie de Captain Beyond.
Sous les coups de boutoir de morceaux en béton armé parfumés au patchouli, une transe tantrique s’installe dans le public, qui ne va pas tarder à partir dans des po-gos virils et bon enfant. Le groupe enchaîne une suite de morceaux extraits de son album et des trois singles qu’il a sortis cette année. La Fender Jazzmaster de Charles Moothart décoche des notes onctueuses sur les mid-tempos et fait rougir les amplis à lampes avec un son crasseux hululant des décibels cosmiques. Devant l’absence de set list, on peut avancer sans trop se tromper des morceaux comme ʺFuzz’s fourth dreamʺ, ʺThis time I got a reasonʺ, ʺSleigh rideʺ, ʺYou won’t see meʺ ou ʺWhat’s in my headʺ, mais dans le désordre. Ce qui est sûr, c’est que le groupe termine sur un rappel d’anthologie avec une reprise du ʺTill the end of the dayʺ des Kinks et ʺLoose suturesʺ, un titre qui rend fou dont Fuzz a le secret. Le public lessivé se prosterne pour accompagner le départ des héros. Ayant encore gardé quelque esprit, je saute sur scène pour piquer une baguette gisant sur le kit de Ty Segall. Par contre, je serai marron au stand du merchandising, voyant disparaître devant mes yeux les derniers exemplaires CD ou vinyle de l’album de Fuzz qui est littéralement razzié. J’en serai quitte pour une cassette, à l’ancienne. Même en 78 tours ou en cylindre à phonographe, j’aurais pris.
Tout pour Fuzz.
bon… la bonne bouille fermière, je sais pas trop comment le prendre!!! mais bon mis à part ça, c’est assez élogieux, merci quand même François!!!