Interview exclusive de Playtime pour Music in Belgium
Playtime est un groupe belge qui a récemment sorti son deuxième album « Trees don’t run ». Non contents d’être très talentueux, les musiciens de Playtime ont eu la gentillesse de nous accorder une interview, occasion pour eux de se faire connaître un peu plus, de dévoiler leurs préoccupations et de montrer un franc-parler à l’égard du destin de l’humanité qu’on aimerait entendre un peu plus souvent chez nos politiciens qui sont sensés diriger le monde. C’est dans le cadre d’une arrière-cour discrète et agréable d’un café branché du quartier des Sablons à Bruxelles que la chanteuse de Playtime, Simonn Wolf, et le guitariste Paul Bengal ont livré à François Becquart cette petite discussion à bâtons rompus. PlayTime sera en concert le 6 juin au festival Matongé-Europe, à côté du Parlement européen (20 heures), encore une occasion de faire connaissance avec un groupe réaliste et intègre dans sa musique.
Music in Belgium : Bonjour et merci de nous accorder cette interview. Je commencerai par la question classique que l’on pose aux groupes qui montent et que l’on ne connaît pas encore bien : d’où vient Playtime? Qui sont les musiciens? Comment vous êtes-vous rencontrés?
Paul Bengal : Au départ, c’est moi qui voulais faire un groupe, je cherchais une chanteuse ou un chanteur, en tous cas une voix. J’ai rencontré Simonn via des connaissances, puis la section rythmique via Simonn. Cela remonte à quelques années. Les compositions sont de moi et de Simonn. On met ça ensemble, puis on ajoute des couches. Au départ, on peut jouer des morceaux en acoustique ou en électrique. En acoustique, c’est deux guitares et cela permet d’avoir des combinaisons différentes, comme on a fait avec le projet Chaos et Sérénité, où il ya deux guitares, deux voix et un peintre. On joue en fait des versions plus intimistes de nos morceaux en acoustique, ou bien en électrique et à ce moment nous sommes quatre. C’est sous cette formule que l’on jouera le 6 juin. On ne fait pas beaucoup de concerts mais quand on joue en public, on essaie de faire quelque chose qui nous correspond vraiment. Il y a de plus en plus de festivals en Belgique ou en France, avec à chaque fois un nombre plus démesuré de groupes sur scène. C’est une indigestion musicale, une inflation, et je n’aime pas cela. Je ne comprends pas comment à tous les âges, on peut s’enfiler une douzaine d’heures de musique, qui ne sert en fait que de bruit de fond. C’est une sorte de bande sonore pour la vie des gens, qui veulent peut-être avoir l’impression de vivre dans un film. Notre groupe n’est pas dans cette optique-là : nous préférons être écoutés, entendus, afin qu’on puisse essayer de faire passer des choses un peu plus profondes. Nous n’aimons pas les circuits balisés et faisons les choses à notre manière. Parfois, ça plait, parfois, ça déplait.
MiB : Il fut un temps, où on pouvait voir le même groupe des dizaines de fois dans l’année. C’était facile pour les jeunes groupes d’aller jouer dans de petits endroits. Maintenant, les choses sont devenues beaucoup plus difficile. Avez-vous un programme de concerts chargé?
Simonn Wolf : Il y a une chose qui nous caractérise, c’est notre façon ludique de jouer. Le nom du groupe, Playtime, l’indique aussi, mais cela signifie surtout qu’il n’ya pas de règles. On se met parfois à quatre et on fait de la musique très électrique, très forte, très « défoncé » dans l’émotion. Et d’un autre côté, on peut faire de la musique beaucoup plus légère, avec un peintre qui dessine des motifs presque chinois, avec beaucoup de sérénité. Donc, ce que l’on recherche vraiment, c’est plutôt un cadre et une ambiance. Maintenant, en termes de plannings ou de tournées chargées, je refuse de faire cela pour tourner, parce qu’il y a trop de musique et qu’on est fondu dans la masse, sans possibilité de créer un univers. A Bruxelles, il est beaucoup plus difficile de jouer que dans le sud de la Belgique. Soit ce sont toujours les mêmes, soit il n’y a plus de moyens, plus d’envie, soit il y en a trop partout. Nous, nous voulons plus continuer à nous amuser et apporter vraiment quelque chose lors d’un concert.
Paul : Maintenant, le rock and roll est partout.
MiB : C’est malheureusement une façon de le neutraliser, je pense.
Paul : Oui c’est une façon de le décrédibiliser, en le mettant partout, même quand on attend le métro. Les gens ne font même plus attention. Alors, aller se battre pour jouer quatre chansons et demi, pour mal jouer et être mal sonorisé devant des gens qui boivent de la bière en s’éclatant au soleil (NDR : quand il y en a…). Le problème du rock, c’est qu’il s’est institutionnalisé et on fait justement de la musique pour éviter ça. L’establishment musical encadre tout cela et c’est tout juste s’il ne faut pas montrer des CV pour présenter les musiciens… Fuck off, quoi, ce n’est pas l’idée! Soit on se conforme à ça et c’est très aseptisé, soit on ne se conforme pas à ça… et voilà (rires).
Simonn : C’est plus galère, mais on a plus l’impression de faire ce dont on a envie. C’est la base. On nous demande souvent si on vit de notre musique. Ce n’est pas comme cela que la question devrait être posée. Il faut se demander si on vit pour notre musique.
Paul : La question du rock est devenue un truc économique. On ne nous demande pas ce que l’on veut faire de notre musique du point de vue du véhicule émotionnel, mais simplement si on en vit. C’est une perversion de notre époque. Les gens ne se posent plus la question de savoir quel genre de musique c’est.
MiB : Je pense avoir trouvé les défenseurs de l’idée du rock and roll…
Paul : Oui, c’est l’idée de pouvoir s’exprimer en toute liberté. Je ne sais pas si on considère le rock comme de l’art, mais l’idée de l’art est de pouvoir s’exprimer librement dans un cadre non formaté. Le rock est maintenant une vieille dame de près de 60 ans, et la situation actuelle, c’est le bourrage de crâne.
MiB : Il y a toujours des nouveaux groupes qui sortent, mais il faut voir ce qu’ils jouent, dans quelles conditions, s’ils ont encore des idées originales.
Paul : Ce sont des resucées du rock des Sixties et Seventies parce que le vocabulaire du rock a été forgé à ce moment-là, et on décline tout cela aujourd’hui tant bien que mal. Chaque mois, dans la presse, il y a un nouveau sauveur du rock chez les journalistes. Il faut vendre et il y a de plus en plus tendance à ce qu’on oublie l’histoire du rock, les vraies racines, les vrais défricheurs et on va vite en besogne pour considérer tel ou tel groupe comme génial alors qu’il n’est que le énième avatar d’un style défriché mille fois avant lui C’est bien de connaitre son passé afin de préparer l’avenir. Ça, c’est de la citation! (rires).
MiB : Vous dites parfois jouer avec un peintre. Comment fonctionnez-vous? Il y a un échange d’inspiration?
Simonn : On peut dire que nous sommes trois au départ, mais ça devient un monologue. On fait écouter notre musique au peintre. Il a des idées et comme il travaille sur grand écran, on peut jouer et en même temps voir ce qu’il fait et ça se répond dans une partie d’improvisation, mais les ambiances développées de part et d’autre ont aussi une influence sur le cours de la musique et de la peinture.
Paul : Sur scène, nous sommes face au public. Derrière nous, il y a l’écran et derrière l’écran, il y a Thy Truong Ming, un peintre d’origine vietnamienne qui a un canevas. Il sait plus ou moins dans quelle direction on va aller. On interprète une série de chansons de nos deux albums en version acoustique et il illustre la toile en fonction de ce qu’il ressent sur ce moment-là. Il sait qu’il a une quarantaine de minutes pour composer sa toile. C’est une autre façon de fonctionner, c’est plus intimiste, ça nous correspond aussi.
Simonn : Nous avons le souci d’apporter des images à notre musique. On est fan de musique et on la voit sous forme de couleurs, de traits, ou quelque chose de plus figuratif.
Paul : Il faut aider les gens à se figurer des images. Avant l’époque de la vidéo, on écoutait des vinyles sur son lit ou sur son divan; la musique parlait d’elle-même et il fallait faire un effort mental ou se laisser aller et les images venaient au cerveau. Depuis, MTV et YouTube sont passés par là et les gens ont plus le réflexe du visionnage. Il faut donc renforcer le côté visuel. Nous sommes des fans de cinéma et on aime aussi la photographie, et ça nous amuse de compléter la musique avec des images, des photographies, des vidéos pour mieux élargir l’univers musical et donner éventuellement une piste à suivre. On aime consacrer du temps à imaginer un scénario pour une vidéo, des photos…
MiB : En parlant de cinéma, est-ce que le nom de Playtime a un rapport avec le film de Jacques Tati?
Simonn : Oui, bien sûr. Nous aimons beaucoup le cinéma de Jacques Tati et son humour pince-sans-rire, sa vision poétique et critique de la société. Ça se rapporte aussi à une époque révolue aujourd’hui, mais qui garde sa réalité. Toutes les critiques faites par Jacques Tati sur la société de son époque restent actuelles.
Paul : Il a bien vu venir la catastrophe de la crise morale en cours.
MiB : Avec cette référence à Tati et la défense du rock, vos influences semblent bien ancrées dans les années 60 et 70. Quelles sont-elles, au juste?
Paul : C’est difficile à dire, je ne sais pas trop. J’essaie en fait de trouver une réponse quand j’écoute les chansons que nous faisons.
Simonn : Ça t’arrive? (rires)
Paul : Oui, car je n’ai pas envie de me répéter, mais je n’ai pas une idée évidente de ce que sont mes influences, surtout par rapport à la musique qu’on fait.
Simonn : Ce qui m’influence, quand je compose ou que j’ajoute des éléments sur les parties de Paul, c’est vraiment l’émotion. C’est ce qui va me guider sur des titres très durs comme « Frangerstein » ou « Miserable ».
Paul : Je pourrais dire quant à moi que j’aime Pete Townshend, parce que c’est un guitariste qui est partout et nulle part. Ce n’est pas un grand soliste mais c’est quand même quelqu’un qui occupe bien le terrain, qui est bien nerveux et qui a une grande vision. Je pourrais aussi dire que j’aime les Beatles, comme tout le monde. Mes sources vont aussi du côté du punk des années 70, ou même avant. J’aime les guitares nerveuses, en tous cas. Mais sur cette période-là, je n’ai pas de noms particuliers à donner, si ce n’est l’énergie globale de l’époque.
MiB : Et dans les groupes contemporains, internationaux ou belges, y a-t-il des choses qui vous plaisent?
Simonn : Honnêtement, on est tellement dans notre musique, alors réussir à en écouter d’autres en plus, ce n’est vraiment pas facile. Il y a des choses qui me plaisent, mais de là à citer des noms…
Paul : Chez les Belges de maintenant, on aime bien Ozark Henry car ce sont les ambiances qui nous plaisent.
Simonn : J’accroche sur une chanson ou l’autre mais pas forcément sur l’univers en entier. Paradoxalement pour une musicienne, j’apprécie beaucoup le silence (rires).
MiB : Votre premier album était assez diversifié, le deuxième a un peu plus de cohérence dans le style. Etes-vous en train de trouver un style qui vous est propre ou avez-vous l’intention de tout remettre en question lors des prochains albums?
Simonn : C’est un peu à vous de le dire car vous avez plus la distance. Nous, on a la tête dedans et on ne se pose pas cette question du style propre. Par contre, le fait de jouer de plus en plus, de chercher en studio ou en live, nous fait nécessairement définir une trace et un sillon qui est appelé à s’approfondir. J’ai toujours un peu de mal à réfléchir à la musique de manière rationnelle et stratégique. Par contre, je sais que les choses se mettent en place et que si le dernier album est beaucoup plus rock et plus électrique, ça correspond à quelque chose et je ne pense pas qu’on va abandonner cette direction-là, même si on fait aussi Chaos et Sérénité, notre spectacle avec peintre, car cette direction nous parle. Par exemple, on a enregistré la chanson « Miserable » très vite, et on s’est dit qu’on l’aimait particulièrement.
Paul : Sur notre premier album, on était peut-être un peu timoré, on se cherchait et on essayait d’être poli et gentil. Sur le deuxième, on a plus essayé d’être nous-mêmes, plus extrêmes car on voulait en dire plus sur nos personnalités, nos angoisses, nos phobies, nos espoirs, nos colères, etc. Le troisième, qu’il soit électrique ou acoustique, sera sans doute encore plus extrême en ce sens que l’on est occupé à se libérer via la musique, quelque part. Je crois que c’est un bon vecteur pour dire les choses que l’on a au plus profond de nous.
MiB : Vous avez enregistré votre deuxième album aux studios BSB. Comment cela s’est-il passé avec votre producteur Marc François?
Paul : C’était génial.
Simonn : On a vraiment trouvé un complice très précieux.
Paul : Il est ingénieur et producteur, en fait.
Simonn : Quand on est un peu introverti ou timide, il y a des risques que rien ne marche dans le studio si on n’arrive pas à s’entendre avec celui qui est en régie.
Paul : C’est pareil pour les parties de guitares. Si je ne suis pas à l’aise avec quelqu’un, je me renferme et c’est raté. Et avec Marc François au studio BSB, ça s’est passé très simplement. Il ne se conduit pas comme ces producteurs stars que l’on trouve dans des studios clinquants et ultramodernes comme l’ICP. C’est pourtant lui qui a lancé ou enregistré de grands noms, comme Vaya Con Dios, Ozark Henry, Arno. Il a produit de nombreux groupes flamands, fait des sessions avec Adamo et même le Grand Jojo! Il n’a pas ce snobisme qu’on peut trouver parfois dans le monde du rock où on prétend être plus esthète par rapport à la masse qui aurait moins de références. Un professionnel comme lui, simple et efficace, c’est vraiment ce qu’il y a de mieux. Toutes nos chansons ont été enregistrées au BSB, on a plein de bons souvenirs. Marc François nous a fait des sons extraordinaires. On a d’ailleurs fait beaucoup de recherches sur le son, en travaillant à l’ancienne. Procéder quasiment artisanalement, c’était important pour nous et lui pouvait aussi comprendre cela. On a vraiment chipoté dans tout les sens et au final, on est très contents. Et on a mangé beaucoup de gâteaux portugais (rires).
MiB : Donc, votre prochain album sera un album de fado.
Paul : Non (rires).
MiB : Dans votre site, vous insistez beaucoup sur la pochette de l’album, qui a été illustrée par Kyu-Hee Lee. Comment êtes-vous entrés en contact avec elle?
Simonn : C’est le côté un peu magique de la réalisation de l’album. J’ai un ami qui habite en Corée du Sud depuis plusieurs années et qui m’a ramené à la Noël 2011 une toile que j’ai trouvée superbe, signée Kyu-Hee Lee. Je trouve sympa, quand on est artiste, de savoir que son album est écouté à l’autre bout du monde. Je lui ai donc envoyé un e-mail pour lui exprimer ma joie de posséder cette toile dans mon living. On a eu une correspondance très espacée et comme on cherchait une idée pour la pochette, j’ai demandé à Kyu-Hee Lee si elle avait quelques dessins. Elle m’a envoyé quelques dessins de mangas et comme elle illustre aussi pour le cinéma, le côté cinématographique m’a tout de suite plu, ainsi qu’au groupe. Je lui ai envoyé le projet d’album et elle a aussi beaucoup aimé. C’était le 24 décembre et dès le 1er janvier, elle nous a envoyé le dessin.
Paul : C’était surprenant mais il y a toutes ces teintes bleues, vert, mauve, qui expriment bien ce qu’il y a dans le disque. C’est un disque sombre, rageur, triste mais il y a quand même un peu d’espoir, de la naïveté, de la gentillesse. Il y a un arbre.
MiB : Ce qui renvoie d’ailleurs au titre de l’album, « Les arbres ne courent pas » (« Trees don’t run »).
Paul : Oui, j’avais pensé un matin à une phrase zen. On vit en Occident dans l’agitation totale. On court dans tous les sens, comme ça, tout le temps, partout, et en fait c’est stupide. Pourquoi faire? Pour gagner un peu plus d’argent? Pour être un peu plus tôt devant sa télé? Et en fait, les arbres sont là, ils poussent, ils donnent de l’oxygène, ils font des guitares (rires) et des cercueils, mais ils sont partout. On est occupé à détruire la forêt tropicale, il y a le réchauffement climatique, tout ça, et quand George Harrison a acheté sa grande maison après la folie des Beatles, il s’est mis à planter des arbres. Il s’est rendu compte que les arbres étaient quelque chose de merveilleux. Michel Serrault collectionnait les arbres rares, il trouvait cela extraordinaire. Il regardait pousser ses arbres et savait qu’ils pousseraient encore après son décès.
MiB : Toujours dans l’illustration, il y a NuShao Truong qui a adapté la couverture.
Simonn : Tout à fait. Sur base du dessin, elle a utilisé sa propre sensibilité et la logique de l’arbre revient encore. Ce n’est pas évident pour quelqu’un qui est graphiste de travailler à partir du travail de quelqu’un d’autre, mais là, ça a fonctionné à merveille.
MiB : Comment vivez-vous vos concerts, par rapport au public?
Simonn : Tout dépend de la formule. Si on est dans le cadre de Chaos et Sérénité, ce n’est certainement pas un défouloir, c’est plutôt un moment de partage, d’abord avec Thy, le peintre, et puis je pense que ça contamine le public.
Paul : Ça a un côté méditatif, un peu contemplatif.
Simonn : La particularité est que comme il peint en direct, spontanément les gens vont suivre son trait et se laisser bercer par la musique. Du coup, ça vide aussi un peu l’esprit, d’où le côté méditatif.
Paul : Ça permet de créer une bulle extratemporelle. L’idée est de faire entrer le public dans cet univers commun au groupe et au peintre, et de le mettre dans cette bulle, afin qu’il se laisse gagner par les émotions que nous tentons de proposer.
Simonn : On nous a déjà dit que ce genre de prestation était mieux que le cours de yoga (rires). Mais à côté de ça, et c’est le cas du concert du 6 juin, on aime les choses très électriques qui bougent et qui balancent le son. Pour ce concert, entre le quartier Matongé et le quartier européen, on a hâte de sortir les guitares et tout ce qu’on a amassé pendant l’hiver. Le contact avec le public a pour nous deux significations : parfois, c’est quelque chose de doux, parfois on va chercher le public dans ses derniers retranchements.
MiB : Avez-vous des noyaux de fans qui vous suivent partout?
Simonn : Comme on fait quelque chose d’assez varié, ça dépend de la formule dans laquelle on est, en fait. Ce que j’apprécie beaucoup également, c’est que c’est multi-générationnel.
Paul : Peut-être pas « Miserable », quand même.
Simonn : Ça dépend vraiment. On a un vieux fan rocker de 65 ans, il adore.
MiB : Il y a donc ce concert du 6 juin près du Parlement européen, et y a-t-il d’autres projets dans les mois qui viennent?
Paul : A la rentrée, on fera un autre concert à Bruxelles à L’Os à Moelle.
Simonn : Qui est l’endroit où on a tourné notre dernier clip. De nouveau, on cherche les endroits qui ont une âme. Barbara est venue chanter là.
Paul : Oui, c’est un endroit qui a une âme, On commence à bien y jouer car on s’entend bien avec la direction. Comme on est en train de plastifier la société, que tout perd de son âme, on essaie de rendre de l’âme à des choses superflues, mais ce n’est pas aussi facile que ça. Nous essayons toujours de privilégier la dimension de l’âme dans ce que nous faisons. Dans ce décor encore d’époque, on se sent vraiment bien et c’est ce qui nous a naturellement poussés à le choisir pour notre clip de « Free yourself ».
Simonn : C’est peut-être pour cela que ça nous prend plus de temps. On veut sentir les choses avant de foncer tête baissée. Mais pour moi, ça me convient parfaitement, car ça a du sens de faire là-bas notre clip ou Chaos et Sérénité.
MiB : De quoi parlez-vous dans les textes de vos chansons?
Paul (après un silence) : Je vais faire une digression pour arriver à la réponse.
Simonn : Pas sûr, pas sûr (rires).
Paul : On parle beaucoup dans les médias de la grande crise financière, qui n’est qu’un des aspects d’une gigantesque crise morale ou existentielle que traverse la société occidentale qui s’est répandue partout. Et donc, tout est occupé à aller à vau-l’eau, et ça engendre toute une série de problèmes qui soulèvent des questions auxquelles il faut apporter des réponses parce qu’on sait qu’on va dans le mur, avec le cercle vicieux du réchauffement climatique et de la pollution. Tout cela est très concret mais résulte avant tout de ce qui se passe dans l’esprit des gens, dans la tête de certains décideurs, entrepreneurs, etc. Et tout cela donne une immense crise d’identité partout dans le monde occidental, même si les gens n’en ont pas forcément conscience aujourd’hui. Et les chansons, c’est ça, On parle de tous ces aspects-là, y compris de l’irrespect et du cynisme dans les relations humaines, qui est en train de tout pourrir et de tout détruire. Je m’informe beaucoup en regardant des chaines de télé étrangères et je constate que ça ne va pas bien, et ça va de moins en moins bien. Et tout cela, d’une façon distillée, subtile ou pas, se retrouve dans les textes de nos chansons. On peut dire que nous sommes un groupe engagé.
MiB : Personnellement, je considère que le rock doit justement être engagé et appuyer là où ça fait mal. Ce que vous dites fait chaud au cœur, à une époque où la plupart des groupes de rock parlent de leur nombril, de leurs chaussures et du temps qu’il fait.
Paul : Oui, dans le rock, les chansons tournent autour d’histoires d’amour plus ou moins superflues.
Simonn : C’est ce dont parle notre chanson « Rock star », qui critique tous ces clichés et qui est présenté sous l’angle masculin. En tant que femme, je ne me sens pas concernée par tout ceci, mais le fait de pouvoir chanter une chanson de ce genre sur scène est extrêmement jouissif (rires).
Paul : Oui, le rock est aujourd’hui extrêmement banalisé et récupéré par la politique, par la publicité, etc. Mais quand on remonte dans le temps, encore jusque dans les années 70, le rock était en connexion directe avec la société et ses importants changement de l’époque. Il y avait quelque chose qui se passait. Le rock faisait avancer la société et inversement. Et ça a complètement disparu parce que tout ce qui figure à la marge finit toujours par être intégré par le mainstream, pour être vidé de sa substance. C’est ce qui se passe maintenant : les musiciens soi-disant contestataires sont assez rares actuellement. Les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus tentés par la remise en cause de la société puisqu’il ont vu leurs parents hippies devenir des bourgeois. Mais tout cela arrange bien les pouvoirs en place. Tout le monde a son ordinateur, tout le monde a sa télé, sa voiture, ses vacances et plus personne ne bouge.
MiB : Il y a quand même certaines scènes musicales comme le hardcore, par exemple, où les groupes sont très revendicatifs mais évoluent dans un environnement très limité.
Paul : Oui, ça a peu d’impact sur la société, qui était au contraire très critiquée par la vaste scène rock des années 60. Et tout cela a disparu aujourd’hui. Le rock c’est complètement parcellisé en petites paroisses étanches. Je pense encore que si une chanson ne va pas changer le monde, elle aura quand même tenté de faire passer un petit message, sans toutefois faire dans la dispense de leçon.
MiB : Pour trouver votre musique, êtes-vous passés par des reprises?
Paul : On a fait beaucoup de reprises en acoustique, oui.
Simonn : Aussi pour se connaître, au début. Faire des reprises acoustiques permettait de trouver l’essence d’une chanson. On a expérimenté ça avec « Heroes » de David Bowie, « Light my fire » des Doors ou « It’s a man’s man’s man’s world » de James Brown. On dépouille la chanson pour savoir ce que notre groupe peut en faire. C’était une phase indispensable pour se découvrir en tant que groupe. Maintenant, ça nous arrive de faire une reprise de tant en tant, comme « West End girls » des Pet Shop Boys, qui est un morceau disco mais que l’on traite de façon plus rock.
MiB : Avant Playtime, aviez-vous des expériences dans d’autres groupes?
Simonn : Personnellement, non.
Paul : Moi oui, mais il n’y avait jamais eu de disques.
Simonn : J’étais trop timide pour chanter en public mais il y a eu un moment où la mystique de la musique est devenue trop forte et il a fallu que je franchisse le pas. Par l’interprétation des chansons, c’est comme ça que je me sens actrice de ce monde.
MiB : Merci beaucoup pour votre temps et bonne chance pour l’avenir et surtout le concert du 6 juin.
Simonn et Paul : Merci à vous.