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JUDAS PRIEST increvable à la Lotto Arena


Mes obsessions sidérurgiques ont récemment repris à l’annonce de la venue à Anvers de deux des fleurons du heavy metal classique anglais : Judas Priest et Saxon. Oui, ces deux groupes ensemble sur la même affiche, c’est champagne et caviar, ceinture et bretelle, fromage et dessert, bref, le must, le pied intégral. D’un côté, Judas Priest, vétéran de la scène métallique mondiale, plus de 40 ans de carrière, les chaudronniers de Birmingham. De l’autre, Saxon, semeur des graines de la New Wave of British Heavy Metal au début des années 80, relève en fonte des vieux maîtres Sabbath et Priest, les ferrailleurs de Sheffield. Birmingham, Sheffield, des endroits qui n’ont rien d’une station balnéaire pour bobos friqués, mais des cités où l’ouvrier ploie sous les cadences infernales, des villes qui ont engendré l’âme du heavy metal anglais. Les gens de bon goût n’avaient donc d’autre choix que d’aller confier ce soir leurs tympans fragiles aux bons soins de ces maîtres de forge, spécialisés dans le décibel galvanisé au wolfram et experts dans la fabrication d’obus sonores à fragmentation. Les événements se déroulent dans la Lotto Arena d’Anvers, où je prends place en tribune, à une vingtaine de mètres de la scène, un emplacement idéal et confortable.

Malheureusement, cet endroit est mal desservi par l’acoustique de la salle, qui envoie le son dans les anfractuosités des tribunes, avec une nette déperdition de précision dans les graves. Cela ne permet pas d’apprécier pleinement le show d’After All, groupe de première partie en provenance de Bruges et qui vient défendre ici son huitième album. Un tel palmarès discographique pour un groupe complètement inconnu est étonnant : After All existe depuis plus de vingt ans et a obtenu un statut de groupe culte dans une zone qui doit s’étendre de Bruges à Ostende, à tout casser. Son thrash metal classique est de très bonne facture et le groupe tente en ce moment de passer à la vitesse supérieure avec l’arrivée du chanteur Sammy Peleman, qui remplace l’historique vocaliste Piet Focroul, dont le style plus grave plaçait jusqu’à présent After All dans un registre mi-thrash, mi-grunge en perpétuel recherche d’un style propre. Avec le nouveau chanteur, incontestablement plus à l’aise dans les aigus, After All accroche un train résolument thrash metal épique et burné qui lorgne sans vergogne du côté d’influences comme Helloween, Slayer ou In Flames. Les Brugeois balancent un set de 25 minutes tout en chasse aux dragons et révolte des dieux, dans une tradition épique typiquement eighties. Le dernier album « Dawn of the enforcers » est assurément plus convaincant que la prestation un peu basique de ce soir, handicapée par un son indigne.

On monte d’un cran avec Saxon, qui envahit la scène vers 19h45, histoire de ne pas laisser filer la montre. Le timing serré oblige le groupe de Biff Byford et Paul Quinn à limiter les débats à 45 minutes, ce qui est cruellement court pour un groupe à la carrière si longue. Si l’on parle chiffres, on verra aisément que c’est même Saxon qui bat Judas Priest au nombre d’albums studio, avec 21 disques en 32 ans contre 16 sur une période de 34 ans. De plus, Saxon promeut son nouvel album « Call to arms », sorti l’année dernière, alors que Judas Priest en est resté à son « Nostradamus » qui date de 2008. Il faut dire que le concert de ce soir intervient dans le cadre de la tournée Epitaph qui est sensée conclure la carrière de Judas Priest et que ce dernier n’a donc pas de nouvel album à défendre. Toutes ces raisons aboutissent à la conclusion que Saxon aurait dû bénéficier d’un peu plus de temps pour satisfaire son public ce soir. Quoi qu’il en soit, le show de Saxon n’en sera pas décevant pour autant, avec une set-list qui fait office de kit de survie en Saxonie. Le groupe sort en effet ses plus belles munitions en provenance de ses tout premiers albums, les classiques « Strong arm of the law » (1980), « Wheels of steel » (1980) et « Denim and leather » (1981). Un petit morceau du dernier album et un petit classique de « Power and the glory » (1983) en plus, et le tour est joué. Sous un étau d’acier tendu par les deux guitaristes du groupe, Biff harangue la foule avec la verve et l’assurance d’un marchand de réfrigérateurs perdu en Laponie. Il balance régulièrement des petites bouteilles d’eau au public, tout content de voir que les hardeux en sueur les attrapent. Le bassiste fait tourner sa longue chevelure à l’allure d’une hélice d’avion et broie le manche de sa Gibson Thunderbird de ses petits doigts. Et ce bon vieux Paul Quinn, tranquille à l’autre bout de la scène, bandana sur la tête, fait gicler ses solos tueurs de sa Les Paul dorée. Voilà, du côté de Saxon, tout est sous contrôle, le groupe est toujours parfaitement carnassier sur scène.

Un énorme rideau vient cacher la scène, le temps que les roadies de Judas Priest mettent le décor en place. Les tronçonneurs du Priest déboulent sur scène à 21h15 et lancent sur les rails un show rutilant qui va occuper le public pendant plus de deux heures. Au programme, une set list qui est en fait exactement la même que celle qui nous avait été servie par Judas Priest au festival Graspop en juin 2011. C’est donc une vingtaine de morceaux sélectionnés à partir des quatorze albums réalisés par le groupe et son chanteur Rob Halford (les deux autres albums « Jugulator » et « Demolition » ayant été publiés avec son remplaçant Tim « Ripper » Owens entre 1997 et 2001) qui vont servir d’ossature à ce grand résumé scénique de la carrière de Judas Priest entre 1974 et 2008.

L’album « British steel » de 1980 est surreprésenté dans cette liste et ce n’est que justice puisque c’est l’album le plus fameux de Judas Priest, celui qui a adoubé le groupe dans la famille des plus grands groupes métalliques de tous les temps. C’est d’ailleurs avec « Rapid fire » et « Metal gods », deux titres de « British steel », que le show de Judas Priest commence dans une ambiance de fonderie en surproduction. Rob Halford a la situation bien en main, il mène ses troupes avec la précision d’une division de Panzers en plein assaut sur la Meuse. Le voici habillé d’un énorme manteau clouté, le truc qui doit peser 45 kilos rien que pour les rivets qui recouvrent le cuir. Portez ce truc et vous perdez instantanément 45 centimètres par tassement des vertèbres. Vous en serez quittes pour demander Mimi Mathy en mariage. Aux côtés de Rob Halford, la paire de guitaristes Glen Tipton (l’ancien) et Ritchie Faulkner (le nouveau, remplaçant de l’historique K.K. Downing et à peine plus âgé que l’album « British steel » lui-même) enferment les sonorités de plomb sous un étau de cupro-nickel impossible à percer. Chaque solo de ces tueurs patentés est un flot de notes rivetées qui dégoulinent du manche. Et derrière, l’inamovible bassiste Ian Hill (40 ans de maison) et l’impeccable Scott Travis assurent une rythmique huilée et implacable. Scott Travis est littéralement monstrueux derrière ses fûts, imperturbable, puissant et aussi précis qu’un tireur d’élite des troupes de marine.

Avec un tel équipage, attendez-vous à du sport. Sauf que le son n’est pas toujours au rendez-vous et l’acoustique des tribunes de la Lotto Arena semble laisser à désirer quand on se retrouve entre la tribune inférieure et la tribune supérieure, le béton des gradins étouffant les graves. Cela n’empêchera pas le Priest de tirer avec brio son épingle du jeu, même si son show est moins percutant que celui du Graspop. Il faut dire que le quintette en est à son 18e mois de tournée et affiche plus d’une centaine de shows au compteur sur cette tournée Epitaph. Le point de rupture est cependant loin d’être atteint, tant les gaillards semblent totalement imperméables à la fatigue.

Après trois titres des années 80 entrecoupés d’un extrait d’« Angel of retribution » (timide album signant le retour de Rob Halford dans le groupe après dix ans d’absence), Judas Priest nous replonge dans les charmes de ses œuvres des années 70, notamment avec un toujours poignant « Victim of changes » et le touchant « Never satisfied », en provenance du tout premier album de Judas Priest, qui à l’époque affichait encore des looks de hippies et galéraient sur le petit label Gull Records, incapable de les propulser, à la différence de CBS qui les mettra sur un sérieux tremplin pour le vedettariat à partir de 1977 et l’excellent mais sous-estimé album « Sin after sin ». Notons aussi la belle reprise du « Diamonds and rust » de Joan Baez (eh oui, les brutes cloutées ont toujours admiré les icônes du folk américain ; souvenons-nous que le nom de Judas Priest vient de la chanson « The ballad of Frankie Lee and Judas Priest » de Bob Dylan) et l’étonnante reprise du « Green Manalishi » de Fleetwood Mac pour constater que Judas Priest a toujours eu des lettres en matière de musicologie rock.

Pour ce qui est du plus secouant, « Turbo lover » et « The sentinel » commencent à fissurer la fosse qui se décide enfin à répandre le bordel. Les slammeurs apparaissent et quelques pogos ultravirils entre petits mecs rasés et ursidés en denim viennent démanteler par endroits un tissu humain qui était resté jusque-là très sage. C’est vers la fin du show que Judas Priest comprime la bouillie humaine en petits cubes avec les charges de tyrannosaures que sont « Breaking the law » (entièrement chanté par le public) et le violent « Painkiller », dernier éclair du set principal.

Les rappels sont encore plus dantesques. Les chutes de slammeurs sont devenues pluie continue sur les premiers rangs alors que Rob Halford aborde la scène assis sur la fameuse Harley-Davidson pétaradante qui annonce l’indispensable « Hell Bent for leather », hymne biker ultime. Si un motard ne connaît pas cette chanson, ce n’est pas un motard, c’est un vendeur de pizzas déguisé en motard. Parlez-en autour de vous et trouvez les usurpateurs.

Après un tout dernier « Living after midnight » qui fédère métallos francophones et flamands dans un amour commun du métal, Rob Halford agitant un drapeau belge, le show de Judas Priest se termine sous une pluie d’onglets et de baguettes jetés dans la fosse par les musiciens. Chacun repart content et repus vers l’effroyable quotidien et la vigueur du show qui vient de nous anéantir laisse flotter un parfum d’espoir : avec une telle pêche, Judas Priest n’est pas encore prêt de raccrocher. Quelques épisodes saignants au programme pour l’avenir ? Espérons-le !

Set list Saxon : Heavy metal thunder / Hammer of the gods / Power and the glory / I’ve got to rock (to stay alive) / To hell and back again / Strong arm of the law / Wheels of steel / Denim and leather / Princess of the night

Set list Judas Priest : Rapid fire / Metal gods / Heading out to the highway / Judas rising / Starbreaker / Victim of changes / Never satisfied / Diamonds and rust / Prophecy / Night crawler / Turbo lover / Beyond the realms of death / The sentinel / Blood red skies / The green manalishi (with the two pronged crown) / Breaking the law / Painkiller // Rappel 1 : Electric eye / Hell bent for leather / You’ve got another thing comin’ // Rappel 2 : Living after midnight

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