MY OWN PRIVATE ALASKA en toute décontraction
Initialement prévue avant le concert à l’Aéronef de Lille, l’interview que My Own Private Alaska nous accorde a finalement lieu après le concert qui clôturait la tournée française de présentation de leur album, « Amen ». C’est donc des MOPA particulièrement détendus qui nous reçoivent dans leur loge à l’aube d’une nuit qui devrait être longue pour eux. Music in Belgium : MOPA, tout d’abord merci de nous recevoir à nouveau. Première question : vous avez ouvert le concert de Metallica aux Arènes de Nîmes. Pouvez-vous nous dire comment vous avez vécu ce moment ?
Milka : Avec appréhension, évidement, parce que 17.000 personnes, parce que lieu incroyable, on y a tous vu nous-mêmes des artistes énormes, c’est un lieu historique, et puis, parce que Metallica, on est à deux tiers fans du groupe. Ça s’est globalement bien passé : dès la fin de la première chanson, on a entendu tous ces applaudissements, et là on s’est dit “ouf, on se prend pas des tomates, c’est gagné” (j’ai déjà vu des artistes de première partie s’en prendre aux Arènes). Il est vrai que certains voulaient voir du métal, entendre “Enter Sandman”, mais l’énorme majorité a été très respectueuse. Certains ont apprécié, on en a rencontré au cours de la tournée qui nous ont connus grâce à Metallica.
MiB : La dernière fois qu’on s’était rencontrés, l’album était déjà enregistré, mais pas encore sorti, c’était il y a un an et demi. Pourquoi a-t-il mis autant de temps à voir le jour ?
Yohan : Ce fut un processus très long, après la rencontre avec Ross Robinson on est passé par une recherche de structures supposées viables et bizarrement, on a fini par trouver une réponse positive chez nous, avec Kertone Production, un mec qui a eu d’énormes couilles pour mettre l’argent sur la table et nous permettre de partir là-bas. Ça aussi ça s’est bouclé dans l’urgence, on a passé deux mois là-bas à faire cet album, puis on est rentrés très vite pour faire la tournée avec Will Haven, et après il y a eu un long processus de mixage, et de recherches de plans pour pouvoir le sortir, vu qu’on n’avait pas du tout envie de gâcher ce disque et d’en faire quelque chose qui ne nous plaisait pas. On a pris beaucoup de temps pour choisir les bons acteurs, c’est une musique novatrice (Ross dit souvent que MOPA c’est le verre d’eau là où le métalleux attend de la bière), on ne peut bosser qu’avec des personnes passionnées. On reste très acteurs et volontairement impliqués dans tout ce qui se passe par rapport à ce disque dans tous les pays, donc c’est une logistique énorme, qui demande beaucoup de préparation en amont, et on n’a pas chômé.
Tristan : on a fait le choix de le sortir sur le label de Ross, I Am Recordings!, et c’est un label qui nous laisse énormément de liberté, mais la contrepartie c’est qu’on a la main mise sur tout, du coup c’est très long de s’occuper de tout, de la promo, en France, en Espagne, en Italie, en Belgique, en Allemagne, au Japon, aux États-Unis, et on essaie de trouver des gens motivés, donc pas nécessairement des grosses structures, mais des gens plus petits et plus passionnés, et ça, dans chaque pays. Organiser une sortie mondiale quand tu n’es pas chez Sony ou Universal, c’est dur ! Ça prend du temps, donc, le temps de tout mettre en place, il s’est passé quasiment un an.
MiB : Maintenant qu’on a pu écouter l’album, il est indéniable que Ross a pas mal travaillé votre son, même sur les anciennes compositions. Comment ces réinterprétations ont-elles été perçues par votre public de la première heure ?
Y : Ca dépend. Comme à notre habitude, on suscite des réactions très extrêmes, à la fois dans le bon comme dans le mauvais. Quelques personnes s’étaient tellement passionnées avec le premier EP qui était un effort réalisé au bout de neuf répètes, très cru, très spontanné, sans réflexion aucune, qu’ils ont peut-être eu du mal à rentrer dans ce disque-là, qui est beaucoup plus profond, ne serait-ce que dans l’intention donnée, dans le coeur mis dans la musique. Ça représente une charge émotionnelle très grosse, qui n’est pas forcément facile à appréhender au premier abord.
M : Il y a aussi tous les gens qui ont l’EP, qui ont acheté l’album, et qui ont trouvé ça super, qui ont trouvé ça cohérent, même si pas obligatoirement attendu, parce qu’on savait pas trop ce qui allait ressortir de chez Ross. Il est certain qu’on n’a pas fait le même album, la même musique, mais comme le dit souvent Tristan, on n’est pas partis à 15.000 bornes de chez nous, bosser avec un gars comme Ross Robinson, pour être sur nos gardes, et ne rien lâcher, convaincus de nos propres certitudes, et dire non à une quelconque aide de l’extérieur.
MiB : Ce qui a surpris, c’est que vous repreniez quelques titres de l’EP et vous les ayez réinterprétés avec Ross pour en donner une nouvelle version sur l’album.
Y : On avait pris un peu de temps pour composer à nouveau, mais on est dans un processus de composition assez long, et profondément développé. On a voulu voir avec un mec aussi riche humainement quelle vision et quels changements il pouvait apporter à nos morceaux qu’on trouvait déjà bons, mais qui ont été sublimés sur ce disque parce que cet album nous ressemble beaucoup plus. On est très heureux d’avoir refait ces morceaux.
MiB : Ça touche tellement de gens que j’ai l’impression qu’on voit MOPA partout. On vous voit en sélection à la Fnac, vous y avez donné un showcase cet après-midi. Avez-vous une idée quant à la façon dont le buzz MOPA est né ?
T : Ça buzzait déjà très tôt, grâce au concept, un piano, une batterie sauvage, et un chant aux confins du harcore, du punk et du métal. Très tôt, les gens ont voulu écouter. Le phénomène Ross Robinson a accentué les choses, bien évidemment. Du coup, pas mal de médias parlent de nous. Mais il n’y a pas que des bons côtés à être autant exposé, tu t’en prends plein la gueule ! On sait qu’on est vachement attendus. Nous, on le vit bien parce qu’on sait ce qu’on envoie chaque soir, on sait ce qu’on a à faire avec notre musique, mais ce qu’on lit des fois est assez perturbant, par rapport à ce succès.
Y : On se rend compte qu’à l’étranger on est vraiment jugés par rapport à notre musique, et ici en France, on a l’impression d’être aussi jugés sur la chance qu’on a eue de faire tout très vite, alors qu’on ne triche en aucune manière, bien au contraire : on meurt sur scène, vraiment, et sur ce disque, on est vraiment allés au bout de ce qu’on avait à faire. C’est en partie pour cela qu’on l’a appelé « Amen ». En même temps ça a plein de bons côtés parce qu’on a vu, par exemple en Russie, 300 personnes dans une salle qui connaissent beaucoup mieux les paroles que nous, qui ont des réactions presque démesurées, par rapport à ce qu’on fait, à ce qu’on donne, et ça c’est riche, c’est très nourrissant pour l’humain, et c’est vraiment ce qu’on pouvait souhaiter de mieux.
MiB : Pourquoi justement avoir démarré la tournée par les pays de l’Est ?
Y : Parce que personne ne le fait, beaucoup de groupes dénigrent ces pays, parce que c’est plus dur que de rester chez soi. Ces pays ont été opprimés longtemps, c’est difficile d’y aller, c’est pas forcément des conditions formidables au premier abord, mais finalement tu te rends compte que c’est souvent les personnes qui ont le moins qui donnent le plus, et c’est ça qui est beau. Quand tu as fait 60 heures de camion parce que tu t’es fait refouler par l’armée à la frontière ukrainienne, que tu t’es pas lavé depuis des jours, je te passe les conditions sanitaires, le sommeil et la bouffe, quand t’arrives avec déjà des gens qui t’attendent dans la salle, que toi tu es à la bourre, et que malgré ça, ils te touchent “Waow, c’est vraiment lui ? Il a vraiment les cheveux rouges ?”, ça prend vraiment tout son sens.
T : C’est tellement facile de commencer par les États-Unis ou par la France. On a voulu faire cette tournée dans l’Europe de l’Est parce que c’est toujours eux qui passent en dernier et on trouve qu’il y a un pont entre notre philosophie et celle d’aller voir toujours le plus petit, en admettant que l’Europe de l’Est soit plus petite que la France ou les États-Unis en terme de tournée. Et ça nous a fait marrer de faire un pied de nez à ce qui se fait d’habitude, c’est un peu pareil musicalement, donc on s’est retrouvés un peu dans cette philosophie, oui.
MiB : Vous avez noté une différence d’accueil entre le public de l’Est et le public français ?
T : En France, on est une société qui n’a pas fait la guerre depuis plus de 60 ans, il y a eu des avancées sociales certaines, mais on est dans un certain “confort”. Alors qu’en ex-Yougoslavie, il y avait la guerre dans les années quatre-vingt-dix, il y a encore des villes complètement détruites, ou en Russie, où c’est encore la main-mise, la main rouge communiste. Ça s’est vachement libéré, y a vachement plus de libertés, mais ça a explosé d’un coup, et les mecs, ils se retrouvent un peu paumés, sans valeurs. Ils ont accès à tout, à internet, à des groupes de l’Europe de l’Ouest qui viennent, mais comment il faut réagir ? Ils font ça à leur manière, et c’est très extrême. Et du coup, c’est un bonheur de partager sa musique et de voir que la seule frontière qui existe, c’est une frontière géopolitique, y a pas de frontière pour la musique, c’est des conneries.
MiB : Par contre, vous devez encore tourner aux États-Unis. Quel succès escomptez-vous y avoir ?
Y : On sait pas, nous, tu sais, on défriche. On est obligés d’aller chercher les gens, donc déjà le fait d’avoir la possibilité de tourner dans ce pays-là, c’est un cadeau. On est aussi très excités à l’idée d’aller là-bas, parce qu’on a un lien, de par l’histoire de l’album, avec ce pays, donc on espère que ça va porter ses fruits. On va faire la côte Est, on s’y produit quinze jours, et on va faire l’Ouest début 2011, c’est un processus très lent, on n’est pas Limp Bizkit.
T : C’est certain qu’on y a une histoire parce qu’on a enregistré là-bas, parce que, peut-être, le nom de Ross Robinson nous précède, mais on va faire la tournée des clubs, on va pas faire la tournée des stades. On est confiants, mais on ne sait pas trop à quoi s’attendre. On sait juste que l’excitation, elle est là, de notre côté, côté public on verra bien, mais y a pas de raison, on a plus de la moitié de nos écoutes myspace qui viennent des États-Unis, j’espère que c’est un signe.
MiB : En parlant des États-Unis, revenons sur Will Haven, j’ai lu qu’ils entraient en studio la semaine prochaine pour enregistrer un morceau dont Tristan a déjà enregistré la ligne de piano. Comment cela s’est-il fait, en pratique ?
T : Quand on a tourné ensemble, en septembre 2008, on est devenus amis, les MOPA et les Will Haven, et ils m’avaient dit que ce serait cool un jour d’avoir du piano dans Will Haven. Là, ils vont retourner en studio, et ils m’ont recontacté pour que je leur compose un morceau de 3:30…4:00. C’était compliqué, il y avait l’actu de l’album, on était en pleine tournée. J’ai composé quelques trucs en un mois ou deux, j’ai enregistré ça, je le leur ai envoyé, et il ont adoré.
Y : Tristan a fait un super boulot de composition, c’est dans l’évolution de ce qu’on a composé, post Ross Robinson. Du coup, ça nous excite peut-être encore plus qu’eux. On est peut-être aussi jaloux qu’ils l’aient pris, ce morceau-là, mais y en aura d’autres. C’est vrai que c’est une belle expérience, c’est des personnes chouettes avec qui on espère pouvoir retourner.
M : Il y a un côté un peu magique là-dedans, c’est un honneur aussi : quand on a commencé, au tout début de MOPA, on était dans la chambre à Tristan, je lui faisais jouer du piano à côté de moi, j’écrivais des paroles à l’arrache, y’avait même pas Yohan à l’époque, on était juste dans le délire. On se disait “putain, ce serait marrant d’avoir un truc à la Will Haven, t’enlèves toutes les guitares, avec juste le piano” parce que Grady Avenell, c’est un crieur, il m’a vachement marqué. Et là, Grady Avenell va en quelque sorte chanter dans le groupe qu’on a fondé, il va chanter sur un de nos morceaux. Tu sais qu’en plus il revient là, pour cet album de Will Haven. Je suis sûr que ça va être mieux que moi… (Yohan part dans un de ses formidables éclats de rire).
MiB : Pour terminer et vous laisser fêter la fin de la tournée, quelques mots sur le futur de MOPA, à moyen ou à long terme ?
T : Énormément de tournées, le disque ne trouve son sens qu’à travers les tournées. C‘est tellement le merdier, le CD se vend plus, si tu veux faire vivre ton album, il faut tourner. Donc les projets, c’est visiter ce qu’on n’a pas visité, ça passe par l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique peut-être, ce serait chouette, le Japon, la Chine, la Malaisie, les États-Unis, et puis on verra, mais c’est bouclé au moins jusque 2011. On fait les Eurockéennes, le 4 juillet, avec Massive Attack, et on a déjà composé quelques morceaux, j’espère pouvoir trouver le temps d’en composer suffisamment pour un deuxième album, de répéter, et de mettre tout ça en boîte, et puis on verra par la suite.
MiB : C’est tout le malheur qu’on vous souhaite, les MOPA, merci pour cette interview.
Propos recueillis par Bernard Hulet
Photos © 2010 Bernard Hulet