ORSINO NATION – Spectrasanct
L’histoire d’Orsino Nation débute en Australie, avec l’association de la chanteuse Yasmine Amber et du multi-instrumentiste Paul Hilton, alias Charger. La première ressemble à une elfe sculpturale sortie des forêts de Brocéliande ou de la Terre du Milieu, et lui a un look de bûcheron viking récemment libéré d’un camp de travail. Mais ces charmants personnages ont des lettres puisqu’ils tirent le nom de leur groupe d’Orsino, duc d’Illyrie et amoureux éperdu de la « Nuit des rois », comédie de William Shakespeare.
D’un point de vue musical, Orsino Nation pratique le mélange des genres et développe un rock avant-gardiste assez bluffant. Imaginez Lana Del Rey rencontrant Metallica ou Tori Amos en cheville avec Nine Inch Nails ou l’orchestre du cirque Bouglione le plus proche. Il va falloir s’accrocher au pinceau parce qu’Orsino Nation enlève l’échelle sans prévenir. Et pour corser le tout, ceux qui s’imaginaient que ces petits foldingues ne sèmeraient le trouble qu’en Australie vont devoir s’inquiéter car le duo industrialo-cosmique s’est installé à Berlin et est désormais en mesure de mettre la pagaille sonore un peu partout sur le Vieux Continent.
La preuve avec ce « Spectrasanct », premier album long format qui suit un premier EP « Picnic on a whale » datant de 2010. L’auditeur distrait qui met le CD dans la machine à bruit pense dans un premier temps avoir affaire à un quelconque petit projet néo-folk sirupeux et angélique, jusqu’à ce qu’un monstrueux riff de guitare bardée de métal ne vienne lui fondre les circuits du cervelet. C’est l’effet que fait « The flesh-eating zombie love song », un titre qui veut tout dire. Armé d’une poêle à frire et d’un stylo à quatre couleurs en guise d’armes défensives, l’auditeur attend l’assaut suivant. Mais là, surprise, « Wanderlust » ne propose qu’une élégie translucide et vaporeuse, où on a quand même l’occasion de remarquer la magnifique voix de Yasmine Amber, qui peut en remontrer aux grandes vocalistes du moment.
C’est d’ailleurs ce genre de morceau qui a tendance à primer au long des seize titres de l’album. Mais quand Orsino Nation décide de partir en vrille sur du sentier non-battu, ça vaut son pensant de bigorneaux. Exemple avec cet invraisemblable « The mad-hatter’s tea party » qui déclenche de la fanfare délurée façon Mary Poppins et lance parallèlement des attaques de guitares sidérurgiques, juste entravées par du mariachi tout fou et de la valse-musette décadente. Hallucinant melting-pot, on le voit. Et si vous voulez de l’indus facturé au prix de gros, pas de problèmes, Orsino Nation en a aussi en magasin (« Liza »).
Le duo poursuit son album avec l’alternance de courtes pièces romantiques faisant la part belle à Yasmine Amber (« Hallelujah », « Mary », « Dr. Hooripopf ») et interventions électroniques grandiloquentes (« Highway to disaster »). Puis, estimant que cette petite routine a fait son temps, Orsino Nation nous assène subitement un décrochage thrash/death metal à faire pâlir d’envie Slayer ou Megadeth. Mais bien sûr, « Blood on the doors » est traité à la façon d’Orsino Nation, avec de soudains breaks emportant le tout dans des antichambres lyriques à la Meatloaf, puis retour dans des riffs métallurgiques acharnés. « Eirawen » est aussi complètement déroutant : démarrage façon Kate Bush, puis glissade soudaine dans une techno hardcore mâtinée de guitare deathcore. C’est là où on comprend l’utilité de la ceinture de sécurité. Même combinaison doux/brutal sur l’impressionnant « The plague of sand », avant-dernier titre précédant un aérien « Touch of life » a cappella, juste souligné par un discret nuage de synthé.
Bref, pour son audace musicale et son mépris des résultats de ses œuvres sur les chiffres de vente, Orsino Nation mérite respect et admiration. Les métalleux vont trouver ça trop gentillet et les amateurs de pop éthérée vont avoir les tympans détruits à trois ou quatre occasions. Impossible de réconcilier les tendances avec cet album qui, lui, a très bien fait de survoler toutes ces barrières et de ne pas se laisser enfermer dans un tiroir.
Pays: AU
Orsino 002
Sortie: 2014