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TRIPTYKON with THE METROPOL ORKEST – Requiem (Live at Roadburn 2019)

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Lorsqu’on prononce le nom de Celtic Frost, je retire instinctivement mon béret et pose un genou en terre, comme ça, juste au cas où un autre fan de ce groupe se trouvant à proximité me dénoncerait à la police si j’étais resté debout et couvert. Le grand groupe suisse de death metal gothique, auteur des essentiels albums ʺTo mega therionʺ (1985) et ʺInto the Pandemoniumʺ (1987) a terminé sa carrière en avril 2008, après que Thomas Gabriel Fischer, dit Tom Warrior, tête pensante du groupe, a claqué la porte après la sortie de l’impressionnant dernier opus, ʺMonotheistʺ (2006). Ce que l’on sait moins, c’est que l’ombrageux guitariste avait de ce fait avorté un projet de requiem qui le tenait en haleine depuis les débuts de Celtic Frost. Et ainsi, en 24 ans d’existence, Celtic Frost avait couché sur la partition deux des trois parties qui devaient constituer ce requiem.

La première partie, ʺRex iraeʺ, avait été placée dès 1987 sur l’album ʺInto the Pandemoniumʺ, tandis que la partie finale, ʺWinterʺ, figurait sur l’album ʺMonotheistʺ. Mais il manquait la partie centrale, la plus ambitieuse, qui était restée lettre morte pendant trois décennies. C’est un peu comme si un feuilletoniste avait édité le premier chapitre, puis le troisième chapitre d’un roman dans un magazine, sans que l’on puisse saisir complètement l’intrigue du fait de l’absence du deuxième chapitre.

Cette lacune, ce gouffre, a fini par être comblé par Tom Warrior grâce à son groupe post-Celtic Frost, Triptykon. Monté en 2008, ce groupe est également la chose exclusive de Tom Warrior, qui en est le créateur, l’orienteur musical, le secrétaire général, le penseur officiel du régime et le chef du personnel. En douze années d’existence et deux albums ʺEparistera daimonesʺ (2010) et ʺMalena chasmataʺ (2014), Thomas Gabriel Fischer s’est révélé d’une étonnante stabilité envers son personnel puisqu’il n’a usé que deux batteurs et a toujours conservé avec lui la bassiste Vanja Šlajh et le guitariste V. Santura (par ailleurs actif chez les Teutons de Dark Fortress). Le nouveau batteur Hannes Grossmann est arrivé en 2018 après avoir fait ses classes dans Alkaloid, Necrophagist, Devil’s Cry, Obscura, Blotted Science, Eternity’s End, Hate Eternal, Howling Sycamore, Shapeshift, The Fractured Dimension, tout en gérant une carrière solo commencée en 2013.

Avec cette équipe de musiciens intrépides, Tom Warrior était donc en bonne position pour achever son fameux requiem, seize ans après avoir terminé la troisième partie et trente-deux ans après avoir écrit la première. Le cycle des seize ans s’achève donc avec ʺGrave eternalʺ, composé afin de pouvoir présenter l’œuvre dans son ensemble au célèbre festival Roadburn, le rendez-vous international du doom, gothic, sludge et autre stoner metal qui se tient à Tilburg chaque mois d’avril. C’est le patron de ce festival, Walter Hoeijmakers, qui a approché Tom Warrior pour le convaincre de terminer le boulot et d’en faire une présentation en public lors d’une édition du Roadburn. Les choses ne se sont pas faites en un jour car il a fallu écrire cette pièce centrale de 32 minutes, l’adapter pour un orchestre philharmonique et répéter le tout pour être fin prêt le jour de la représentation.

Et le miracle se produit en cette journée du 12 avril 2019, lorsque le public du Roadburn assiste ébahi à l’interprétation complète du ʺRequiemʺ de Tom Warrior. On connaissait donc ʺRex iraeʺ et ʺWinterʺ mais on redécouvre ici une œuvre métamorphosée, avec ces deux parties de six minutes qui entourent le phénoménal ʺGrave eternalʺ, trente-deux minutes de doom metal symphonique, soutenu par le Dutch Metropole Orkest dirigé par Jukka Isakkila. Le seul support sonore est donc un format live, où Triptykon commence à jouer sans même une annonce officielle et des applaudissements préliminaires (sans doute coupés au mixage). Le public ne se manifeste qu’à l’issue de ʺGrave eternalʺ et à la toute fin du concert, ne ménageant pas son enthousiasme face à une œuvre de très grand style. Ce qu’il ya de fascinant dans cet ensemble, c’est la grande cohérence entre des morceaux qui ont été écrits avec des intervalles de seize ans. Le temps semble s’être arrêté quand on suit la grande linéarité du développement, totalement raccord par rapport aux différentes époques de sa mise au point. Les énormes riffs menaçants de ʺRex iraeʺ rappellent bien entendu le Celtic Frost de la grande époque. Puis c’est ʺGrave eternalʺ, gigantesque litanie lourde et lente, aérienne et funèbre qui impose le respect en avançant cérémonieusement sous l’accompagnement des violons et des cuivres de l’orchestre. Plusieurs épisodes se succèdent, mettant en valeur l’un ou autre instrument (percussions, violons, trombones, chant, basse, guitare). Le tempo très ralenti aplatit l’auditeur sous le poids de la mélancolie ambiante. Et les nappes de violons sur le final ʺWinterʺ évoquent justement la désolation hivernale, les lourds convois funéraires avançant gauchement dans la neige épaisse, en route vers le néant, les ruines givrées par le brouillard après une attaque de tartares sur un village cosaque.

Impressionnant de bout en bout, puissamment évocateur, ce requiem marque le retour de Triptykon sur les hauteurs de l’excellence. Il démontre surtout la cohésion artistique de Tom Warrior, qui fusionne ici passé, présent et avenir en faisant à nouveau planer l’ombre de Celtic Frost sur nos temps modernes. Et pour ça, ce n’est pas uniquement un genou qu’il faut poser à terre, ce sont les deux.

Le groupe :

Thomas Gabriel Fischer (chant, guitare, programmation)
V. Santura (guitare, chœurs)
Vanja Slajh (basse)
Hannes Grossmann (batterie)
Jukka Isakkila (chef d’orchestre)
Dutch Metropol Orkest (orchestre)
Safa Heraghi (chant)

L’album :

ʺRex Iraeʺ (6:34)
ʺGrave Eternalʺ (32:28)
ʺWinterʺ (6:54)

https://www.facebook.com/triptykonofficial/

Pays: CH
Century Media
Sortie: 2020/05/15

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