SIMON, Alan – Chouans
Avec ʺChouansʺ, le musicien breton Alan Simon s’attaque à un épisode sombre de l’histoire de la Révolution Française. Petit rappel historique. Après la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, la France révolutionnaire tente encore pendant trois ans d’intégrer le pouvoir royal dans un schéma de monarchie parlementaire à l’anglaise. Mais la fuite ratée de Louis XVI et son arrestation à Varennes jettent le discrédit sur la royauté et à l’été 1792, de terribles insurrections donnent lieu à l’émergence du Comité de Salut Public qui va faire entrer la France dans ce qu’on a appelé la Terreur. En janvier 1793, Louis XVI est guillotiné et c’est le départ d’une vague d’exécutions sans précédent. Le moindre petit opposant est raccourci sans ménagement et les leaders révolutionnaires commencent même à s’envoyer à l’échafaud entre eux. Pire, il faut gérer les guerres aux frontières de la France contre les Autrichiens ou les Anglais et il faut aussi pacifier les campagnes, qui sont en majeure partie restées fidèles au roi et au catholicisme. Et dans ce contexte, la Vendée encore royaliste va payer un prix particulièrement atroce. Au nom des Droits de l’Homme, la République va mener une guerre d’anéantissement de centaines de milliers de paysans et de nobles locaux qui vont être massacrés sans autre forme de procès. C’est l’histoire des Chouans, de ces Vendéens qui refusèrent de se plier à la République qu’Alan Simon raconte dans cet opéra-rock ambitieux et, disons-le, militant.
Car prendre le parti de ce qui fut appelé la contre-révolution est un choix délicat dans un pays comme la France, où la République et les Droits de l’Homme sont maintenant sacrés. D’ici à ce que l’on vienne taxer en France Alan Simon de contre-révolutionnaire, c’est l’assimiler immédiatement au royalisme, à Charles Maurras, théoricien du nationalisme intégral, avec tout ce que ce terme peut faire remonter d’extrême-droite, de racisme, d’antisémitisme ou d’intégrisme catholique. Dans notre monde moderne qui refuse les nuances de pensée et la confrontation honnête et libre des idées, choisir le contre-courant de l’Histoire est très dangereux, même si ceux qui choisissent ce courant n’ont rien à voir avec des barbares fascistes ou des suprématistes blancs du Ku-Klux-Klan.
Personnellement, nous n’en voudrons donc pas à Alan Simon de s’attaquer à cette page difficile de l’Histoire de France. La Révolution Française est un moment particulièrement compliqué, où les bons républicains n’étaient pas forcément tous bons et les méchants royalistes tous méchants. Les centaines de milliers de morts de la guillotine ou de la Vendée n’ont pas été le fait des royalistes ; les enfants, les femmes et les prêtres qu’on a noyés de force dans la Loire en sabordant des radeaux sur lesquels ils étaient amassés n’ont pas été tués par des royalistes. La République a eu beaucoup de sang sur les mains et le temps qui a finalement fini par passer, l’écriture ou la réécriture des événements sous l’angle de penseurs républicains a fini par lui donner le beau rôle. L’Histoire est écrite par les vainqueurs, c’est bien connu.
Et quand Alan Simon lance ce vaste projet d’opéra-rock sur les Chouans, il est conscient que ce qu’il va exprimer ici pourrait être sujet à caution. Car il ne fait pas un opéra-rock comparable au fameux opéra-rock de 1973, ʺLa Révolution françaiseʺ, où c’était l’histoire générale de la Révolution qui était exposée, avec parole donnée à tous les protagonistes. Ici, c’est le camp des Vendéens antirépublicains qui est décrit. Entrer dans le détail de ce double album composé de 23 titres serait trop long car c’est toute l’histoire des guerres vendéennes qui est évoquée ici. On y trouve des chansons qui parlent des grandes batailles, des personnages historiques (ʺLe pardon de Bonchampsʺ, référence au général commandant les armées vendéennes, qui épargna de nombreux soldats républicains faits prisonniers, ʺL’appel de Cadoudalʺ, autre général chouan qui livra de nombreuses batailles aux Républicains et mena la virée de Galerne, campagne militaire qui fait l’objet d’une chanson également), de drames individuels (ʺLa complainte de l’abbéʺ, ʺRéfractaireʺ, ʺMourir pour des idéesʺ) ou de grands élans lyriques chantés par des chœurs (ʺDieu et le Royʺ, ʺCœurs de Chouansʺ, ʺLe vent de la mémoireʺ).
La musique est à la dimension du projet. Fondée sur un rock progressif ample et opératique, elle accompagne avec force les textes intenses et dramatiques chantés par une batterie de vocalistes (Jean-Claude Drouot, Tristan Descamps, Christian Décamps (Ange), Olivier Gann, Morgan Marlet, Kohann, Renaud Detressan (Soldat Louis), Gregory Deck, Roberto Tiranti, John Eyzen et Alan Simon en personne sur ʺLa folieʺ). Le premier CD est particulièrement fort, certains textes frôlant même par leur anti-républicanisme et leur nostalgie de l’Ancien Régime des niveaux dignes de Jean-Pax Méfret, le Jean Ferrat de l’extrême-droite en France. Mais ce sont les personnages de l’opéra qui s’expriment ici, pas l’auteur des textes. On ne peut donc pas considérer que cet album a été écrit à des fins uniquement politiques. Le deuxième CD est peut-être un peu plus faible, un peu plus larmoyant mais il ne handicape pas l’ensemble de l’œuvre pour autant.
Alan Simon signe ici une œuvre fleuve, puissante épique, qui a nécessité beaucoup de travail : cinq ans d’écriture, le montage d’un orchestre de 120 musiciens, impliquant le bagad d’Elven, le Chœur de Vendée, un orchestre symphonique et des musiciens venus du rock. Un spectacle est créé en mai 2018 au Vendéspace de Mouilleron-le-Captif. Une tournée s’en est suivie et c’est désormais la version studio de cet opéra qui est disponible ces temps-ci. Les amateurs d’histoire ou de grandes fresques musicales pourront se laisser tenter par ce grand album au livret de paroles magnifiquement illustré. Se cultiver en écoutant du rock, c’est quand même un must.
L’album :
Ouverture
L’Incorruptible
Ça ira
Au nom de tous le miens
Le chant de paysans
La folie
Ma France, Mon espérance
La complainte de l’abbé
Dieu & Roy
L’appel de Cadoudal
Le Saint de l’Anjou
L’amazone
Le pardon de Bonchamps
La virée de Galerne
L’infernale danse
Monsieur Henri
Cœur de Chouans
God save the King
Réfractaire
Un nouveau monde
Mourir pour des idées
Mon petit Frère
Le Vent de la mémoire
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Pays: FR
Babaïka Productions
Sortie: 2019/05/31