EKCA LINEA – Gravity and grace
Les radiations de mon œil électrique qui surveillent la scène drone ambient viennent d’identifier un nouvel artiste assez prolixe de cet univers en perpétuel mouvement. Daniel W.J. McKenzie est en effet l’homme caché derrière ce projet appelé Ekca Liena. Tout ceci n’est qu’une manifestation schizophrénique de plus puisque Daniel W.J. McKenzie est le seul animateur de ce projet et il produit également des albums sous son propre nom.
Ce garçon est assez discret sur la Toile et ne lâche pas si facilement les informations sur sa personne. On sait qu’il vient de Brighton mais on ne sait pas quand il est né (mais d’après les dates de ses débuts, ce n’est ni un gamin ni un vieillard), quelle est sa marque de yaourt préféré, le nom de son chien, s’il est plutôt Beatles ou Rolling Stones, la marque de sa brosse à dents, ni ses pronostics sur le vainqueur de la prochaine coupe du monde de foot. Mais on s’en moque bien car ce qui compte ici, c’est la musique, si on peut appeler ainsi les montages sonores que Daniel W.J. McKenzie s’amuse à monter de façon quasi-scientifique.
En temps qu’artiste solo, Daniel W.J. McKenzie a enrichi le patrimoine cultural mondial des albums « Teeth sleep under winking black eyelid » (2011), « Return written arrange » (2011), « Glass permanent » (2016) et « Every time feels like the last time » (2017). Avec Ekca Liena, il commet « Slow music for rapid eye movement » (2008), « Drones between homes » (2009), « Pathless » (2009), « Sleep paralysis » (2009), « Perternatural » (2011, avec A Death Cinematic), « Mapping the boundary layer » (2012, avec Spheruleus), « Graduals » (2015), « Lacia is joined » (2015) et ce nouveau « Gravity and grace » (2018). Mais on a pu aussi l’apercevoir dans un groupe du nom de Plurals, actif depuis une dizaine d’années et qui a réalisé les albums « Six eyes » (2010), un album partagé avec Tuluum Shimmering en 2010, « Cult demonstrations » (2011) et « Bugenès melissae » (2014). Notons que ce groupe s’est produit sur scène avec le légendaire Aidan Baker et que cela a occasionné un album live en 2013 (« Glass crocodile medicine ». On voit donc que notre ami McKenzie est plutôt du genre hyperactif.
Pourtant, ce n’est pas l’énervement qui ressort du dernier album d’Ekca Liena, qui consiste en 70 minutes de drone aérien et cosmique, superbement tissé et capable de soulever des émotions puissantes. Sur les huit titres, cinq dépassent les neuf minutes, dont le dernier « Gravity and grace » qui nous emporte dans une épopée sonore de dix-huit minutes à lui seul. Les nappes d’instruments électroniques s’enchevêtrent et progressent délicatement vers des apogées qui se révèlent souvent d’une incroyable force (« Juno for A.M. », « Orate all ice »). C’est là où l’on découvre que la principale vertu de la musique drone et ambiante n’est pas de fournir de la composition structurée mais de susciter des émotions par la fabrication quasi-matérielle d’ambiances sonores. Dans cette perspective, Ekca Liena se révèle comme un architecte inspiré et méthodique. Peu d’à-coups ou de brusquerie viennent chahuter le cours tranquille de ses constructions. On monte lentement et systématiquement vers le surgissement d’une émotion exacerbée à l’issue d’un amoncellement ordonné de collages sonores où se mêlent synthétiseurs, glockenspiel, un peu de guitare (« Cortege depart ») et des vibrations qui enveloppent parfois out l’espace sonore (« Onset eve »).
Le grandiose final « Gravity and grace » résume à lui seul cet état d’esprit. Il traduit musicalement cette coexistence entre la pesanteur et la grâce comme le suggère son titre, qui est aussi un clin d’œil à un ouvrage posthume de la grande philosophe Simone Weil (1909-1943), passée de l’anarcho-syndicalisme et de la judaïté à une conversion au christianisme à la fin de sa courte vie, achevée d’ailleurs en Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette référence à un des plus beaux parcours mystiques du XXe siècle n’est certainement pas innocente chez David W.J. McKenzie, dont la richesse intellectuelle et émotionnelle doit être suffisamment grande pour se permettre cette quête spirituelle à travers la musique.
Pays: GB
Consouling Sounds
Sortie: 2018/02/06