DRAGON RAPIDE – See the big picture
Pour les amateurs d’aviation, le nom de Dragon Rapide évoquera un avion anglais des années 1930, fabriqué par la firme DeHavilland, celle qui deviendra célèbre durant la Seconde Guerre mondiale pour avoir donné naissance au fameux chasseur Supermarine Spitfire, l’implacable ennemi du Messerschmitt Bf 109 durant la Bataille d’Angleterre. Mais pour les amateurs de musique, Dragon Rapide est le nom d’un groupe français avec qui, on l’espère sincèrement, il va falloir compter.
Car ces Auvergnats de Clermont-Ferrand nous ont surpris au sortir de la boîte à lettres, ou plutôt à l’entrée du lecteur de CD, avec leur rock sincère et éclatant, simple et énergique, sculpté dans les moules dont on faisait les groupes indépendants durant les années 90. Sylvain, Pog et Jimmy sont à l’origine de cette petite pépite, dont la déclinaison physique n’est prévue qu’à 450 exemplaires (200 vinyles, 200 CD, 50 cassettes). Il va falloir faire preuve de rapidité pour mettre la main sur cet album si on désire compléter des étagères de discothèque, sinon il faudra se contenter d’une version numérique. Je ne suis pas près de lâcher l’exemplaire qui m’a été livré car celui-ci pourrait bien squatter pendant un bon moment ma boîte à tonnerre.
Car c’est là tout le charme de la scène indépendante de se débrouiller avec de petits moyens et de se livrer au localisme le plus assumé afin de pouvoir quand même, s’il faut convertir du monde, en convertir un petit noyau plutôt que de se disperser dans le néant. Il appartient aussi aux médias indépendants comme le nôtre de relayer avec nos tout aussi petits moyens des petits groupes qui sont en fait grands, dans notre petit monde d’amateurs éclairés qui lui aussi est grand, en fait.
Dragon Rapide nous colle ici entre les oreilles treize titres courts et ramassés, redoutablement efficaces et marqués par les années 90, bien qu’on puisse aussi y trouver des flagrances de notre scène néo-garage contemporaine (Ty Segall, White Fence). Le trio ne se cache d’ailleurs pas de ses influences Nineties en reprenant « Never be the same » de Built To Spill, combo significatif mais encore assez discret de la scène indie américaine de l’époque. Pour le reste, on pense aussi à Sebadoh, Weezer, Pavement, et à des références bien antérieures (les Sixties et les Seventies) en retrouvant aussi des bribes de Kinks, la morgue juvénile des Modern Lovers ou les harmonies vocales des Byrds.
Avec cet ensemble philosophique en tête et un génie de la réadaptation, les hommes de Dragon Rapide nous alignent une série de titres imparables, du début (« I don’t want to » et sa ligne de basse traînante) à la fin (« Spinning top » et sa fausse nonchalance) en passant par le milieu où se bousculent plein de morceaux excitants (l’immédiatement mémorisable « Bummed », « Astoria », un « Nostalgia » un peu Pixies, un « Ugly face » punk et sucré, le trépidant « Soon a son »). Ceux qui n’ont pas été cités restent néanmoins brillants, ce n’est pas difficile.
« See the big picture » surgit comme un petit rayon de soleil dans la grisaille de l’hiver. Gardons-le au chaud, laissons-le mûrir et il nous fera vivre un beau printemps. Pour la suite, il faudra prier pour avoir un deuxième album du même tonneau ou s’acheter de bonnes chaussures pour aller débusquer le groupe quelque part en concert au beau milieu du Massif Central. Mais ce serait vraiment dommage de passer à côté de ce formidable combo.
Pays: FR
Freemont Records
Sortie: 2018/02/02