BLACK SABBATH – The end – 4 February 2017, Birmingham
Oh là là! Ça fait tout bizarre de voir « The end » marqué sur un album de Black Sabbath. C’est en effet le dernier album officiel de Black Sabbath que l’on va pouvoir acheter. Après ce sera des pirates, des compilations ou des rééditions mais il faut malheureusement admettre que ce tout dernier concert de la légende absolue du heavy metal est le dernier des derniers.
Black Sabbath : le nom réfrigère d’entrée de jeu tous les vice-présidents de ligues de vertu et tous les stagiaires séminaristes du Vatican. Le monstre, la bête, 333 multiplié par deux, le groupe par qui tout a commencé. Ce fut un soir, ou un matin, on ne sait plus, de ce vendredi 13 février 1970, lorsqu’un album à la curieuse pochette représentant une dame en noir devant un moulin à eau envahit les bacs des disquaires. Le monde venait de faire connaissance avec le premier album de Black Sabbath, un gang de quatre prolos d’Aston près de Birmingham qui trompaient leur ennui ouvrier en matant des films d’horreur gothiques au cinéma de leur quartier, tout en tripotant un blues véreux accordé trop bas dans leur salle de répétition. Si le guitariste Tony Iommi avait accordé sa Gibson SG un demi-ton en dessous, c’est qu’il avait une bonne raison : il venait de perdre deux phalanges sur une machine-outil dans l’usine que le système l’avait voué à fréquenter toute sa vie. Mais l’homme refuse son destin, il veut devenir rock star et continuer à jouer de la guitare. Pour soulager la douleur de ses doigts amputés, il diminue la tension de ses cordes, créant ainsi le son caverneux qui va devenir la marque de fabrique du heavy metal, du doom, du stoner et de toutes les musiques lorgnant un peu trop du côté du cimetière hanté.
Mais le groupe de Tony Iommi ne serait pas ce qu’il est sans un chanteur hors-norme, un braillard suraigu qui s’agite sur scène comme un évadé d’asile psychiatrique, haranguant la foule comme un vendeur d’aspirateurs maudit et fabriquant sa légende en devenant un des plus gros consommateurs de drogue que la Voie Lactée ait engendré. Ce phénomène de cirque, c’est John Michael « Ozzy » Osbourne, rejeton d’une famille d’ouvriers refusant la fatale usine et ayant déjà effectué un court séjour à l’ombre pour un cambriolage foireux. Avec les deux autres lascars, le bassiste surhumain et principal contributeur des chansons Terry « Geezer » Butler et le cogneur forcené Bill Ward, Iommi et Osbourne vont défier toutes les lois : celles du commerce en vendant des millions d’albums malgré les protestations des critiques rock, celles de la santé en sniffant plus de came que le Pérou a pu en produire et celles de la logique en devenant, avec le recul, le plus grand groupe de heavy metal du monde puisqu’inspirateur total et exclusif du genre.
La suite, on la connaît, ce sont 19 albums studio officiels, dont neuf avec Ozzy Osbourne, trois avec Ronnie James Dio, un avec Ian Gillan, un avec Glenn Hughes, un avec Ray Gillen et cinq avec Tony Martin, ce qui place cet obscur chanteur ayant figuré sur les cinq derniers albums du Sab (avant le retour d’Ozzy sur « 13« ) juste derrière le chanteur historique de Black Sabbath. Mais c’est bien sûr beaucoup plus, avec ces 47 années passées au service de la construction des fondations du heavy metal. Et près d’un demi-siècle plus tard, rattrapés par l’âge et son cortège de misères, les quatre cavaliers de l’apocalypse (enfin plutôt trois puisque le batteur historique Bill Ward a quitté le navire depuis déjà quelques années) décident de raccrocher les gants au vestiaire et de couler une retraite heureuse.
Il fallait pour cela marquer le coup et Black Sabbath nous envoie ici un dernier souvenir, avec ce concert enregistré le 4 février 2017 dans leur fief de Birmingham, la ville où ils ont débuté et où ils terminent. C’est peut-être l’idée de finir leur carrière parmi leurs pairs ou l’ambiance de vénération du public qui a réconforté encore une derrière fois les vieux briscards, mais toujours est-il que Black Sabbath (accompagné derrière les fûts par Tommy Clufetos et aux claviers par Adam Wakeman) s’est senti pousser les ailes d’une nouvelle jeunesse et a livré ici un concert d’anthologie.
Le disque est conséquent, avec ses deux galettes remplies à ras bord de titres monstrueusement classiques et son livret débordant de superbes photos et fournissant un petit laïus sur ce dernier concert très spécial. La sélection du répertoire est imparable : « Black Sabbath », « Fairies wear boots », « Under the sun », « After forever », « Into the void », « Snowblind », « War Pigs » et « Behind the wall of sleep » pour le premier CD. On reprend le second avec « Bassically / N.I.B. », « Hand of doom », un medley « Supernaut / Sabbath bloody Sabbath / Megalomania » (histoire de rendre hommage aux excellents mais souvent négligés « Sabbath bloody Sabbath » de 1973 et « Sabotage » de 1975), « Rat salad » (avec son solo de batterie herculéen qui va bien), « Iron man », « Dirty women » (un titre pas courant de « Technical ecstasy » remis dans la set list en 2013), « Children of the grave » et, en rappel, devinez… « Paranoid, » bien sûr!
La voix d’Ozzy est resplendissante, la production puissante et la guitare de Tony Iommi et la basse de Geezer Butler écrasent tout. Bien sûr, de nombreux titres figurent déjà sur des live passés mais il n’y a pas tout. Il faut en fait combiner « Reunion » (1998) « Past lives » (2003) « Gathered in their masses » (2013) et ce dernier live pour couvrir la quasi-totalité des six premiers albums de Black Sabbath. Et puis, il y a le symbole : c’est le dernier album officiel de Black Sabbath. On ne va plus jamais les revoir, les cœurs saignent.
Mais cependant, il reste une note d’espoir : le passage annoncé d’Ozzy Osbourne au prochain Graspop en juin 2018. Si le vieux tient le coup jusque-là, quelque chose me dit qu’on pourrait bien entendre « Paranoid » résonner à nouveau sur les foules l’été prochain. Et là, je ne dirai qu’un mot : Ouargh!
Tout pour le Sab.
Pays: GB
Universal Music
Sortie: 2017/11/17