BAKER, Aidan/JÄRMYR, Tomas – Werl
Nous avons déjà en l’occasion de parler d’Aidan Baker et de son œuvre impressionnante qui a bâti des pans entiers de l’univers port-rock et ambient. Le Canadien sort trois à quatre albums par an depuis une quinzaine d’années et participe à toutes sortes de projets (Caudal, Nadja, Hypnodrome Ensemble…). De son côté, Tomas Järmyr n’est pas non plus en manque de projets puisqu’on peut le voir du côté de groupes comme Zu, Barchan, Yodok ou Yodok III. Aussi, quand deux aventuriers de l’avant-garde absconse joignent leurs imaginaires, la musique qui en résulte ne peut être qu’un nouvel épisode dans le grand voyage vers l’infini sonore dont on ne se remet pas.
Et bien entendu, quand il s’agit de musique inatteignable ou inimaginable, le label Consouling Sounds est toujours bien placé pour mettre l’objet sonore non identifié dans son écurie de poulains extra-terrestres. On se retrouve donc en face de cette nouvelle référence du catalogue de Consouling Sounds, qui va nous promettre encore bien des émotions et des interrogations avec « Werl », un double CD de huit titres où toute logique et toute construction musicale cohérence est bannie à jamais.
Les deux musiciens ont trouvé une petite fenêtre disponible dans leurs emplois du temps chargés et en ont profité pour propulser dans la stratosphère cette séance d’enregistrement dont les huit titres ne semblent ne faire qu’un, tant la progression inexorable de « Werl » (divisé en « Werl I », « Werl II », « Werl III » etc, jusqu’à « Werl VIII ») évolue selon un agencement précis, qui fait alterner des climats différents mais clairement enchaînés. Entre psychédélisme astronautique, ambient atonal, doom moléculaire et électronique de synthèse, la création née de la batterie d’Aidan Baker et des synthétiseurs de Tomas Järmyr suit une courbe ascendante.
Tout démarre dans l’hésitation de « Werl I », où les instruments semblent se chercher. Puis, une fois la connexion établie, le bidule se met en place, le puzzle se complète. A chaque fois, on passe par des phases longues de onze à seize minutes, lentes disséminations de sons brouillés, de vagues synthétiques et de rythmiques chaotiques. L’animal sonore est alors en vitesse de croisière, dans un vacarme puissant (« Werl II »), puis les choses redescendent vers des eaux plus calmes, marquées par le tempo cardiaque des orgues lourds (« Werl III »). Enfin, les sons se disciplinent dans une onde tubulaire constante et céleste, talonnés par une batterie instable (« Werl IV »).
Ceux qui ont survécu à cette première phase en sont quittes pour continuer avec le second CD. On reste toujours avec d’imposants épisodes frôlant les dix minutes, avec le double de cette durée pour « Werl VI ». Après une nouvelle phase très lente et quasi immobile (« Werl V »), Baker et Järmyr s’engagent dans « Werl VI », nouvelle période marquée par l’onde monolithique des claviers et par des grincements inquiétants. La fin tourmentée de ce morceau se poursuit sur « Werl VII » qui résonne comme un signal d’alarme, irritant à souhait et plaçant l’auditeur sous pression. On est alors mûr pour dix dernières minutes de respiration robotique où les machines se livrent à des mélopées répétitives et progressives, agissant comme une danse rituelle futuriste.
Quelques tablettes de Prozac et un séjour à la montagne ne seront pas de trop pour se remettre de ce périple sonore phénoménal et exigeant pour les neurones (sans parler des tympans). Aidan Baker et Tomas Järmyr se sont ici livrés à une construction puissante, qui attire l’attention de l’auditeur dans ses filets ou la repousse sans appel, c’est selon. Donc, accrochez-vous bien à votre siège ou à votre entonnoir lorsque vous attaquez cette œuvre, parce ça risque de laisser des traces.
Pays: CA
Consouling Sounds
Sortie: 2016/09/23