MAALOUF, Ibrahim – Red & black light
Gros CV que celui d’Ibrahim Maalouf, né sous les bombes de la guerre du Liban fin 1980 et aujourd’hui un des meilleurs trompettistes du monde. Son génie instrumental, Ibrahim le doit à une famille de musiciens (son père est trompettiste et sa mère pianiste) et d’intellectuels réputés (il est le neveu du célèbre écrivain Amin Maalouf), ainsi qu’à une rencontre du multiculturalisme issu de ses racines arabes et de sa vie en France, où il débarque tout gosse avec ses parents ayant fui la guerre.
Très vite, Amin Maalouf destine son parcours musical au service de l’improvisation et de la fusion des genres orientaux et occidentaux. Au conservatoire de Paris, il s’intéresse autant à la trompette classique de Maurice André (qui a été le professeur de son propre père) qu’au jazz fusion de Miles Davis. Sa défense de l’improvisation en tant que technique éducative dans les écoles de musique lui occasionne quelques ennuis avec la hiérarchie du conservatoire d’Aubervilliers, où il est enseignant. Maalouf quitte son poste, décidé à vivre de sa musique. Après tout, il collectionne déjà les prix et les récompenses d’une multitude de concours auxquels il a participé, et ça ne fait que commencer.
En effet, entre 2000 et 2007, Ibrahim Maalouf monte en puissance. Grâce au soutien du producteur Marc-Antoine Moreau et du violoniste Vincent Ségal, Maalouf passe de rencontres cruciales en rencontres cruciales et joue avec des artistes importants, dont la chanteuse américano-mexicaine Lhasa De Sela. En 2006, un concert décisif au New Morning de Paris l’installe sur la scène jazz française. A partir de là, les projets se multiplient : musiques de films (le biopic « YSL » sur la vie d’Yves Saint-Laurent), collaboration avec des chanteurs (l’album « Funambule » de Grand Corps Malade) et bien sûr albums solo (une trilogie « Diasporas », « Diachronism », « Diagnostic », parue entre 2007 et 2011 ; « Wind », hommage à Miles Davis paru en 2012 ; « Illusions », 2013 ; « Au pays d’Alice », 2014).
Distingué comme jeune artiste œuvrant pour le dialogue interculturel entre les mondes arabe et occidental par l’UNESCO, artiste de l’année aux Victoires du jazz, grand prix SACEM jazz, chevalier de arts et lettres, nommé aux Césars 2015 pour la meilleure musique originale pour le film « YSL », Amin Maalouf est maintenant une sommité de la trompette jazz fusion et musiques du monde.
Il sort cette année pas moins de deux albums coup sur coup, qui ont pour point commun l’hommage aux femmes. Voici d’abord « Red & Black light », album comportant sept compositions originales, ainsi qu’une reprise de Beyoncé (fort heureusement instrumentale). Enregistré à Ivry-sur-Seine avec Eric Legnini (claviers), François Delporte (guitare) et Stéphane Galland (batterie), « Red & black light » met en forme des morceaux qui ont le génie d’être à la fois complexes et limpides. L’oreille du spécialiste pourra y découvrir des polyrythmies aussi complexes que le système fédéral suisse, avec 17, 19 ou 27 temps. Mais à l’arrangement, tout coule de source, la trompette d’Ibrahim Maalouf glissant avec aisance et dextérité sur un travail de batterie titanesque de Stéphane Galland, un as dans son domaine. Mais n’oublions pas non plus les interventions colossales du claviériste Eric Legnini, comme par exemple sur « Goodnight kiss ». La fraîcheur et la puissance de ces morceaux sont un régal pour l’oreille et plus largement pour l’âme.
Ces morceaux étant tous instrumentaux, leur lien avec une évocation des femmes n’apparait que si on connaît le message transmis par Ibrahim Maalouf à l’occasion de la sortie de ses deux albums. Cela nous donne l’occasion de faire une transition vers « Kalthoum », qui fait l’objet de la chronique suivante.
Pays: FR
Mi’ster Productions
Sortie: 2015/09/25