RIMBAUD – Rimbaud

Nous n’allons pas ici parler de poésie avec ce Rimbaud, mais de musique post quelque chose. Post rock, post électro, un truc dont il faut quand même admettre qu’il est assez inclassable. Cependant, il ne faut pas oublier dans cette affaire le poète Arthur Rimbaud (1854-1891) car les musiciens polonais qui composent le groupe Rimbaud ont choisi ce nom comme une réponse musicale à la poésie du natif de Charleville-Mézières. Comme j’ai mangé pas mal de poésies d’Arthur Rimbaud à l’école, je suis sensible à la question rimbaldienne. Ce génie qui a écrit toute son œuvre entre 17 et 21 ans a été également militaire en Indonésie, chef de chantier à Chypre, marchand d’armes au Yémen ou négociant en café en Ethiopie avant de mourir d’un cancer à Marseille, à l’âge de 37 ans.

C’est cette vie aventureuse et consumée par la fuite en avant que l’on retrouve sur l’album de Rimbaud, trio composé de Tomasz Budzyński, Michał Jacaszek et Mikołaj Trzaska. Quelques mots s’imposent pour décrire le parcours de ces personnages importants de l’underground polonais. Tomasz Budzyński, surtout, est une figure emblématique du rock polonais. Chanteur, peintre, poète, il affiche maintenant une trentaine d’années de carrière et a joué avec des groupes légendaires de l’autre côté de l’Oder, comme Siekiera, Armia, 2TM2,3 ou Trupia Czaszka. Outre également des albums solos, on lui doit des films de cinéma et des livres. Michał Jacaszek est un compositeur et producteur de musique électro-acoustique, auteur de bandes-son pour le cinéma et le théâtre. Depuis son premier album en 2004 (« Lo-fi stories »), il a développé des méthodes peu communes d’échantillonnages de sons, utilisant de vieux enregistrements et des captations de sons en plein air, tirant son inspiration de la musique classique (du baroque jusqu’à l’avant-garde contemporaine). Quant à Mikołaj Trzaska, il est saxophoniste et clarinettiste, co-fondateur du groupe Milość, actuellement impliqué dans le free-jazz et l’improvisation. On le voit aussi participer à des œuvres de Shofar, Ircha, de l’ensemble Resonance de Ken Vandermark, du North Quartet de Peter Brötzmann et du Riverloam Trio cofondé avec les musiciens anglais Mark Sanders et Olie Brice. Trzaska est également compositeur de musiques de films et de théâtre et a des projets musico-littéraires avec l’écrivain Andrzej Stasiuk.

Autant dire qu’avec de tels pedigrees fort avancés dans l’expérimentation audacieuse et la largesse d’esprit musicale, ces trois lascars font semer l’aberration et décontenancer les esprits rationnels avec une architecture musicale déjantée, habitée par un expressionnisme décadent et un lyrisme cybernétique. Le long des huit morceaux qui composent l’album, le chant de Tomasz Budzyński se répand en imprécations rugueuses, déclamant des vers hachés en français, en polonais ou en anglais. Les lourdes nappes de synthétiseurs qui alternent avec les hurlements capricieux d’un saxophone dérangé créent des atmosphères inquiétantes, presque apocalyptiques, accueillant les litanies répétitives de Budzyński (« Frères de la faim »). Les titres d’ailleurs, envoient quelques références littéraires rimbaldiennes (« Matinée d’ivresse », « Enfance », « Phrases »). On déambule dans des tintinnabulements arides (« Enfance ») ou on trébuche sur d’invraisemblables meuglements de saxophones (« Phrases »). Les deux derniers morceaux, en polonais (« Jesteście fałszywymi murzynami » et « Ja to ktoś inny ») lâchent des fulgurances électro-saxophoniques pour l’un ou du pianotage souffreteux agressé par de monstrueux effets électroniques pour l’autre.

Si Rimbaud revenait sur terre et qu’il optait pour la musique, il ne ferait pas mieux que cet hommage musical qui lui est rendu. Pour ardu qu’il soit, cet album « Rimbaud » contient néanmoins son lot d’expérimentations intéressantes. On tutoie l’absurde, qui n’est jamais éloigné du sublime, et c’est ce que ces Polonais de Rimbaud, embarqués dans un bateau ivre et prêts pour une saison en enfer, ont compris.

Pays: PL
Gusstaff Records
Sortie: 2015/06/22